L'indice des prix à la consommation (IPC) est l'outil de mesure de l'inflation le plus couramment utilisé dans le monde, y compris en Afrique. On peut toutefois se demander si les IPC reflètent de manière fiable les variations réelles du coût de la vie. Et si tel n'est pas le cas, en quoi biaisent-ils notre compréhension de l'évolution de la pauvreté dans la région ? L'IPC est calculé à partir d'un panier fixe et normalement représentatif de biens et services fournis sur le marché national afin de mesurer l'indice du coût de la vie. Pour suivre les tendances de la consommation, les pondérations du panier doivent être régulièrement actualisées, ce qui n'est souvent pas le cas. La plupart sont actualisées tous les 10 ans, voire plus rarement, et sont donc de moins en moins représentatives des articles achetés par les consommateurs. Ce problème touche particulièrement l'Afrique subsaharienne, notamment en raison de la faible fréquence des enquêtes sur le budget des ménages (qui permettent de calculer les pondérations du panier). En 2012, par exemple, seulement 2 % des habitants de cette région vivaient dans des pays où les paniers de l'IPC avaient été actualisés au cours des cinq dernières années. Et 13 % dans des pays utilisant des paniers fondés sur des données recueillies dans les années 90, voire auparavant ! Dans un document de référence récent intitulé CPI bias and its implication for poverty in Sub-Saharan African countries et produit dans le cadre du rapport Poverty in a Rising Africa (a), nous avons utilisé la méthode d'Engel (cf. articles de Costa 2001 [a] et Hamilton 2001 [a]) pour déterminer si et dans quelle mesure les IPC entraînent une erreur d'appréciation des variations du coût de la vie (que nous appelons «biais de l'IPC ») dans 16 pays africains présentant des données d'enquête comparables. Nos résultats suggèrent qu'en réalité, les IPC officiels surévaluent généralement les variations du coût de la vie et que, par conséquent, le recul de la pauvreté dans la région peut avoir été sous-estimé. L'analyse s'appuie sur la loi d'Engel, selon laquelle la part des dépenses d'alimentation dans le budget des ménages diminue avec l'augmentation du revenu réel. En valeur absolue, les dépenses alimentaires peuvent certes augmenter à mesure que le revenu des ménages s'accroît, mais en termes relatifs, la part de l'alimentation baisse. Toutefois, s'il apparaît qu'à long terme l'alimentation occupe une part décroissante (ou croissante) du budget des ménages possédant le même niveau de revenu réel (mêmes caractéristiques démographiques et prix relatifs similaires), cela peut, selon certaines hypothèses, signaler une erreur d'appréciation dans la façon dont les revenus nominaux sont corrigés en valeurs réelles (le fameux biais de l'IPC). À titre d'exemple, examinons les courbes d'Engel pour la République démocratique du Congo et l'Ethiopie représentées à la Figure 1 (estimations basées sur les prix relatifs, ainsi que sur la taille et la composition des ménages). Les courbes en trait plein (courbes de référence) correspondent aux enquêtes les plus anciennes. Les courbes en pointillés se rapportent à l'année de la dernière enquête. À long terme, la part des dépenses alimentaires dans le budget des ménages aux caractéristiques démographiques similaires devrait rester identique. Autrement dit, si les revenus nominaux des ménages ajustés pour tenir compte de l'IPC reflètent les revenus réels, les courbes d'Engel de différentes périodes devraient se chevaucher, ce qui n'est manifestement pas le cas ici. Le fait que les courbes des dernières enquêtes soient situées au-dessous des courbes de référence suggère que les IPC surévaluent les variations du coût de la vie réel dans ces pays. Les ménages consacrant une même part de leur budget à l'alimentation semblent avoir des revenus inférieurs par rapport aux années précédentes. Dans 13 pays sur 16 inclus dans notre étude, le biais de l'IPC est positif pendant les périodes visées, ce qui suggère que les ménages ont alloué une part de leur budget à l'alimentation comme si le coût de la vie réel augmentait plus lentement que le rythme indiqué par l'IPC. Le biais haussier moyen varie de 0,7 % par an au Cameroun à 30,5 % par an en Tanzanie. Quelles sont les conséquences sur l'évaluation de la pauvreté ? Nous avons effectué un exercice de simulation ou nous utilisons le seuil de pauvreté international de 1,90 dollar par jour en taux de change PPA (parité de pouvoir d'achat) de 2011. Pour les années de référence et de comparaison, ce seuil de pauvreté est converti en monnaie nationale sur la base des PPA et de l'inflation nationale en 2011, telles qu'elles sont mesurées par les IPC officiels dans ces pays (dans PovcalNet notamment). Nous comparons ensuite ce taux de réduction de la pauvreté à d'autres statistiques, pour lesquelles le seuil de pauvreté est actualisé entre les années de base et de comparaison en fonction du taux d'inflation suggéré par la méthode d'Engel. On pourrait s'attendre à ce que la réduction de la pauvreté corrigée du biais soit plus importante que la réduction de la pauvreté rapportée dans les pays où l'IPC surévalue l'inflation, et l'opposé devrait être vrai dans les pays où l'IPC sous-évalue l'inflation. La Figure 2 résume les variations de la pauvreté après correction du biais de l'IPC. Nous constatons des révisions significatives pour certains pays : la différence de réduction de la pauvreté annualisée s'étend d'environ 5 points de pourcentage en plus au Ghana à 6 points de pourcentage en moins en Tanzanie. Dans la plupart des pays, la correction du biais de l'IPC entraîne une sous-évaluation de la réduction de la pauvreté (valeur négative sur la Figure 2). Cependant, les résultats vont à l'opposé dans quelques pays, signalant une surévaluation de la réduction de la pauvreté lorsque l'on tient compte de l'IPC (valeur positive sur la Figure 2). Comment interpréter ces résultats ? Naturellement, il convient de rester prudent. La méthode d'Engel utilisée ici se fonde sur plusieurs hypothèses, dont des paramètres stables, qu'il nous est impossible de tester formellement. En outre, les IPC reflètent par nature l'inflation pesant sur les ménages situés entre le 70e et le 90e centile de la répartition des revenus. En revanche, les courbes d'Engel de notre étude sont largement représentatives de la population urbaine, car dans tous les pays sauf quatre, la collecte de données sur l'IPC était géographiquement restreinte et seuls les ménages urbains ont été utilisés pour l'estimation. Par conséquent, l'écart d'inflation mesuré peut refléter en partie les écarts de taux d'inflation entre différentes tranches de revenus. Des recherches doivent être menées sur d'autres périodes et dans d'autres pays, notamment des zones rurales, afin de tirer des conclusions définitives sur le biais de l'IPC et son impact sur l'évolution de la pauvreté en Afrique. Néanmoins, la confirmation de ces résultats serait une bonne nouvelle : cela signifierait que la pauvreté dans de nombreux pays africains a reculé plus rapidement que nous le pensons actuellement.