Il existe ici un objectif subsidiaire, reconnu en privé par les officiels occidentaux, mais non discuté en public : le Yémen a encore un potentiel inexploité pour fournir un ensemble alternatif de routes de transbordement pétrolier et gazier pour les exportations du pétrole saoudien, contournant l'Iran et le détroit d'Ormuz. La réalité des ambitions du Royaume sur ce sujet a été mise à nu dans un câble secret du Département d'Etat de 2008 obtenu par Wikileaks, de l'ambassade américaine au Yémen à destination du Secrétaire d'Etat : «Un diplomate britannique basé au Yémen a dit à PolOff (agent politique de l'ambassade américaine) que l'Arabie saoudite avait un intérêt à construire un oléoduc, qu'elle détiendrait exclusivement, exploité et protégé par l'Arabie saoudite, depuis Hadramaout jusqu'à un port du Golfe d'Aden, en contournant ainsi le golfe Arabique/golfe persique et le détroit d'Ormuz. «Saleh s'y est toujours opposé. Le diplomate soutenait que l'Arabie saoudite, par le soutien des dirigeants militaires yéménites, en payant la loyauté des cheikhs et par d'autres moyens, était en train de se positionner pour s'assurer qu'elle obtiendrait, à bon prix, les droits pour cet oléoduc du successeur de Saleh.» En effet, le gouvernorat d'Hadramaout à l'Est du Yémen a curieusement été épargné par les bombardements saoudiens. La province, la plus large du Yémen, contient le plus gros des ressources pétrolières et gazières restantes du Yémen. «L'intérêt primordial porté par le Royaume à ce gouvernorat résulte de la possible construction d'un oléoduc. Un tel oléoduc a longtemps été un rêve pour le gouvernement d'Arabie saoudite,» observe Michael Horton, un analyste principal du Yémen à la fondation Jamestown. «Un oléoduc passant par Hadramaout donnerait à l'Arabie saoudite et ses alliés du Golfe un accès direct au golfe d'Aden et de l'océan Indien ; cela leur permettrait de contourner le détroit d'Ormuz, un point de passage obligatoire qui pourrait être, au moins temporairement, bloqué par l'Iran dans un futur conflit. La perspective de sécuriser une route pour un futur oléoduc passant par Hadramaout figure probablement dans une stratégie globale à long terme de l'Arabie saoudite au Yémen.» Cela dit, les officiels occidentaux sont soucieux d'éviter une prise de conscience publique de la géopolitique énergétique derrière l'escalade du conflit. L'année dernière, une analyse sans concession sur ces questions était postée sur le blog personnel de Joke Buringa le 2 juin 2015, une conseillère supérieure sur la sécurité et l'Etat de droit au Yémen au ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas. « La peur d'un blocage par l'Iran du détroit d'Ormuz, et les possibles désastreux résultats sur l'économie mondiale, ont existé depuis des années, » écrivait-elle dans l'article, titré «Diviser pour mieux régner : l'Arabie saoudite, le pétrole et le Yémen.» «Les Etats-Unis mettent par conséquent la pression sur les pays du Golfe pour mettre en place des alternatives. En 2007 l'Arabie saoudite, le Bahreïn, les Emirats arabes unis, Oman et le Yémen ont conjointement créé le projet de l'oléoduc pétrolier Trans-arabique. Les nouveaux oléoducs devaient être construits depuis la ville saoudienne de Ras Tanura dans le Golfe persique et les Emirats arabes unis vers le Golfe d'Oman (une canalisation vers l'Emirat Fujaïrah et deux canalisations vers Oman) et vers le Golfe d'Aden (deux canalisations vers le Yémen).» En 2012, la connexion entre Abou Dhabi et Fujaïrah, à l'intérieur des Emirats arabes unis, est devenue opérationnelle. Entre-temps, l'Iran et Oman avancent dans la signature d'un accord pour leur propre oléoduc. « La défiance vis-à-vis des intentions d'Oman ont augmenté l'attractivité de l'option Hadramaout au Yémen, un vieux désir de l'Arabie saoudite, » écrivait Buringa. Le président Saleh, toutefois, était un obstacle majeur aux ambitions saoudiennes. Selon Buringa, il «s'opposait à la construction d'un oléoduc sous contrôle saoudien sur le territoire yéménite. Durant de nombreuses années les Saoudiens ont investi sur les leaders tribaux dans l'espoir de réaliser ce projet avec le successeur de Saleh. En 2011 les soulèvements populaires des manifestants appelant à la démocratie ont contrarié ces plans. » Beaucoup de firmes hollandaises sont actives dans la conduite d'investissements conjoints au Royaume, comprenant la principale compagnie anglo-hollandaise Shell. En raison de la position des Pays-Bas comme un passage vers l'Europe, deux multinationales saoudiennes – la firme pétrolière nationale Aramco et le géant des pétrochimiques SABIC – ont leur siège européen à La Haye et Sittard, tous deux aux Pays-Bas. Les exportations hollandaises vers l'Arabie saoudite ont également nettement augmenté ces dernières années, avec une hausse de 25% entre 2006 et 2010. En 2013, l'Arabie saoudite a exporté un peu moins de 34 milliards d'euros (38,5 milliards de dollars) de combustibles fossiles vers les Pays-Bas, et importé des Pays-Bas un peu plus de 8 milliards d'euros (9 milliards de dollars) de machines et matériel de transport, 4,8 milliards d'euros (5,4 milliards de dollars) de produits chimiques, et 3,7 milliards d'euros (4,2 milliards de dollars) de denrées alimentaires et d'animaux.