Tout d'abord, un talent, jeune, enjoué, trop sûr de lui. Ensuite, quelques pavés écrits dans une profusion de mots, de lettres, de citations hétéroclites. Au final, un prix du premier roman «Ali Maâchi» avec, en sus, quelques récompenses glanées ici et là, au Feliv et dans quelques concours de nouvelles. Pour cette fois, « Un empereur nommé désir » vient débuter une trilogie sur un pavé immense de plus de 380 pages. Au poids du livre, on se demande que va nous raconter ce licencié en économie internationale avec un master en management qui ressemble, renseignements pris, farouchement à son personnage atypique, téméraire, séducteur avéré et littérateur poète talentueux. Le bougre écrit comme il parle...c'est-à-dire beaucoup. Nous sommes donc en face d'un jeune post-adolescent qui travaille dans une boîte, non identifiée, le thème est actuel, il met en scène un jeune gars nommé Nadir qui atterrit dans une société dans laquelle il s'ennuie mortellement. Il partage son temps entre la poésie, sa collègue Daria, quelques dindes de passage et va, de temps en temps, écluser quelques Gins polis qui n'ont rien à voir avec du Bukowski ou du Hemingway. Nadir-Djawad Touati habite seul, il prend souvent le tramway pour rentrer chez lui, salive sur quelques filles captées au hasard d'une rame électrique à plus d'un titre. Au fil des pages, s'amenuise en fait l'espoir de voir une intrigue ou un mystère qui nous ferait enfin savourer la catharsis féroce de ce jeune adulte un peu transgressif, du moins c'est ce qu'il pense du haut de son âge si émouvant. Dès le début, le personnage est installé, il surfe entre les mots d'un site dans lequel «il pose » de très belles poésies, tellement belles qu'il se prend au jeu de la critique et tombe dans le panneau du premier degré. Il se pose en spartiate au dessus de tous les autres, qu'il impose à nous comme des ilotes, juste bons à obéir et fermer la gueule en guise de pénitence. Djawad Rostom Touati, petit bourgeois trop bon élève, fait dans un délicieux exercice de style, un amalgame entre sa propre personnalité et un roman voulu de fiction. Dans ses diatribes sur les femmes, qu'il considère comme des dindes, des grues, les gros qu'il traite d'une manière méprisante de « bouboules » comme s'ils étaient responsables d'un état de déliquescence notoire, les autres poètes ou écrivains de falots insipides ilotes, ilotes, ilotes et j'en passe et des plus belles... Notre jeune héros fait au plus extrême, prend à contre-pied toute forme d'éthique esthétique pour livrer en vrac une floraison écrite au verbiage insolent du plus bel effet. Jamais de vie d'écrivain nous n'avions vu une telle accumulation de phrases alambiquées qui, prises au début, vous font oublier la fin. Tant et si bien que l'auteur veut à chaque phrase prendre le lecteur à partie en expliquant à chaque phrase de quoi il s'agit. Que cela soit dans les situations installées, les phrases d'auteurs ou il essaie de justifier de ses connaissances à un point qui en devient gênant. Le tout, inscrit dans des phrasés d'une longueur insoutenable sur, en fait, un huis-clos maison-chocolat-banane-Daria-mes potes- l'autre-là, la maîtresse qui sera le point d'ordre et qui « vengera » subtilement (presque la seule construction intelligente) de ces marivaudages et joutes écrites «longuissimes » tellement gouteuse qu'elles perdent toute la saveur de l'écrit et la texture du récit dans des super-descriptions itératives !!! A voir le nombre d'auteurs cités entre Sainte-Beuve, Nietzche, Hassan El Basri, Yourcenar, Spinoza, et beaucoup d'autres, beaucoup trop d'autres, avouant dans un acte manqué de plus de trois cent page qu'à trop montrer que l'on sait, il y ait un doute que l'on sache quelque chose. Le talent était là, il reste gâché sur un pavé malheureux qui s'est cassé les dents sur ces reflexes de bons élèves qui ne font pas nécessairement une belle histoire. Dans ce maelstrom de mots alignés à nous fatiguer les neurones, l'écriture qui aurait pu être fraîche, succincte mais aussi diserte esthétiquement parlant, nous embourbe dans une lecture fastidieuse, nous « lecteurs lambdas » comme aime à appeler ce cher « Werner », pardon Nadir dans son ouvrage qui, paradoxalement, a trouvé un nombre important d'yeux attentifs, particulièrement dans la gente féminine. Il est à croire que, comme le dit l'adage, et l'auteur nous excusera de trouver nos paroles dans des adages par trop populaires pour lui, « Le chat aime son étrangleur !!! ». Nos femmes seraient probablement quelques victimes consentantes de cet être qui se défend d'aller vers le roman de gare, poète subtil, mais qui tombe dans le caniveau des plus mauvais SAS, raciste, sexiste et un peu pervers narcissique quand il décrit quelques scènes qui se veulent amoureuses et qui, en fait, surnagent dans une fange écrite quelque peu maladroitement. Mettons cela sur le compte d'une jeunesse un peu dorée qui ne connaît guère les affres d'une souffrance productrice de sens et d'esthétique. Peu importe que notre jeune ami soit érudit ou plutôt porté par l'emphase de ses lectures riches...il n'en est pas pour autant érudit, car à la lecture de cet immense texte où le bon et le mauvais se mêlent insolemment, il lui manquait juste le principal élément :l'inspiration d'une vraie blessure narcissique, celle qui l'aurait inscrit dans le panthéon des futurs grands écrivains, mais dommage pour les lecteurs lambdas...il a été trop bon élève. «Un empereur nommé désir » de Djawad Rostom Touati, éditions Anep, Alger 2016, prix Ali Maâchi, du président de la République, 2016.