Saad Hariri, Premier ministre du pays du Cèdre, cherche à financer un plan de grands travaux, pour relancer l'économie locale, affectée par l'afflux d'un million et demi de réfugiés syriens. A la veille d'une tournée en Europe, qui doit le mener à Paris, Berlin, puis à Bruxelles, où une conférence internationale, sur la crise syrienne, se tiendra les 4 et 5 avril, le Premier ministre libanais, Saad Hariri, a voulu tirer la sonnette d'alarme. Lors d'une rencontre avec des correspondants de la presse étrangère, organisée vendredi 31 mars, à Beyrouth, le chef du gouvernement a déclaré que le pays du Cèdre, l'Etat qui accueille le plus de réfugiés syriens par habitant au monde (1,5 million sur une population autochtone de 4,5 millions) « approche du point de rupture ». Détaillant l'impact de cet afflux sur l'économie locale, qui a perdu 7 points de PIB entre 2011, date du début du soulèvement contre Bachar Al-Assad, et 2016, M. Hariri a exhorté la communauté internationale à redoubler ses efforts en faveur du Liban, en finançant un vaste plan d'investissement, centré sur les infrastructures et le système éducatif. Mise en garde « Nous avons été chanceux jusque-là, mais notre réserve de chance est épuisée. Je redoute que des troubles éclatent, entre Syriens et Libanais ; ce qui pourrait déboucher sur un effondrement sécuritaire et économique », a-t-il dit en citant la petite localité d'Ersal, à la frontière avec la Syrie, qui abrite des dizaines de milliers de réfugiés et qui a été le théâtre d'affrontements par le passé, entre l'armée syrienne et des groupes armés djihadistes. La mise en garde n'est pas neuve. Tammam Salam, prédécesseur de M. Hariri, n'avait cessé d'alerter ses homologues occidentaux sur le danger que l'installation des Syriens fait peser sur l'équilibre précaire du Liban, ravagé par quinze années de guerre civile, entre 1975 et 1990. Bien conscients de ce problème, les principaux donateurs internationaux, notamment l'Union européenne, les Etats-Unis et les Nations unies, ont répondu présent. Ils ont apporté ces dernières années des centaines de millions d'euros, dans le but d'atténuer la pression exercée par les réfugiés sur le marché du travail et les réseaux de distribution de services (eau, électricité, éducation, etc.). Une aide salutaire mais insuffisante. En juillet 2016, selon un rapport de Human Rights Watch, la moitié des 500 000 Syriens, agés de 3 à 18 ans, présents sur le sol libanais, n'étaient pas scolarisés. Citant des chiffres de la Banque mondiale, les autorités locales estiment qu'en raison de la présence des réfugiés, qui acceptent des salaires très bas, entre 250 000 et 300 000 Libanais ont perdu leur emploi depuis 2011, et que le taux de chômage a été multiplié par deux, se situant à 20 %. Programme d'investissement sur cinq ans D'où le ton très insistant de M. Hariri, qui a pu évoquer, à certains moments la rhétorique menaçante de Recep Tayyip Erdogan, le président de la Turquie, d'où sont partis la plupart des centaines de milliers de réfugiés arrivés en Europe durant l'été 2015. « Nous ne voulons pas en arriver au point où nous serions obligés de faire ce que d'autres pays ont fait, ouvrir les frontières et laisser les gens fuir vers l'Europe », a déclaré le chef du Courant du futur. M. Hariri veut saisir l'opportunité de la réunion de Bruxelles, organisée sous les auspices de l'Union européenne, pour promouvoir son plan d'assistance au Liban. Partant du principe que les réfugiés ne rentreront pas dans leurs pays avant que celui-ci ne soit stabilisé – une perspective encore lointaine –, ses services ont élaboré un programme d'investissement sur cinq ans, chiffré à 10 milliards de dollars. Objectif : réhabiliter les infrastructures libanaises, en piteux état, et généraliser la prise en charge éducative des jeunes Syriens, à travers l'enseignement primaire, technique, professionnel, ou universitaire. « Il ne s'agit pas de construire une tour de bureaux à Solidere », a fait remarquer M. Hariri, en référence à la société chargée de la reconstruction du centre de Beyrouth, qui a suscité de nombreuses polémiques, pour ses réalisations, au style souvent tapageur, et son fonctionnement, volontiers opaque. «C'est un plan qui profitera à tout le monde, Libanais comme Syriens. Chaque milliard de dollars investi permettra de créer entre 75 000 et 100 000 emplois.» Le rôle central confié dans ce plan au Conseil du développement et de la reconstruction, l'organisme chargé de l'attribution des marchés publics, dont la transparence est sujette à caution, promet de soulever des questions. M. Hariri devra se préparer à y répondre, devant les donateurs et peut-être aussi devant les électeurs. A la fin de sa conférence de presse, le chef du gouvernement a en effet promis que la nouvelle loi électorale, qui divise sa coalition depuis trois mois, serait adoptée « d'ici à deux semaines ». Et que le scrutin législatif, reporté à plusieurs reprises depuis 2013, se tiendrait au plus tard cet automne.