Il y a 55 ans, le 11 décembre 1960, au chant de Min Djibalina talaa saoutou el ahrar, le peuple algérien descendait dans la rue, la poitrine nue, face aux mitrailleuses françaises. «C'est fini, on ne se taira plus, même s'il faut en mourir», clamait-il. Bravant la mort, le peuple occupe le haut du pavé dans les grandes villes comme Alger, Oran et Constantine, où la population algérienne – les indigènes comme les Européens les appelaient – est surveillée de très près par les officiers français de l'action psychologique à travers les SAU. Le peuple descend dans la rue également à Skikda, Annaba, Béjaïa, Blida, Cherchell, Tlemcen ... Pour illustrer l'ampleur des manifestations populaires patriotiques du 11 décembre 1960 qui urent lieu sur tout le territoire national, je voudrais évoquer, à titre introductif au débat, l'exemple de Belcourt et de la Casbah, Belcourt. Il est 10h. Sous une pluie fine, une marée humaine, brandissant le drapeau de l'Algérie combattante, surgit des quartiers populaires du Vieux Kouba, du Ruisseau, du Clos-Salembier, de Birmandreis, en passant par le Ravin de la Femme Sauvage. Grossie par la foule descendue des hauteurs de Belcourt et des lieux environnants, elle s'approche du quartier européen du Champ-de-manœuvres où s'étaient groupés les partisans de l'Algérie française. Sur fond du chant patriotique Min Djibalina, des milliers de voix entonnaient à l'unisson : Vive le GPRA Abbas au pouvoir Algérie musulmane Vive l'ALN ! Vive le FLN ! « C'est un spectacle qui coupe le souffle, écrit un journaliste français. La rue Albert – Rozet (laaguiba comme les enfants de Belcourt la nomment), une ruelle de 3 mètres de large, qui descend sur près de 800 mètres des hauteurs de Belcourt, semble prête à éclater sous la tempête qui s'y déchaîne. 5000 Musulmans sont entassés et brandissent des drapeaux vert et blanc à croissant rouge, des pancartes : Algérie indépendante Libérez Ben Bella Referendum sous contrôle de l'O N U Lagaillarde au poteau. Au premier rang, des jeunes lèvent le poing. Derrière eux des jeunes juchés sur des épaules, brandissent des banderoles « Vive le FLN », témoigne le journaliste français. Sur une large banderole barrant la rue de Lyon (aujourd'hui Mohamed Belouezdad), on lit Négociations. Une sorte de réponse au général de Gaulle, Président de la République française, qui, avant d'entamer son voyage en Algérie au mois de décembre 1960, avait réaffirmé son refus de discuter avec le GPRA de l'avenir de l'Algérie, lors d'un discours prononcé à Paris le 4 novembre, un mois auparavant. Le but de son voyage en Algérie était de présenter aux corps constitués son projet de loi qu'il devait soumettre à référendum le 8 janvier 1961. Le projet de loi portait sur la mise en place d'un Parlement et d'un exécutif algérien « qui, une fois établis, détermineront en temps utile, la date et les modalités du référendum d'autodétermination ». « Construire l'Algérie algérienne sans et contre le FLN », disait Bernard Tricot, collaborateur immédiat de de Gaulle. C'est cette Algérie que les officiers de l'action psychologique voulaient faire plébisciter par les Algériens. Les militants du Front de l'Algérie française, le FAF, accueillirent, par des cris hostiles, le général de Gaulle, arrivé en Algérie le 9 décembre 1960. Ils appelèrent à la grève générale. C'est pour étendre cette grève aux quartiers musulmans qu'ils entrèrent en force dans Belcourt. « Ils sont venus nous provoquer, déclara un jeune de Belcourt à l'envoyé spécial du quotidien français Le Monde. Nous avons réagi ». D'où le caractère apparemment spontané de la manifestation, comme le souligne un responsable de la zone 6 de la wilaya IV. Mais le peuple d'Alger était conscient de l'enjeu. Sa réaction fut politique. Il surprit les officiers de l'action psychologique qui pensaient l'entendre crier « Algérie algérienne », lui faisant avaliser, par- là, la politique néocoloniale du général de Gaulle intéressé par les gisements de pétrole de l'Algérie. En voyant le drapeau de l'Algérie combattante surgir dans Alger qu'il pensait « pacifiée », un des officiers confia à un journaliste français : « Nous avons subi un véritable Diên Biên Phû psychologique... Pensez qu'on crie « Vive le FLN ! ». Reprenant cette réaction, le journaliste écrivait : « L'explosion des sentiments populaires...réduisait à néant les constructions de l'action psychologique». Un autre exemple pour illustrer ces manifestations sorties des entrailles de la société humiliée par le colonialisme français. Celui de la Casbah, berceau du nationalisme algérien, symbole de la lutte permanente contre l'ordre colonial sanguinaire, la Casbah qui connut la torture et les disparitions au cours de la Bataille d'Alger. La Casbah, encerclée par les Zouaves, entourée d'une triple rangée de barbelés, la Casbah des guillotinés réveillée par les you you des mères des martyrs crie à pleins poumons Tahya el Djazair, Yahia el Istiqlal. A travers les ruelles en escaliers, les enfants arborent le drapeau de l'Algérie combattante. Les manifestations patriotiques de masse gagnèrent tout le territoire, malgré les dangers de mort. Car il y a eu des morts par dizaines. Les militaires français tirèrent sur la foule à Alger, à Oran. Ils tuèrent la petite écolière Saliha Ouatiki (13 ans) dont l'enterrement au cimetière Sidi M'Hamed fut troublé par les tirs des militaires français sur la foule qui accompagnait l'enfant-martyr à sa dernière demeure. En ce mois de décembre 1960, la guerre d'indépendance entrait dans sa septième année. Les manifestations de masse, se conjuguant à la lutte armée, contraignirent le gouvernement français de discuter de l'avenir de l'Algérie avec le GPRA et de signer avec lui le cessez-le-feu, le 18 mars 1962. Les manifestations populaires, prélude de la victoire finale, marquèrent ainsi un tournant décisif dans la longue lutte du peuple Si le peuple, un jour, ....... -C'est à Diên Biên Phû, au Viet Nam, que le corps expéditionnaire français subit la défaite qui sonna le glas du colonialisme français dans cette région. Un historien allemand qualifia les manifestations de décembre 1960 en Algérie de Diên Biên Phû politique pour la France impériale.