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L'obligation de paiement par chèque sera-t-elle efficace ?
Publié dans La Nouvelle République le 29 - 06 - 2015

Face à la chute du cours des hydrocarbures, le gouvernement vient à nouveau de décider d'intégrer la sphère informelle au sein de la sphère réelle, une des mesures serait l'obligation à dater du 1er juillet 2015 de l'utilisation de chèques dans les transactions commerciales, cinq millions de dinars pour l'achat de biens immobiliers et un million de dinars pour l'achat de yachts ou bateaux de complaisance, matériel roulant et équipements industriels, de véhicules soumis à immatriculation auprès des concessionnaires automobiles ou autres distributeurs agréés etc. C'est une pratique normale dans les économies développées et sans décret. Or, en Algérie cette sphère hétérogène contrôle des segments importants de l'économie, utilise de la monnaie fiduciaire (billets de banques) au lieu de la monnaie scripturale (chèques) ou électronique faute de confiance favorisant la hausse des prix, la corruption et donc le divorce Etat/citoyens et la détérioration du pouvoir d'achat des Algériens. Rappelons que deux fois, ces décrets ont été publiés la première pour 50 000 dinars et une seconde fois pour 500 000 dinars mais qui n'ont jamais été appliqués (1).
1. Comment définir la sphère informelle et la quantifier ? Le concept de «secteur informel» apparaît pour définir toute la partie de l'économie qui n'est pas réglementée par des normes légales. En marge de la législation sociale et fiscale, elle a souvent échappé à la Comptabilité Nationale et donc à toute régulation de l'Etat, encore que récemment à l'aide de sondages, elle tend à être prise en compte dans les calculs du taux de croissance et du taux de chômage. Il y a lieu de différencier la sphère informelle productive qui crée de la valeur de la sphère marchande spéculative qui réalise un transfert de valeur. L'économie informelle est donc souvent qualifiée de « parallèle », « souterraine », « marché noir » et tout cela renvoie au caractère dualiste de l'économie, une sphère qui travaille dans le cadre du droit et une autre sphère qui travaille dans un cadre de non droit, étant entendu que le droit est défini par les pouvoirs publics en place. Pour les économistes, qui doivent éviter le juridisme, dans chacun de ces cas de figure nous assistons à des logiques différentes tant pour la formation du salaire et du rapport salarial, du crédit et du taux d'intérêt qui renvoient à la nature du régime monétaire dualiste. La formation des prix et des profits dépendent dans une large mesure de la forme de la concurrence sur les différents marchés. La différenciation du taux de change officiel et celui du marché parallèle, de leur rapport avec l'environnement international et en dernier lieu leur rapport à la fiscalité conditionne la nature des dépenses et recettes publiques, en fait leur rapport à l'Etat, le paiement de l'impôt direct étant un signe d'une plus grande citoyenneté, les impôts indirects étant injustes par définition puisque étant supportés par tous les citoyens riches ou pauvres. Aussi, l'économie informelle est réglée par des normes et des prescriptions qui déterminent les droits et les obligations de ses agents économiques ainsi que les procédures en cas de conflits ayant sa propre logique de fonctionnement qui ne sont pas ceux de l'Etat, nous nous retrouvons devant un pluralisme institutionnel/juridique contredisant le droit traditionnel enseigné aux étudiants d'une vision moniste du droit. Quelles sont les méthodes de quantification de cette sphère (voir notre étude IFRI pour plus de détail)? Plusieurs approches peuvent être utilisées pour évaluer l'activité dans le secteur informel. La ou les approches choisies dépendront des objectifs poursuivis, qui peuvent être très simples, comme obtenir des informations sur l'évolution du nombre et des caractéristiques des personnes impliquées dans le secteur informel, ou plus complexes, comme obtenir des informations détaillées sur les caractéristiques des entreprises impliquées, les principales activités exercées, le nombre de salariés, la génération de revenus ou les biens d'équipement. Le choix de la méthode de mesure dépend des exigences en termes de données, de l'organisation du système statistique, des ressources financières et humaines disponibles et des besoins des utilisateurs, en particulier les décideurs politiques participant à la prise de décisions économiques. Nous avons l'approche directe ou microéconomique fondée sur des données d'enquêtes elles-mêmes basées sur des réponses volontaires, de contrôle fiscal ou de questionnaires concernant tant les ménages que les entreprises. Elle peut aussi être basée sur la différence entre l'impôt sur le revenu et le revenu mesuré par des contrôles sélectifs. Nous avons l'approche indirecte ou macroéconomique basée sur l'écart dans les statistiques officielles entre la production et la consommation enregistrée. On peut ainsi avoir recours au calcul des écarts au niveau du PIB (via la production, les revenus, les dépenses ou les trois), de l'emploi, du contrôle fiscal, de la consommation d'électricité et de l'approche monétaire. Les méthodes directes sont de nature microéconomique et basées sur des enquêtes ou sur les résultats des contrôles fiscaux utilisés pour estimer l'activité économique totale et ses composantes officielles et non officielles. Les méthodes indirectes sont de nature macroéconomique et combinent différentes variables économiques et un ensemble d'hypothèses pour produire des estimations de l'activité économique. Elles sont basées sur l'hypothèse selon laquelle les opérations dissimulées utilisent uniquement des espèces ; ainsi, en estimant la quantité d'argent en circulation, puis en retirant les incitations qui poussent les agents à agir dans l'informalité (en général les impôts), on devrait obtenir une bonne approximation de l'argent utilisé pour les activités informelles. Les méthodes basées sur les facteurs physiques utilisent les divergences entre la consommation d'électricité et le PIB. Cette méthode a ses limites car elle se fonde sur l'hypothèse d'un coefficient d'utilisation constant par unité du PIB qui ne tient pas compte des progrès technologiques. 2 -Quelle est l'évolution de la sphère informelle en Algérie ? Nous avons deux périodes, la première pouvant aller de l'indépendance à 1986/1990 (période de la chute du cours des hydrocarbures) et la période des années 1990 à nos jours avec quelques variantes entre 2003/2015. La première période se caractérise par la gestion administrative centralisée qui avait consacré le système de l'Etat-providence prônant le plein emploi par le moyen de sureffectifs dans les entreprises publiques et les administrations pour acheter, du moins temporairement, la paix sociale. Durant cette période, l'Etat fixe les prix, les salaires, le taux d'intérêt, le taux de change d'une manière administrative. Pour preuve on distribue des bénéfices même aux unités déficitaires et nous avons un quasi monopole sur toutes les activités. Encore, qu'avec l'envolée des prix du pétrole ces dernières années, la tentation est grande sous la pression populiste de revenir à l'ancienne période, ce qui serait suicidaire pour l'avenir du pays, montrant d'ailleurs qu'il y a un lien inversement proportionnel entre l'avancée des réformes et l'évolution du cours des hydrocarbures, réformes ralenties paradoxalement lorsque le cours est en hausse alors que cela devrait être le contraire si l'on veut préparer l'ère hors hydrocarbures. Comme conséquence des politiques de cette période et cela n'est pas propre à l'Algérie, les pays de l'ex-camp communiste ont connu le même phénomène, nous assistons à l'extension de la sphère informelle où nous avons le prix fixé par l'Etat bas dont bénéficie une minorité qui devant également la rareté de l'offre nous trouvons ces mêmes marchandises sur le marché parallèle au prix du marché donnant des rentes de situation à une frange de monopoleurs issus du secteur d'Etat. Sur le plan externe les trafics aux frontières profitent de cette distorsion de prix, également sur le marché de la devise, pénalisant en dernier lieu le budget de l'Etat algérien. Pour la seconde période non achevée de 1994 à 2015, comme rappelée précédemment nous avons plusieurs variantes fonction des recettes de Sonatrach. Avec la crise où les recettes des hydrocarbures se sont effondrées ayant assisté sous la pression des évènements extérieurs à des réformes timides et la période de 1986 à nos jours avec le point culminant de 1994 date du rééchelonnement et de l'ajustement structurel, étant toujours dans cette interminable transition ni économie de marché concurrentielle, ni économie administrée expliquant d'ailleurs les difficultés de la régulation politique, sociale et économique. Entre 2003 et 2014, le cours élevé des hydrocarbures a permis des subventions généralisées et des assainissements des entreprises publiques pour calmer le front social contrairement aux années 1994/1999 où les entreprises publiques notamment ont subi des «plans sociaux» qui se sont traduit par des dégraissages massifs; La période 2015/2020 sera certainement caractérisée par des ajustements économiques et sociaux, impliquant un sacrifice partagé renvoyant à la morale, si l'on veut éviter le retour au FMI horizon 2020 et l'enjeu à l'avenir entre 2015/2020 qui sera plus douloureux est l'ajustement social de la fonction publique qui sera inévitable avec la réduction des emplois improductifs. Cette période qui commence donc vers les années 1990, est caractérisée par une libération des prix et la levée du monopole de l'Etat sur le commerce extérieur qui expliquent pour beaucoup les changements qui ont lieu dans l'économie informelle, changements sans la mise en place de nouveaux mécanismes de régulation dans la mesure où en économie de marché la fonction de l'Etat régulateur est stratégique. Ce qui explique que l'ouverture anarchique avec une tendance du passage d'un monopole d'Etat à un monopole privé beaucoup plus néfaste a donné lieu à de nouvelles pratiques informelles. Avec la consécration de la convertibilité commerciale du dinar en 1994, les sociétés d'import-export ont ainsi commencé à connaître une prolifération, la majeure partie de ces sociétés ayant été créées soit par des détenteurs de capitaux ou par d'anciens cadres du secteur public en quête de placements à gains à très court terme. Faute d'institutions solides s'adaptant à la nouvelle situation, car le contrôle s'avère de peu d'efficacité (sinon il faudrait une armée de contrôleurs avec des coûts faramineux), nous assistons à une multiplication des petites activités informelles se concentrant surtout dans le petit commerce et les services, comme mode de survie dans un marché de l'emploi en crise. A cet aspect, se sont greffés la fraude fiscale, la corruption et les détournements des fonds publics. 3- Quel est le poids de la sphère informelle ? La sphère informelle contrôle 40/50% de la masse monétaire en circulation et plus de 65% des produits de première nécessité : marché du poisson, de la viande rouge et blanche, le marché des fruits et légumes et à travers l'importation, le textile et le cuir, le secteur industriel étant marginal
représentant moins de 5% du produit intérieur brut et sur ces 5%, environ 95% sont des PMI/PME familiales, peu initiées au management stratégique. Environ 97/98% des exportations sont le fait des hydrocarbures à l'état brut ou semi brut y compris les dérivées et important 70% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées dont le taux d'intégration ne dépasse pas 15%, posant d'ailleurs un problème pour le retour au crédit à la consommation. Environ 70% du pouvoir d'achat des algériens et la valeur du dinar via les réserves de change sont corrélés à la rente des hydrocarbures. (Suivra)


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