Les exégètes ont divergé sur la nature de l'arbre dont il est question dans cette parole de Dieu : « Et n'approchez pas l'arbre que voici » (7, 19). Pour certains, il s'agit de la vigne. Ibn 'Abbâs, Ibn Mas'ûd ainsi qu'un groupe de compagnons disent que les Juifs prétendent que c'est le froment. Wahb a dit à ce sujet : « Le grain en est plus onctueux que le beurre et plus doux que le miel ». Ath-Thawrî a dit, citant Abu Husayn et Abu Mâlik ; «L'arbre auquel fait allusion le verset "Et n'approchez pas de l'arbre que voici" est le palmier ». De son côté, Ibn Jurayj, citant Mujâhid, a dit qu'il s'agissait du figuier, rejoint dans cet avis par Qatâda. Cela dit, cette divergence n'est pas très importante. Si le nom de cet arbre revêtait quelque intérêt pour nous, Dieu n'aurait pas manqué de le mentionner. La seule divergence méritant d'être citée a trait à l'endroit où se trouve le Paradis qu'avait habité Adam. Est-il situé dans As-sahih,ayn : les deux recueils de hadiths authentiques d'al-Bukhârî et Muslim. La version retenue ici est celle d'al-Bukhârî (3331), Muslim (1468). Le Ciel ou sur la Terre ? La majorité des exégètes estime qu'il s'agit du Paradis céleste, le Paradis refuge, comme le montre le sens apparent des versets coraniques et des hadiths. Dieu dit : « Ô Adam ! Habite le Paradis toi et ton épouse. » (2,35) La Tradition rapporte que Moïse dit à Adam : « Pourquoi nous as-tu fait sortir du Paradis ? » Nous verrons ce hadith plus loin. En outre, d'après Abu Hurayra et Hudhayfa6, l'Envoyé de Dieu, sur lui la grâce et la paix, a dit : « Le jour où Dieu rassemblera les hommes, le Paradis sera rapproché des croyants iront alors trouver Adam et lui diront : "Ô notre père, demande que l'on nous ouvre les portes du Paradis !" Il répondra : "Et qui vous a fait sortir du Paradis, si ce n'est la faute de votre père ? !" Ce hadith appuie l'idée que le Paradis dont il est question ici, est bien le Paradis qui servira de lieu de séjour éternel pour les croyants. D'autres ont dit que le Paradis qu'avait habité Adam, n'est pas le lieu de séjour éternel, puisqu'il en a été chassé, comme le pensent Ubayy Tbn Ka'b, 'Abdullâh Ibn 'Abbâs, Wahb Ibn Munabbih, et Sufyân Ibn 'Uyayna. On attribue aussi cet avis à Abu Hanîfa et à ses disciples. Abu 'Abdullâh Muhammad Ibn 'Umar ar-Râzî Ibn Khatîb ar-Ray l'a rapporté dans son exégèse d'après Abu al-Qâsim al-Balkhî et Abu Muslim al-Asbahânî. Pour sa part, al-Qurtubî l'a rapporté dans son exégèse, d'après les mutazilites et les qadarites. Cet avis est conforme à la tradition des gens du Livre dans la Thora. Par ailleurs, Abu Muhammad Ibn Hazm dans son livre Les religions et les sectes ainsi qu'Abû Muhammad Ibn 'Atiyya et Abu 'îsâ Ar-Rummânî dans leurs exégèses respectives, ont contribué à enrichir et transmettre le débat sur la question. Il en est de même pour le cadi Al-Mâwardî dans son exégèse An-nukat wal-'uyûn où il écrit : « Des divergences sont appa¬rues entre les exégètes sur le fait de savoir où se trouve le Paradis habité par Adam et Eve. Il y a deux avis à ce sujet : le premier affirme c'est le Paradis éternel, tandis que le second estime qu'il s'agit d'un paradis que Dieu a créé pour en faire un lieu d'épreuve pour Adam et Eve. Ce ne serait ainsi pas le Paradis éternel puisque ce dernier est un lieu de rétribution. En outre, les tenants de cet avis ont divergé à leur tour ; un groupe soutient que ce paradis est situé dans le Ciel car Dieu les en a fait descendre (c'est l'avis d'al-Hasan). Un second groupe prétend que ce paradis se trouvait sur Terre, car Dieu les éprouva en leur défendant de manger des fruits d'un seul arbre à l'exclusion des autres (c'est l'opinion d'Ibn Yahyâ). » Tout cela, dit-il, a eu lieu après que Dieu eut ordonné à Satan de se prosterner devant Adam. Dieu est plus Savant. Al-Mâwardî rapporte trois avis, mais lui-même ne s'est pas prononcé sur la question. Dans son exégèse, Abu ' Abdullâh ar-Râzî a rapporté quatre positions sur la question : trois sont citées par al-Mâwardî, et la quatrième prône l'abs¬tention. Ar-Râzî a donné prévalence à la première position qui soutient qu'il s'agit bien du Paradis éternel. Et Dieu est le plus Savant. On attribue aussi à Abu 'Alî al-Jibâ'î l'avis affirmant que le Paradis d'Adam et Eve se trouve dans le Ciel, mais qu'il n'est pas pour autant le Paradis refuge. Par ailleurs, les partisans du deuxième avis ont soulevé une question qui exige une réponse. Selon eux, il ne fait nul doute que Dieu ait chassé de la proximité divine Iblîs lorsqu'il a refusé de se prosterner à l'instar des anges et qu'il lui ait ordonné de quitter cette assemblée. Or, l'ordre de se prosterner devant Adam n'est pas un ordre légal (amr shar'î) qui est susceptible d'être enfreint. C'est un décret (amr qadarî) qui ne souffre ni transgression ni contestation. C'est pour cela que Dieu dit : « Sors de là banni et rejeté » (7, 18) ; « Descends d'ici ! Tu n'as pas à t'enfler d'orgueil ici » (7, 13) ; « Et (Dieu) dit : "Sors de là (du Paradis), car te voilà banni." » (15, 34) Il y a lieu de préciser que le lieu dont il est question ici est soit le Paradis, soit le Ciel, soit la station qu'occupait le diable. Quoi qu'il en soit, il est évident que le lieu d'où il a été éloigné ne peut être pour lui un lieu de séjour passager. Ces mêmes exégètes disent qu'il est notoire d'après le sens des versets coraniques que le diable a fait de mauvaises suggestions à Adam en lui disant : « Ô Adam, t'indiquerai-je l'arbre de l'éternité et un royaume impérissable ? » (20, 120) ; « Votre Seigneur ne vous a interdit cet arbre que pour vous empêcher de devenir des anges ou d'être immortels. Et il leur jura : «Vraiment, je suis pour vous deux un bon conseiller.» (7, 20-22). Ces versets témoignent de la rencontre du diable et d'Adam et Eve au Paradis. D'autres exégètes leur ont répondu que cela n'empêchait pas que le diable les ait rencontrés au Paradis en étant de pas¬sage et non parce qu'il y résidait. Il aurait pu leur suggérer la désobéissance alors qu'il se tenait devant la porte du Paradis ou dans le Ciel sous-jacent le Paradis. Cependant, les trois réponses sont discutables. Et Dieu est le plus Savant. D'autres arguments sont rapportés pour étayer cette thèse comme le hadith rapporté par 'Abdullâh, le fils de l'imam Ahmad dans son ouvrage Az-Ziyyâdât. Ubayy Ibn Ka'b a dit : « Lorsque Adam était sur le point de mourir, il désira du raisin du Paradis. Ses enfants allèrent en chercher. Ils rencontrèrent des anges qui leur demandèrent : « Où allez-vous ainsi ô enfants d'Adam ? » Ils répondirent : « Notre père désire du raisin du Paradis. » Ils leur dirent : « Revenez vers lui, [car] vous êtes exempts de cette quête. » Les anges se rendirent alors au chevet d'Adam, prirent son âme, lavèrent sa dépouille, la parfumèrent et la couvrirent d'un linceul. Puis Gabriel et les autres anges ainsi que ses enfants prièrent sur lui, avant de l'enterrer. Les anges dirent ensuite aux enfants d'Adam ; « Tels seront les rites à observer lorsque vous enter¬rerez vos morts. » Nous rapporterons plus loin ce hadith avec sa chaîne de transmission et dans son intégralité lorsque nous évoquerons la mort d'Adam, sur lui le salut. Ces mêmes savants ont aussi affirmé que si l'accès au Paradis dans lequel se trouvait Adam et dont il a désiré le raisin était impossible, ses enfants ne seraient pas partis à sa recherche. C'est la preuve selon eux que ce paradis se trouve sur Terre et non au Ciel. Et Dieu est plus Savant. D'après eux, le contexte des versets indique clairement qu'Adam a été créé d'argile et n'a jamais été élevé au Ciel. De plus, il a été créé pour vivre sur Terre, comme Dieu l'a dit aux anges : «Je vais établir sur la Terre un vicaire {khalîfà).» Et à ceux qui leur rétorquent que Dieu a dit à Adam et Eve : « Ô Adam ! Habite le Paradis, toi et ton épouse » (2, 35) et donc qu'implicitement, Dieu ne leur aurait pas dit d'ha¬biter la Terre, ils répondent que ce verset a un sens particulier comme le montre son contexte et ils font le parallèle avec cet autre verset : « Nous les avons éprouvés comme Nous avons éprouvé les propriétaires du Paradis (verger). » (68, 17) Dans ce verset, disent-ils, Dieu donne au mot janna (paradis) un sens particulier comme le montre le contexte, à savoir le sens de verger. Ces savants ont dit de même pour la mention du mot «descent » (du verbe arabe nazala) qui ne signifie nullement la descente du Ciel, selon eux. Dieu n'a-t-11 pas dit dans un autre verset : « Il a été dit : "Ô Noé, descends avec Notre sécurité et Nos bénédictions sur toi et sur des communautés (issues) de ceux qui sont avec toi." » (11,48) ? Cette descente, disent-ils, s'est effectuée de l'Arche vers la terre ferme après que celle-ci ait absorbé l'eau. Dieu n'a-t-Il pas dit aussi : « Descendez donc à n'importe quelle ville ; vous y trouve-rez certainement ce que vous demandez. » (2, 61) ? Il a dit également : « D'autres s'affaissent par crainte de Dieu [...] » (2, 74). Les hadiths regorgent d'exemples de ce genre. Selon eux rien n'empêche cela, c'est même un fait évident ; le Paradis habité par Adam était plus élevé que toutes les contrées de la Terre et il y avait des arbres, des fruits, de l'om¬bre, des délices et de l'allégresse. À ce sujet, Dieu dit : « [...] Car tu n'y auras pas faim ni ne seras nu » (20, 118), c'est-à-dire que son organisme ne sera pas avili par la faim ni son aspect extérieur par la nudité. «[...] Tu n'y auras pas soif ni ne seras frappé par l'ardeur du soleil » (20, 119), c'est-à-dire que son organisme ne sera pas touché par l'ardeur de la soif ni sa peau par l'ardeur du soleil. C'est pour cette raison que Dieu a fait ces comparaisons pour montrer la symétrie entre ces différents éléments. C'est après avoir mangé de l'arbre interdit qu'Adam descendit sur la Terre de la peine, de la difficulté, de l'ennui, de l'effort, de l'adversité, des épreuves et des divergences humai¬nes aussi bien dans le domaine de la religion, la morale et les œuvres que celui des buts, des intentions, des paroles et des actes. À ce sujet, Dieu dit :«[...] Et pour vous il y aura une demeure sur la Terre, et un usufruit pour un temps » (2,36). Mais ceci n'implique nullement qu'ils étaient au Ciel, comme l'a dit Dieu : « [...] Et après lui, Nous dîmes aux Enfants d'Israël : "Habitez la terre." Puis lorsque viendra la promesse de la (vie) dernière, Nous vous ferons venir en foule » (17, 104). Il est évident que les Enfants d'Israël à qui Dieu s'adresse habitaient la Terre et non le Ciel. Ces savants ont ajouté que ces propos ne suggèrent nulle¬ment que le Paradis et l'Enfer n'existent pas à l'heure actuelle comme certains le pensent. Selon eux, il n'y a aucune simili¬tude entre l'idée que le Paradis habité par Adam et Eve n'était pas situé au Ciel et le fait que le Paradis et l'Enfer n'existent pas actuellement et qu'ils ne seront créés que le jour de la Résurrection. Bien au contraire, tous les exégètes anciens ou contemporains soutenant cette thèse croient en l'existence actuelle du Paradis et de l'Enfer comme le prouvent les versets et les hadiths authentiques que nous verrons plus loin dans leur contexte particulier. En outre, la parole de Dieu : «Satan les fit glisser de là [...] » (2, 36) signifie bien « du Paradis », et ce que Dieu dit : « [...] Et II les fit sortir du lieu où ils étaient » (2, 36) veut bien dire du lieu de la félicité, de l'allégresse et du bonheur vers le lieu de la peine, du labeur et de l'adversité, et cela en leur faisant de mauvaises suggestions et en embellissant dans leurs cœurs ce qu'il leur a insinué. À ce propos, Dieu dit : « Puis le diable, afin de leur rendre visible ce qui leur était caché - leurs nudités - leur chuchota, disant ; "Votre Seigneur ne vous a interdit cet arbre que pour vous empêcher de devenir des anges ou d'être immortels." » (7, 20) ; « Et il leur jura : "Vraiment, je suis pour vous deux un bon conseiller." » (7, 21) ; « Puis le diable le tenta en disant : "Ô Adam, t'indiquerai-je l'arbre de l'éternité et un royaume impérissable ?" » (20, 120) signifiant ainsi : Veux-tu que je te montre l'arbre qui, en mangeant de ses fruits, te rendra immortel et perpétuera pour toujours la félicité dans laquelle tu te trouves ? Or, on sait combien ces paroles ne sont que mensonges et suggestions en totale contradiction avec la réalité. Il semble que «l'arbre de l'éternité» dont parle Dieu est le même que celui évoqué dans un hadith rapporté par l'imam Ahmad : d'après Abu Hurayra, l'Envoyé de Dieu, sur lui la grâce et la paix, a dit : « Il y a au Paradis un arbre dont le cava-lier parcourt l'ombre en cent ans sans pouvoir le traverser ; c'est l'arbre de l'éternité». Dieu dit : «Alors il [le diable] les fit tomber par trom-perie. Puis, lorsqu'ils eurent goûté de l'arbre, leurs nudi-tés leur devinrent visibles ; et ils commencèrent tous deux à y attacher des feuilles du Paradis. » (7, 22) ; « Tous deux en mangèrent. Alors leur apparut leur nudité. Ils se mirent à se couvrir avec des feuilles du Paradis. » (20, 121). On rapporte que ce fut Eve qui mangea la première de l'arbre avant d'inciter Adam à en faire de même. Mais Dieu est le plus Savant. Il y a lieu de signaler que selon la Thora, c'est le serpent qui suggéra à Eve de manger de l'arbre interdit. On rapporte également qu'il lui est apparu sous la plus belle des formes. Séduite par les suggestions du serpent, Eve mangea de l'arbre interdit et en donna à manger à Adam, sur lui le salut. Et aucune mention n'est faite du diable. C'est alors que leurs yeux furent ouverts et ils se rendirent compte de leur nudité. Ils prirent des feuilles de figue dont ils firent des pagnes pour s'en couvrir le corps. Wahb Ibn Munabbih va dans le même sens, sauf que pour lui, leurs vêtements étaient une lumière qui cachait leurs parties intimes. Cela contredit donc la thèse émise dans la Thora. Le Coran, lui, atteste qu'Adam et Eve portaient effectivement des vêtements :«[...] leur arrachant leur vêtement pour leur rendre visible leurs nudités » (7,8) Rapporté aussi par Abu Dâwûd Aî-Tayâlisî. Rapporté par Ibn Abu Hâtim. Dieu est le plus savant. D'après Ubayy Ibn Ka'b9, l'Envoyé de Dieu, sur lui la grâce et la paix, a dit : « Dieu créa Adam et le fit de grande taille avec une chevelure bien fournie ; il était comme un haut palmier. Lorsqu'il goûta à l'Arbre, ses vêtements tombèrent et, la première chose à apparaître, fut ses parties intimes. En voyant sa nudité, il se mit à courir dans le Paradis, mais un arbre agrippa ses cheveux. Il essaya de se dégager, c'est alors que le Très Miséricordieux, qu'il soit glorifié, l'appela et lui dit : "Ô Adam ! Est-ce Moi que tu fuis ?" En entendant les paroles du Très Miséricordieux, il dit : "Non, Seigneur, mais j'ai tellement honte de ce que j'ai fait !"». D'après Ibn 'Abbâs10, les feuilles mentionnées dans le ver¬set « [...] Ils se mirent à se couvrir avec des feuilles du Paradis » (20, 121) sont les feuilles de figuier. Ces propos semblent provenir des gens du Livre car le verset ne spécifie pas le genre des feuilles. Mais, l'explication d'Ibn 'Abbâs n'est en rien préjudiciable au Texte. Par ailleurs,11 d'après Ubayy Ibn Ka'b l'Envoyé de Dieu, sur lui la grâce et la paix, a dit : « Votre père Adam était aussi grand qu'un haut palmier ; il mesurait soixante coudées. Il avait la chevelure bien fournie et sa nudité était couverte. Lorsqu'il commit son péché au Paradis, sa nudité lui devint visible. Il sortit alors du Paradis et heurta un arbre qui lui agrippa la chevelure. Son Seigneur l'appela alors : "Est-ce Moi que tu fuis, ô Adam ?" Il lui répondit : "Non, Seigneur ! Mais j'ai honte de ce que j'ai fait !"». « Et leur Seigneur les appela : "Ne vous ai-Je pas interdit cet arbre ? Et ne vous ai-Je pas dit que le diable était pour vous un ennemi déclaré ?" Tous deux dirent : "Ô notre Seigneur î Nous avons fait du tort à nous-mêmes. Et si Tu ne nous pardonnes pas et ne nous fais pas miséri-corde, nous serons très certainement du nombre des perdants"» (7, 22). Adam et Eve reconnurent sur le champ en toute sincérité leur faute et revinrent à Dieu, en toute humilité, exprimant ainsi leur soumission à Dieu et leur faiblesse devant Lui, Depuis, toutes les fois qu'un des Fils d'Adam commet une faute et emprunte la même voie que son père en se repen¬tant, il ne s'ensuit que du bien pour lui dans ce monde comme dans l'autre. (A suivre)
