Alors que sa politique syrienne tourne au fiasco, que la Turquie s'est isolée de tous ses voisins (Russie, Iran, Irak, Syrie, Grèce, Arménie), que le sultan a offert, sur un plateau, le soutien russe aux YPG et la constitution d'une région autonome kurde le long de la frontière turque, que le sud-est du pays connaît une guerre civile qui menace d'ailleurs l'approvisionnement énergétique d'Ankara et lui fait perdre son dernier allié régional, que le monstre daéchique échappe à «Frankendogan», voilà que deux militantes d'extrême-gauche tirent à la grenade sur la police en plein Istanbul. Le Front révolutionnaire de libération du peuple (DHKP-C) est un vieux groupe de l'extrême-gauche turque ayant commis un certain nombre d'attentats dans les années 70 et 80, s'en prenant aussi bien aux représentants de l'Etat ou des forces de l'ordre qu'aux grands patrons ou aux intérêts américains. Il est suffisamment important pour compter une branche armée de quelques centaines ou milliers d'hommes et de femmes, ce qui est loin d'être négligeable. Si l'attaque de ce jour n'a pas fait de victimes autres que les deux militantes, elle pointe du doigt l'intense malaise qui s'est emparé de la Turquie islamo-conservatrice depuis quelques années. Evidemment, le DHKP-C est proche du PKK, ce qui nous amène au conflit turco-kurde et ses conséquences énergético-stratégiques. Un très intéressant article a paru, il y a deux semaines, qui montre l'imbrication byzantine de la guerre, du gaz, de la géopolitique et du pétrole dans la région. Mais auparavant, rappelons ce que nous écrivions dans une précédente chronique : Alors que l'Otan se ridiculise encore un peu plus en soutenant la «lutte» de la Turquie contre l'Etat Islamique et contre le PKK (comme si les deux pouvaient être mis sur le même plan...), l'oléoduc Irak-Turquie vient d'être la cible d'un attentat, deux jours après l'explosion sur le gazoduc transportant le gaz iranien. Si Ankara ne se calme pas dans sa croisade contre le mouvement kurde, la Turquie risque d'être coupée de toutes ses sources d'approvisionnement énergétiques autres que russes. Les pipelines venant d'Iran, d'Irak et même le BTC en provenance d'Azerbaïdjan via la Géorgie passent par les zones de peuplement kurde. Dans le grand jeu énergétique, ces tubes non-russes sont le seul et mince espoir américain d'empêcher la Russie de fournir l'Europe. Nul doute que les derniers développements du conflit turco-kurde sont suivis avec beaucoup d'attention à Moscou comme à Washington. Une fois n'est pas coutume, les Russes ont tout intérêt à ce que la situation s'envenime, les Américains à ce qu'elle s'apaise. Aussi, rien ne va plus en Turquie, avec l'explosion d'un troisième pipeline ! Et pas n'importe lequel : il s'agit du BTE (Bakou-Tbilissi-Erzurum). Ce corridor Azerbaïdjan-Géorgie-Turquie est promu sans relâche par les Américains depuis vingt ans afin de détourner l'Europe des hydrocarbures russes et d'isoler Moscou. C'est la route du BTC (Bakou-Tbilissi-Ceyhan), ouvert en 2005 et transportant le pétrole caspien de l'Azerbaïdjan à travers la Géorgie et la Turquie, évitant soigneusement le territoire arménien, allié de Moscou. (A suivre)