Début juin, les frimas semblent oubliés, le temps est à la chaleur et le soleil fait son œuvre. L'été arrive et les bonnes couleurs aussi. Dans l'ordre des choses, la culture s'immisce dans les cimaises et le retour de certaines images s'impose dans les inspirations les plus fécondes. C'est ainsi que cet espace flamboyant qu'est l'Espaco revient nous montrer une très belle exposition après celle de Salah Malek, Adlène Samet, avec quelques évènements collectifs de bonne cuvée. Voici que les années 1980 s'installent sur les murs depuis quelques jours. Retour à la peinture, sensation de nostalgie et geste essentiel en récurrence pour un groupe de plasticiens qui a marqué la scène picturale depuis longtemps avec un essor particulier justement dans ces fameuses années 1980 qui ont été le climax de la création. A la carte de ce « repas » de luxe, Hellal Zoubir, Arezki Larbi, Salah Malek, Akila Mouhoubi, Mustapha Nedjaï, Mostafa Goudjil qui imposent de fait un regard novateur, emblématique d'une nouvelle génération héritée chronologiquement des grands peintres connus. Les six ici présents sont en moyenne natifs des années 1950, dans la dernière ligne droite d'une révolution artistique aussi réalisée par les natifs des années 1930, dans un couronnement festif réalisé du 13 au 21 juillet 1962 à la salle Ibn Khaldoun. Nos amis, encore enfants, vont prendre le relais dans le regard des anciens de la première génération. Les six constitutifs de la « seconde génération dite des 1950 » apportent le renouveau postindépendance, l'attrait au patrimoine prend une autre direction, il est absous de nostalgie ou d'une appartenance marquée à une terre, à une tradition, l'esthétique est subtile, moderne, quasiment propice à la naissance de cette contemporanéité si attendue dans ce que l'on aurait pu appeler une « movida » à l'algérienne. Il faut dire que l'époque était préparée naturellement à cela par l'émergence de nombreux lieux d'expositions et des contingences d'énergies diverses qui avaient donné le « La » à de nombreux artistes portés par l'ouverture de 1988 aussi. Boutella, Mami, Khaled, Fadéla et Sahraoui avaient aussi accompagné l'essor des Salah Malek, Hellal Zoubir, Mustapha Nedjaï, Akila Mihoubi, Mostafa Goudjil, Abdelhouab Mokrani, et bien d'autres dans cette veine d'ouverture qui a donné en réalité les fondements d'une nouvelle modernité dont les retombées se font apprécier à nos jours avec comme un sentiment d'aboutissement dont cette exposition se fait l'emblème. Arezki Larbi revient à ses premières amours minimalistes, un peu organiques, il nous propose une œuvre magistrale, fine, philosophique avec ses collages en papiers entrepris dans une délicate alchimie de la sérénité...des travaux composés et pliés de bien belle manière sur deux dimensions pour prendre place sur un support peint comme autant d'éléments minéraux qui imposent le paradoxe d'une intimité chaleureuses dont Arezki Larbi, tout naturellement, nous fait montre, sur ces étapes, la combinaison de force et de sagesse tranquille nous donne une autre idée du collage. Signées aussi en 2016, les pièces à l'acrylique de Mustafa Goudjil restent en fraîcheur référencées sur les notes andalouses et les quadratures architecturales passées, l'interprétation de ces formes qui restent d'une actualité poignante sont les étapes d'un passage d'un passé à un présent exigeant très intéressant. Mostafa conjugue des éléments décoratifs et architecturaux anciens, pour nous les restituer à travers une esthétique à l'acrylique dans une forme d'originalité de fait, juste par la grâce d'un talent qui élimine l'ironique, juste au bénéfice du...clin d'œil, l'œuvre de Goudjil n'est jamais gratuite, et c'est là son empreinte. Entre sérigraphies, collages, gouache, et compositions en cercles créées en 1986 et en 1991, Akila Mouhoubi nous emmène de plain pied dans les voies de l'expérimentation. La plasticienne d'une discrétion exemplaire tait ses douleurs et ses blessures intime dans une attitude quasi mystique, elle se révèle petit à petit dans une approche très détaillée sur quelques pistes de gouache, de sérigraphie qui ne laissent pas apparaître l'aspect technique du tirage, nous donnant à voir des notes composées de couleurs justes posées comme des viatiques à quelques mystères ésotériques dont elle seule a le secret. Ses pistes peintes sont autant de curiosité à découvrir ou à redécouvrir à tout prix. Les mixtes de Mustapha Nedjaï entre Pop Art estampillé en 2014 et une nouvelle figuration montrent une succession de pièces toutes aussi curieuses les unes que les autres, entre tirages, et incursions dessinées, il nous perd en conjonctures pour essayer de voir la stylistique qui ouvre la porte de quelques notes contemporaines attirantes et tout simplement attachantes si l'on considère aussi les référents en hommage à la déferlante de Hokusai qui chez Nedjaï perd sa couleur d'origine pour nous laisser sur 2 mètres 10, plus loin, un « étang infecté» qui sait dire ce qu'il y a à dire... Et puis, les sculptures en résine et pigments noirs de Salah Malek, entre référence aux scribes égyptiens ou à quelques vénus allongées, grandes pièces pigmentées d'un noir profond, incitation à la déférence, de quelle déférence s'agit-il, il va sans nul doute être sûr que le plasticien Salah Malek emporte avec lui son secret, laissant pour nous l'ébahissement et le regard fixe sur une œuvre insolite. Zoubir Hellal revient avec des étapes peintes et dessinées entre 1983 et 1997, nous montrer ses fameuses compositions hétéroclites au succès inoubliable, entre «Antar et Abla», ses jarretelles affriolantes et ses scènes interlopes découvrant les valeurs esthétiques de l'acrylique, des touches graphiques sur compositions érotisantes dont seul Zoubir avait le secret. Entre ironie et clin d'œil à l'esthétique « Raï », le plasticien avait déjà réussi à l'époque à nous intégrer dans un univers où il avait crée les délires plastiques d'une nouvelle figuration peu admise à l'époque par son audace et les «entrées» par effraction dans de nouvelles propositions peintes. Audacieux, lumineux, Zoubir Hellal, dans sa rétrospective, reste égal à lui-même, un grand artiste. En tout cas, cette exposition vient à point nommé, illustrer une étape, aussi modeste soit-elle qui illustre juste une partie d'une période qui a été charnière dans la création algérienne car révélatrice de l'émergence effective d'une nouvelle peinture algérienne, l'intérêt est là en fait, à visiter donc de toute urgence, le lieu est parfait pour toutes les pérégrinations... Exposition «Les 80», avec Akila Mouhoubi, Arezki Larbi, Salah Malek, Mostafa Goudjil, Mustapha Nedjaï, Zoubir Hellal. Visible pour Juin et Juillet à l'Espaco, résidence CMB, 196, Oued Terfa, El Achour, entrée libre, renseignements au 0558 28 10 16