Cela est une évidence. La presse écrite traverse une crise majeure. Certains éditeurs ont claqué la porte, d'autres envisagent sérieusement de jeter l'éponge, n'en pouvant plus de tirer le Diable par la queue dans le but de se maintenir à flot. Ce choc qui engage la survie de la presse écrite, pourtant encore si jeune, en Algérie, peut être amorti et ses effets réduits. Pour peu que... L'inquiétude gagne, en effet, du terrain au sein d'une corporation redoutant que des titres de la presse quotidienne traitant de l'information générale et politique, et symboliquement liés à son histoire et à son parcours, ne disparaissent faute de soutien structurant qui permette de tracer une véritable perspective d'avenir à ce métier dans notre pays. Depuis quelques temps, la presse papier n'en finit pas de subir les épreuves de la disette avec le recul des recettes publicitaires, que viennent seconder des pressions commerciales, fiscales et parafiscales qui ont pour effet de décourager les professionnels de l'information, déjà éprouvés, eux dont le métier est de porter et de promouvoir, avec la classe politique et la société civile, l'expression plurielle indispensable à l'édifice démocratique. Au vu de la situation actuelle, n'importe quel titre de la presse nationale, quels que soient son rôle et sa place dans la cartographie du pluralisme médiatique, est susceptible de mourir. Si auparavant le processus de disparition était lent et procédait d'une dégradation naturelle liée à des phénomènes endogènes, il en est tout autrement aujourd'hui, où le processus a pris un rythme plus accéléré à travers des situations de difficultés financières liées à la sécurité sociale, au fisc, aux imprimeries et, surtout, aux salaires. L'accumulation des difficultés endogènes et exogènes finit par produire les conditions d'une disparition foudroyante sur des titres dont la dimension ne pouvait permettre que l'on pense un jour les voir ainsi disparaître. A l'instar d'autres pays, la presse écrite algérienne vit une crise actuellement sans précédent en considération du mode d'intendance qui lui est imposé par les lois régissant les entreprises au sens le plus large. Pourtant, à y regarder de plus près, on remarquera que la spécificité managériale d'une entreprise de presse ne peut que creuser des déficits quand celle-ci, par ailleurs, s'impose une gestion saine et transparente. Nonobstant les autres facteurs contraignants de faisabilité d'un quotidien, ces dernières années est apparue sur le marché de l'information une farouche concurrence infligée par le Net, les chaînes d'information et les radios, ces deux derniers médias marquant une présence dynamique sur internet. Ces faits majeurs ont fait perdre à la presse une partie de son lectorat et, conséquemment, des parts considérables du marché publicitaire. Les moyens technologiques dont disposent les médias lourds et électroniques permettent de donner l'information de manière continue et instantanée à l'adresse des auditeurs, téléspectateurs et internautes quel que soit l'endroit où ils se trouvent. Ces nouveaux services accédant au public de manière immédiate et directe augmentent leurs audiences au détriment de la presse écrite, obligée, elle, de fournir la même information au moins 12 heures plus tard. Cette transmutation des moyens de communication de l'information générale et politique par des outils technologiques révolutionnaires n'a pas affaibli que la presse papier algérienne. Sur les cinq continents, la presse écrite a vu sa clientèle se réduire. Pour éviter de disparaître, tous les journaux, dont de grands titres ont été assistés, tels Le Monde qui a empoché une subvention de plus de 16 millions d'euros en 2013, le New York Times, The Washington Post, Le Figaro du sénateur Dassault qui a reçu 85,9 millions d'euros en 5 ans, et bien d'autres titres ayant pâti de l'augmentation des charges et des baisses de recettes publicitaires. Ils n'ont survécu que grâce à des subventions étatiques versées directement ou parce qu'ils se sont adossés à des firmes puissantes. Autrement lu, les aides à la presse écrite avec l'entrée dans le marché des nouveaux modes de communication de l'information deviennent indispensables. Si ailleurs dans le monde ces subventions sont révélées par la Cour des comptes et sont légalisées par des décrets, en Algérie, elles se limitent à la publicité que fournit l'Anep. Dans tous les pays développés croyant aux sacro-saints principes et bienfaits de la concurrence et de la liberté d'entreprise, l'aide multiforme à la presse papier demeure une obligation et une nécessité indispensable pour démocratiser l'information. Dans ce registre de subventions publiques à la presse écrite, il y a lieu d'enregistrer d'autres formes de soutien comme les abattements fiscaux, y compris pour le personnel affilié et assimilé. Par ailleurs, il est important de reconnaître que la corporation, face à la concurrence des moyens d'information qu'offrent les nouvelles technologies, ne s'est guère souciée de s'organiser autour d'un syndicat représentant les éditeurs ou dans le cadre d'une association en mesure de constituer un véritable interlocuteur des pouvoirs publics. Si des groupements se sont constitués, il faut convenir qu'il s'agissait plus d'unions non organiques et non professionnelles fédérées sur des bases d'ententes politiques et idéologiques. Cela est accentué par le fait que les pouvoirs publics n'ont pas exprimé une vision claire du rôle de ce média dans la vie politique du pays, comme c'est le cas dans les autres pays concédant une grande importance à la mission de la presse écrite dans l'édifice sociétal, démocratique et culturel. Cet ensemble d'aléas négatifs est amplifié par un système de distribution où les regroupeurs font la loi en faisant payer les éditeurs pour assurer le dispatching des titres, sans pour autant rendre compte des ventes et des invendus. Toutes les méventes sont écoulées sur le marché noir du papier-journal à 25 DA le kilo à des transformateurs sans que les éditeurs n'en bénéficient. L'Algérie est le seul pays au monde où les éditeurs ne sont pas organisés en coopérative. Des sommes colossales vont dans les poches des distributeurs, voilà l'une des raisons aggravant les malheurs de la presse écrite, empêchant les éditeurs de faire fructifier les fonds propres de l'entreprise. Par ailleurs, il faut préciser qu'à force de vouloir voir émerger des pôles managériaux dans notre pays dans le monde de l'entreprise, l'entreprise de presse chez nous a fini par être considérée de l'extérieur comme devant être dans ce schéma, et d'être, de ce fait, comme n'importe quelle entreprise industrielle ou commerciale. D'où l'application à son encontre d'une législation fiscale et sociale lourdement pénalisante. La dernière en date concerne, pour les éditeurs, le règlement rétroactif des cotisations liées à la collaboration des pigistes, en compagnie des temporaires, déjà déclarés par ailleurs. Quelques bouées de sauvetage pour sauver la presse du naufrage Sur le plan fiscal, pourquoi ne pas instaurer une taxe fixe de 10% et revoir le taux de la TVA pour les appels d'offres afin de le ramener à 7%, ou diversement la récupérer ? Dans le même processus, il serait souhaitable d'annuler carrément les charges inutiles étant donné que les pigistes et les temporaires n'en bénéficient pas. Dans le même ordre d'idée concernant les allègements des charges, il convient de réfléchir sur les possibilités de baisser la commission accordée à l'Anep qui est actuellement de 30%. Il est identiquement possible pour les autorités de financer une partie du payement du fil APS par le fonds d'aide à concurrence de 50%. Des remises pourraient être consenties aux journaux pour couvrir leurs communications téléphoniques et l'abonnement internet compte tenu de l'importance de ces outils de travail pour la confection des journaux. Il est temps de repenser le statut des entreprises de presse La publicité institutionnelle servie par l'Anep ne devrait pas constituer le seul moyen de soutien. Le moment est venu de réactiver le fonds d'aide déjà consacré par la loi du 19 mars 1990, tout en réfléchissant sur les mécanismes de sa répartition de façon transparente. Ces perfusions d'argent seraient salutaires surtout pour les journaux à faibles ressources publicitaires. Il conviendrait de réfléchir à une réorganisation des imprimeries publiques sous forme d'une seule entreprise avec à sa tête un PDG et des directeurs d'unités, ainsi, qu'à la création d'un département d'achat commun qui conduirait à obtenir des gains et une meilleure maîtrise des charges. Avec le temps, faire jouer la solidarité inter-entreprises, dans le cas où une des unités rencontre des difficultés. Tout cela avec la perspective de réduire les coûts d'impression et les factures que payent les éditeurs. Pour régler l'épineux problème de la distribution, il faudrait réfléchir à la création d'une coopérative de distribution qui impliquerait les éditeurs, et pourquoi pas des annonceurs potentiels tels que les opérateurs de la téléphonie mobile. Concernant le volet de la publicité institutionnelle en ces temps de disette, ce manque doit être supporté équitablement entre les différentes publications. Il serait judicieux de recourir, pour les journaux, à la publicité de Sonatrach. Cette entreprise, en tant que société citoyenne, est à même d'apporter sa contribution pour le maintien du pluralisme médiatique. Il n'est pas outrageant que s'établisse une relation entre les pouvoirs publics et la presse, qui soit fondée sur un cahier des charges qui soit un énoncé de principes partagés par les deux parties, pour protéger l'image du président de la République, des institutions sensibles de l'Etat et principalement la politique étrangère du pays, même si une partie de ces aspects figurent déjà dans la loi de l'information. Ce sont là certaines idées qui pourraient constituer les axes d'une réflexion susceptible de réaliser un début de dénouement aux problèmes qui empoisonnent le monde de la presse écrite et qui risquent d'emporter à jamais ce qu'elle a de meilleur en elle. La complexité de ces questions est telle que leur règlement ne saurait échoir au seul ministère de la Communication. D'autres départements, comme les Finances et le Travail sont, de fait, impliqués directement, portant en effet une partie des problèmes et susceptibles, dans le cadre d'une action conjuguée et concertée avec la Communication, d'apporter des solutions salvatrices pour sauver les entreprises de presse d'un naufrage annoncé.