L'intervention inattendue d'une partie de l'armée turque, dans la nuit de vendredi à samedi, pour renverser l'indétrônable autocrate Recep Tayyip Ergdogan aurait pu être fatale à ce dernier si l'opération avait été mieux préparée. Car les mutins qui ont pris cette initiative n'avaient pas pris le soin de préparer l'opinion à une éventuelle intervention. Ce qui a fait que la population a largement contesté l'action des militaires qui rappelle celle des putschistes des pays d'Afrique et d'Amérique latine des années soixante-dix. En annonçant dans un communiqué «avoir pris le pouvoir» pour le maintien de l'ordre démocratique et des droits de l'Homme», que «toutes les relations internationales sont maintenues» et que «l'Etat de droit doit rester une priorité», les militaires rebelles n'avaient certainement pas prévu un retournement de situation en leur défaveur. Du coup, cet échec risque de raffermir davantage le président Erdogan qui est visé par cet énième coup de force. Il reste à tirer les leçons de cette mésaventure. Si rien a priori ne présageait un tel bouleversement dans cette conjoncture à Ankara, il est un fait établi que les relations entre l'armée et le président Erdogan ont toujours été complexes et empreintes de méfiance mutuelle. Déjà, en 2009, près d'une centaine d'officiers supérieurs de l'armée ont été évincés par un Premier ministre grisé par le pouvoir et appuyé de l'extérieur par les principales capitales occidentales. En retrait depuis des années, les militaires n'en jamais accepté pour autant les dérives accumulées par le nouveau sultan d'Ankara qui a arrimé son pays à la confrérie des Frères musulmans, et engagé son armée dans des conflits régionaux qui ont fini par l'épuiser. Les héritiers du kémalisme, très présents aussi dans la société, sont ainsi indignés de voir leur pays glisser peu à peu vers une théocratie qui parraine la nouvelle internationale islamiste, dont le siège est installé à Istanbul, la capitale historique de l'Empire ottoman. Mais ce qui a dû davantage irrité les militaires dans la démarche d'un président aventurier, c'est son engagement zélé aux côtés de l'Otan, et surtout son implication directe dans le conflit syrien, où Ankara continue, avec ses alliés occidentaux et arabes, à appuyer ouvertement les groupes armés rebelles dans leur guerre contre le régime syrien de Bachar Al-Assad. Les observateurs de la scène internationale sont unanimes à considérer que c'est bien cet engagement actif et aveugle des Turcs sur le front syrien qui est à l'origine de la série d'attentats meurtriers qui ont secoué la Turquie depuis quelques mois. Un retour de flamme qui n'a, d'ailleurs, pas épargné les pays occidentaux ayant une part plus ou moins active dans les conflits armés au Moyen-Orient. Ces déboires successifs et illimités ont fini par discréditer la politique d'Erdogan aux yeux des militaires qui sont les premiers à en payer le prix. L'épreuve de bras de fer qu'il avait engagé avec la Russie, en ordonnant d'abattre un avion de l'armée russe en novembre 2015, fut sans doute le point culminant. A un moment, Erdogan ne pouvait plus justifier sa politique interventionniste, et donnait même l'impression d'être dépassé par les événements. Ce qui l'avait amené à normaliser ses relations avec Moscou et à calmer ses ardeurs en Syrie. Les mutins ont profité de ce moment de faiblesse pour intervenir et tenter de l'évincer.