La nouveauté est que, d'arme offensive à l'assaut de l'Eurasie, la «révolution colorée» se transforme de plus en plus en moyen coercitif défensif pour faire rentrer dans le rang des pays théoriquement alliés mais qui ont de dangereuses tendances à l'émancipation. Cela en dit long sur le reflux US. Il y a une décennie, les «révolutions de couleur» visaient à encercler la Russie - Ukraine, Géorgie, Kirghizstan, etc. Depuis deux ans, elles sont beaucoup moins ambitieuses et ont surtout pour objectif de colmater les brèches d'un système qui prend l'eau : Macédoine (pour empêcher le passage de l'extension du Turk Stream), Hongrie (pour tenter de mettre au pas l'électron libre Orban, peu soumis à l'UE et susceptible de se rapprocher de Poutine). Le dernier exemple en date pourrait bien être la Pologne du PIS, parti conservateur démocratiquement élu et peu en odeur de sainteté à Washington, donc à Bruxelles. C'est notamment ce que pense un journaliste d'investigation polonais réputé, Witold Gadowski. Le parallèle avec le Maidan ukrainien est en effet troublant. Diabolisation du gouvernement dans le caniveau les médias occidentaux, protestations de rue (pour l'instant assez légères), grandes sorties d'hommes de paille du système sur la «dictature» qui s'installerait en Pologne (la palme de la crétinerie revenant à l'ancien Premier ministre belge qualifiant le PIS de «nazis»). Quand tous ces gens (dont l'inévitable Soros) se mettent à prendre des grands airs, il y a du coup d'Etat dans l'air... Cela dit, certains doutent de la réalité d'un Maidan polonais en recourant à un argument de bon sens : le PIS étant anti-russe, quel intérêt y aurait-il pour Washington et Bruxelles à déstabiliser la Pologne ? Au premier regard, l'argument fait mouche. Au premier regard seulement... Il y a anti-russe et anti-russe. Le PIS n'a certes aucun penchant pour Moscou, mais il n'en a pas beaucoup plus pour Bruxelles. L'anti-russisme du PIS, c'est l'anti-troyisme d'Achille face à Hector : deux ennemis déclarés, mais qui se respectent et ont une certaine estime l'un pour l'autre. Au-delà de leurs différends, Poutine et Kaczynski partagent beaucoup de valeurs : même attachement sourcilleux à leur souveraineté nationale, même conception de la société (plutôt conservatrice et religieuse) ; ils sont tous deux atterrés par ce qu'ils considèrent comme étant la décadence civilisationnelle des pays occidentaux, la perte de leurs racines, morale et culture. Kaczynski frère avait accepté l'invitation de Poutine en 2010, une sorte de paix des braves entre deux pays souverains. Et hop, un accident d'avion tombe à point nommé pour ne pas aller plus avant dans le réchauffement des relations polono-russes. Le défunt est remplacé par le clown américano-polonais Donald Tusk, libéral malléable et gluant aux ordres directs de Washington. Le système pousse un grand ouf de soulagement... Et voilà que ça recommence avec l'autre frère ! La récente victoire du PIS a fait sonner quelques alarmes rouges à Bruxelles et outre-Atlantique, c'est certain. Des leviers, notamment médiatiques, ont été actionnés, on le voit. Les croisés des «révolutions de couleur» sont sortis de leur retraite. Il n'est pas sûr que cela finisse en Maidan polonais, mais ne pas s'interroger relèverait d'une grande naïveté. Redisons-le ici, rien n'est sûr, mais un lecteur averti en vaut deux. Il se pourrait qu'on approche lentement mais sûrement de l'instant T... (Suite et fin)