La Turquie a fait savoir avec insistance dès les premiers mois de la révolte en Syrie contre le régime de Bachar El-Assad qu'elle considérait comme agression tout incident à sa frontière avec ce pays qui viserait des citoyens turcs ou s'étendrait à son territoire. Les autorités turques font pourtant profil bas après avoir admis qu'un de leurs avions a été abattu vendredi par les Syriens. Elles sont contraintes à cette attitude parce que l'incident dévoile que ce n'est pas Damas qui fait dans l'agression à l'égard de la Turquie mais l'inverse. Les autorités turques sont en effet clairement coupables de violation de la souveraineté nationale du pays voisin. Il est clair que l'avion abattu ne survolait pas le ciel syrien pour une mission humanitaire et que pour le moins il était chargé d'une opération à des fins d'espionnage des concentrations et mouvement de l'armée syrienne engagée dans le combat contre les forces armées de la rébellion. S'il y a en cette affaire «casus belli», ce n'est pas à Damas qu'il faut l'imputer mais à Ankara. Cela est tellement flagrant que les Turcs s'empressent de calmer le jeu et ne font pas dans la dramatisation de l'incident. Pour autant, l'Etat turc s'adonne à un jeu trouble dans la crise syrienne. Alors qu'il pratique les bons offices dans d'autres crises régionales, il se situe dans le cas syrien aux côtés des puissances prêchant l'intervention armée étrangère contre le régime de Damas et aidant ouvertement financièrement et en armement les rebelles syriens. L'option que prêche la Turquie et ces puissances étant mise en échec au Conseil de sécurité par la Russie et la Chine, Ankara est tenté et encouragé à créer le prétexte qui permettrait aux «interventionnistes» de contourner l'obstacle russo-chinois à New York. La multiplication d'«incidents» à la frontière turco-syrienne peut en être un que les autorités d'Ankara pourraient instrumentaliser pour mettre le régime de Damas au banc des accusés au sein de l'opinion internationale, déjà terriblement désinformée et intoxiquée par une présentation manipulatoire de ce qui se passe en Syrie et sur les rôles des protagonistes de la crise qui secoue ce pays. Il est pour le moins interpellant que les médias occidentaux qui rapportent l'incident de l'avion turc abattu ne font nullement état qu'en l'occurrence les autorités turques sont coupables de violation de l'espace aérien syrien. Leur interprétation des faits tourne autour de la seule interrogation sur ce que ces autorités pourraient entreprendre contre le régime de Damas suite à cet incident. Et leur souhait secret serait que la Turquie franchisse militairement le Rubicon dans la crise syrienne et invoque alors les clauses du pacte de l'OTAN à laquelle elle appartient pour obtenir son assistance. La crise syrienne a atteint une cote d'alerte qui rend envisageables les scénarios les plus dramatiques. Celui d'une intervention étrangère avec la Turquie en première ligne n'est pas à exclure. La Turquie a certes paru s'être mise en retrait ces derniers mois dans l'affaire syrienne. Rien ne dit qu'elle s'en tiendra à cette position, si les Etats-Unis, l'Europe et certaines puissances régionales notamment l'Arabie et le Qatar accentuent sur elle les pressions pour qu'elle soit plus «active» en vue du dénouement de la crise syrienne. La Turquie perdra à ce jeu car il se produira inéluctablement extension du conflit à toute la région et Ankara n'en tirera aucun profit, au contraire elle se verra confrontée à d'inexpugnables inimités internationales et à de graves dissensions intérieures.