Le texte de l'accord conclu entre Moscou et Washington est clair. Si la trêve en vigueur depuis le 12 septembre devait perdurer en Syrie, les militaires américains et russes seront tenus de coopérer pour lutter conjointement contre l'organisation Etat islamique (EI). Un «centre de mise en œuvre conjoint» pour partager des informations afin d'identifier des cibles potentielles sera notamment installé à Genève. Mais cette collaboration suscite des réticences évidentes au Pentagone, qui reste dubitatif sur les intentions de la Russie. Le secrétaire d'Etat John Kerry n'a cessé de négocier avec son homologue russe Sergueï Lavrov depuis son arrivée à la tête de la diplomatie américaine, en 2013, sur le dossier du nucléaire iranien comme sur celui de la Syrie. Au contraire, le secrétaire à la défense, Ashton Carter, n'a que des contacts limités avec le ministère russe de la défense. Surtout, la succession d'incidents mettant aux prises, ces derniers mois, des avions russes et des aéronefs ou des navires de l'armée américaine, dans la mer Noire ou au-dessus de la Baltique, ont entretenu la défiance des militaires américains. Les accusations récurrentes de piratages informatiques, imputés par des experts non gouvernementaux à des Russes liés au régime, ajoutent aux soupçons. Le Parti démocrate et les commissions électorales de certains Etats en ont été la cible au cours des derniers mois. «Nous avons des raisons d'être sceptiques», a convenu le porte-parole de la Maison Blanche, Josh Earnest, lundi 12 septembre. Le responsable des opérations aériennes américaines contre l'EI, le général Jeffrey Harrigian, a renchéri le lendemain lors d'une conférence de presse : «Je ne vais pas vous dire que j'ai confiance en eux. Il serait prématuré de dire que nous allons nous précipiter dans cette affaire. Je ne dis pas "oui" ou "non". Nous devons travailler pour comprendre à quoi ce plan peut ressembler.» Le démarrage de cette collaboration «n'est pas une affaire de semaines», a concédé mardi le porte-parole adjoint du département d'Etat, Mark Toner. Le porte-parole du ministère russe de la Défense, Igor Konachenkov, a répondu jeudi aux interrogations du général Harrigian. «Il semble que l'objectif de l'écran de fumée verbal de Washington soit de cacher le fait qu'il ne remplit pas sa part des engagements, en premier lieu sur la séparation des rebelles modérés avec les terroristes», a-t-il accusé, déplorant la poursuite, pendant la trêve, d'opérations imputées aux rebelles alors que la Russie, affirme-t-il, remplit ses engagements «depuis la première minute». Le jour même, le département d'Etat a au contraire indiqué avoir constaté des violations du cessez-le-feu imputables aux deux camps en présence. L'armée américaine a assisté avec un déplaisir évident à l'entrée en jeu des forces russes aux côtés du régime de Bachar Al-Assad, en septembre 2015. Des procédures de «déconfliction» ont été immédiatement mises en place pour éviter des accrochages comme celui qui a provoqué l'élimination d'un avion russe par la Turquie en novembre 2015, mais la coopération envisagée dans le cadre de l'accord conclu début septembre va bien au-delà. Mardi, le général Harrigian a insisté sur un certain nombre d'exigences, à commencer par l'utilisation par les Russes de munitions précises pour limiter les pertes civiles éventuelles. L'armée américaine ne cesse de critiquer les bombardements massifs pratiqués par Moscou.