Il semble bien que certains responsables n'aient pas réagi du fait qu'ils reprennent le même constat dressé par certains experts depuis de longues années sans avoir apporter des solutions, vivant de l'illusion de la rente éternelle. Ainsi, le ministre des Finances après avoir décidé d'intégrer le capital argent au sein de la sphère informelle au sein de la sphère réelle, résultats très mitigés pour ne pas dire un échec, vient d'annoncer le 25 janvier 2016 qu'il s'agit d'intégrer la sphère informelle afin que les indicateurs statistiques puissent mieux refléter la réalité économique du pays, rappelant une vérité connue depuis longtemps que des sphères économiques et sociales n'étaient pas encore couvertes par les statistiques tels que l'emploi et les flux de capitaux et de marchandises du secteur informel. Pourquoi alors avoir mis la charrue avant les bœufs, cette mesure étant une condition préalable? Je l'invite à relire l'étude opérationnelle réalisée sous ma direction pour l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI- 8e Think Tank mondial ParisFrance décembre 2013) intitulé «le poids de la sphère informelle au Maghreb et impacts géostratégiques» où en 2012, selon les données officielles de la banque d'Algérie et du ministère du Commerce, cette sphère contrôlait 50 milliards d'euros au cours de l'époque. En 2014 le premier ministre annonçait le montant de 37 milliards de dollars. Cette sphère est hétérogène, contrôlant des segments importants de l'économie, utilise de la monnaie fiduciaire (billets de banques) au lieu de la monnaie scripturale (chèques) ou électronique faute de confiance favorisant la hausse des prix, la corruption et donc le divorce Etat/citoyens et la détérioration du pouvoir d'achat des Algériens. Comme j'ai eu à l'affirmer dans plusieurs contributions depuis 15 années, ( voir www.google.com ), son intégration au sein de la sphère réelle ne peut relever d'un seul département ministériel devant impliquer la présidence, chefferie du gouvernement, les services de sécurité, et tous les départements ministériels dont les finances, la justice, l'intérieur etc.) et ce avec la participation réelle des segments de la société civile. (1).terrain. 1. Comment définir la sphère informelle et la quantifier ? Le concept de «secteur informel» apparaît pour définir toute la partie de l'économie qui n'est pas réglementée par des normes légales. En marge de la législation sociale et fiscale, elle a souvent échappé à la Comptabilité Nationale et donc à toute régulation de l'Etat, encore que récemment à l'aide de sondages, elle tend à être prise en compte dans les calculs du taux de croissance et du taux de chômage. Il y a lieu de différencier la sphère informelle productive qui crée de la valeur de la sphère marchande spéculative qui réalise un transfert de valeur. L'économie informelle est donc souvent qualifiée de «parallèle», «souterraine», «marché noir» et tout cela renvoie au caractère dualiste de l'économie, une sphère qui travaille dans le cadre du droit et une autre sphère qui travaille dans un cadre de non droit, étant entendu que le droit est défini par les pouvoirs publics en place. Pour les économistes, qui doivent éviter le juridisme, dans chacun de ces cas de figure nous assistons à des logiques différentes tant pour la formation du salaire et du rapport salarial, du crédit et du taux d'intérêt qui renvoient à la nature du régime monétaire dualiste. La formation des prix et des profits dépendent dans une large mesure de la forme de la concurrence sur les différents marchés, la différenciation du taux de change officiel et celui du marché parallèle, de leur rapport avec l'environnement international (la sphère informelle étant en Algérie mieux insérée au marché mondial que la sphère réelle) et en dernier lieu leur rapport à la fiscalité qui conditionne la nature des dépenses et recettes publiques, en fait par rapport à l'Etat, le paiement de l'impôt direct étant un signe d'une plus grande citoyenneté, les impôts indirects étant injustes par définition puisque étant supportés par tous les citoyens riches ou pauvres. Aussi, l'économie informelle est réglée par des normes et des prescriptions qui déterminent les droits et les obligations de ses agents économiques ainsi que les procédures en cas de conflits ayant sa propre logique de fonctionnement qui ne sont pas ceux de l'Etat, nous retrouvant devant un pluralisme institutionnel/juridique contredisant le droit traditionnel enseigné aux étudiants d'une vision moniste du droit. Quelles sont les méthodes de quantification de cette sphère (voir notre étude IFRI pour plus de détail)? Plusieurs approches peuvent être utilisées pour évaluer l'activité dans le secteur informel. La ou les approches choisies dépendront des objectifs poursuivis, qui peuvent être très simples, comme obtenir des informations sur l'évolution du nombre et des caractéristiques des personnes impliquées dans le secteur informel, ou plus complexes, comme obtenir des informations détaillées sur les caractéristiques des entreprises impliquées, les principales activités exercées, le nombre de salariés, la génération de revenus ou les biens d'équipement. Le choix de la méthode de mesure dépend des exigences en termes de données, de l'organisation du système statistique, des ressources financières et humaines disponibles et des besoins des utilisateurs, en particulier les décideurs politiques participant à la prise de décisions économiques. Nous avons l'approche directe ou microéconomique fondée sur des données d'enquêtes elles-mêmes basées sur des réponses volontaires, de contrôle fiscal ou de questionnaires concernant tant les ménages que les entreprises. Elle peut aussi être basée sur la différence entre l'impôt sur le revenu et le revenu mesuré par des contrôles sélectifs. Nous avons l'approche indirecte ou macroéconomique basée sur l'écart dans les statistiques officielles entre la production et la consommation enregistrée. On peut ainsi avoir recours au calcul des écarts au niveau du PIB (via la production, les revenus, les dépenses ou les trois), de l'emploi, du contrôle fiscal, de la consommation d'électricité et de l'approche monétaire. Les méthodes directes sont de nature microéconomique et basées sur des enquêtes ou sur les résultats des contrôles fiscaux utilisés pour estimer l'activité économique totale et ses composantes officielles et non officielles. Les méthodes indirectes sont de nature macroéconomique et combinent différentes variables économiques et un ensemble d'hypothèses pour produire des estimations de l'activité économique. Elles sont basées sur l'hypothèse selon laquelle les opérations dissimulées utilisent uniquement des espèces ; ainsi, en estimant la quantité d'argent en circulation, puis en retirant les incitations qui poussent les agents à agir dans l'informalité (en général les impôts), on devrait obtenir une bonne approximation de l'argent utilisé pour les activités informelles. Les méthodes basées sur les facteurs physiques utilisent les divergences entre la consommation d'électricité et le PIB. Cette méthode a ses limites car elle se fonde sur l'hypothèse d'un coefficient d'utilisation constant par unité du PIB qui ne tient pas compte des progrès technologiques. Enfin, nous avons l'approche par modélisation développée par Frey et Weck et approfondie par Laurent Gilles, qui consiste à utiliser le modèle des multiples indicateurs - multiples causes (MIMIC) pour estimer l'indice de l'économie informelle. Cette approche présuppose l'existence de plusieurs propagateurs de l'économie informelle incluant la lourdeur de la réglementation gouvernementale et l'attitude sociétale envers la bonne gouvernance. En fait, pour une analyse objective et opérationnelle, on ne peut isoler l'analyse de la sphère informelle du mode de régulation mis en place c'est-à-dire des institutions et en Algérie. L'extension de la sphère informelle est proportionnelle au poids de la bureaucratie qui tend à fonctionner non pour l'économie et le citoyen mais en s'autonomisant en tant que pouvoir bureaucratique. Dans ce cadre, il serait intéressant d'analyser les tendances et des mécanismes de structuration et restructuration de la société et notamment des zones urbaines, sub -urbaines et rurales face à la réalité économique et sociale des initiatives informelles qui émergent impulsant une forme de régulation sociale. Cela permettrait de comprendre que face aux difficultés quotidiennes, le dynamisme de la population s'exprime dans le développement des initiatives économiques informelles pour survivre, ou améliorer le bien-être, surtout en période de crise notamment pour l'insertion sociale et professionnelle de ceux qui sont exclus des circuits traditionnels de l'économie publique ou de la sphère de l'entreprise privée. 2 -Quelle est l'évolution de la sphère informelle en Algérie ? Nous avons deux périodes, la première pouvant aller de l'indépendance à 1986/1990 (période de la chute du cours des hydrocarbures) et la période des années 1990 à nos jours avec quelques variantes entre 2003/2015. La première période se caractérise par la gestion administrative centralisée qui avait consacré le système de l'Etat-providence prônant le plein emploi par le moyen de sureffectifs dans les entreprises publiques et les administrations pour acheter, du moins temporairement, la paix sociale. Durant cette période, l'Etat fixe les prix, les salaires, le taux d'intérêt, le taux de change d'une manière administrative. Pour preuve on distribue des bénéfices même aux unités déficitaires et nous avons un quasi monopole sur toutes les activités. Encore, qu'avec l'envolée des prix du pétrole ces dernières années, la tentation est grande sous la pression populiste de revenir à l'ancienne période, ce qui serait suicidaire pour l'avenir du pays, montrant d'ailleurs qu'il y a un lien inversement proportionnel entre l'avancée des réformes et l'évolution du cours des hydrocarbures, réformes ralenties paradoxalement lorsque le cours est en hausse alors que cela devrait être le contraire si l'on veut préparer l'ère hors hydrocarbures. Comme conséquence des politiques de cette période et cela n'est pas propre à l'Algérie, les pays de l'ex camp communiste ont connu le même phénomène, nous assistons à l'extension de la sphère informelle où nous avons le prix fixé par l'Etat bas dont bénéficie une minorité qui devant également la rareté de l'offre nous trouvons ces mêmes marchandises sur le marché parallèle au prix du marché donnant des rentes de situation à une frange de monopoleurs issus du secteur d'Etat. Sur le plan externe les trafics aux frontières profitent de cette distorsion de prix, également sur le marché de la devise, pénalisant en dernier lieu le budget de l'Etat algérien. Pour la seconde période non achevée de 1994 à 2015, comme rappelée précédemment nous avons plusieurs variantes fonction des recettes de Sonatrach. Avec la crise où les recettes des hydrocarbures se sont effondrés ayant assisté sous la pression des évènements extérieurs à des réformes timides et la période de 1986 à nos jours avec le point culminant de 1994 date du rééchelonnement et de l'ajustement structurel, étant toujours dans cette interminable transition ni économie de marché concurrentielle, ni économie administrée expliquant d'ailleurs les difficultés de la régulation politique, sociale et économique. Entre 2003 à juin 2014 le cours élevé des hydrocarbures a permis des subventions généralisées et des assainissements des entreprises publiques pour calmer le front social contrairement aux années 1994/1999 où les entreprises publiques notamment ont subi des "plans sociaux'' qui se sont traduit par des dégraissages massifs. (A suivre)