Le Centre culturel algérien de Paris commémore, avec des manifestations, le 60e anniversaire de la parution de l'ouvrage scandale «La Question» d'Henri Alleg qui dénonce la pratique systématique de la torture durant la Guerre de libération nationale. Ces manifestations, qui interviennent quelques jours après la Déclaration du président Emmanuel Macron dans laquelle il reconnaît officiellement l'assassinat de Maurice Audin et la torture pratiquée par l'armée française durant la Guerre de libération, sont organisées jusqu'au 10 novembre en partenariat avec l'association Art et mémoire au Maghreb. Dans ce cadre, une conférence a été animée jeudi soir par les historiens Anissa Bouayed, Gilles Manceron et Alain Ruscio ainsi que l'éditeur en Suisse de La Question, Nils Andersson, après la saisie de l'ouvrage en France. Le journaliste et ancien directeur d'Alger Républicain Henri Alleg, arrêté à Alger par l'armée française le 12 juin 1957, au lendemain de l'arrestation de Maurice Audin, a été torturé, et a subit de multiples interrogatoires pour son soutien à l'indépendance de l'Algérie avant d'être incarcéré à Serkadji (ex-Barberousse) où il a écrit La Question. Un ouvrage dans lequel il raconte sa période de détention et les sévices qu'il y a subis. Nils Andersson, qui a été décoré en 2013 à Alger de la médaille «Achir» de l'Ordre du mérite national en signe de reconnaissance et de considération pour son soutien à la Guerre de libération nationale, a brossé dans son intervention le contexte politique de l'époque dans lequel l'ouvrage d'Alleg a été publié. Il a notamment rappelé qu'en Algérie, en pleine guerre d'indépendance, c'était la période de la «grande répression», des enfumades, des «corvées de bois», de la torture, des peines capitales et des internements massifs. L'armée française utilisait un «système de violences extrêmes», a-t-il résumé, relevant que tous ceux qui étaient en France contre cette guerre et pour l'indépendance de l'Algérie étaient «isolés». L'historien Alain Ruscio s'est penché, pour sa part, sur l'opinion française de cette époque sur la guerre d'Algérie, notant que pour la majorité des Français, «l'Algérie était française». Il a ajouté que la décision de François Mitterrand, ministre de la Justice de l'époque, de guillotiner Ahmed Zabana était une «déclaration de guerre». Pour revenir au contexte de la pratique de la torture, Alain Ruscio a affirmé que ce qu'on appelle la «Bataille d'Alger» c'était en réalité l'armée française, la police, la gendarmerie et des milices qui affrontaient des Algériens démunis de tout arsenal de guerre. «La torture était au cœur de la répression contre l'Algérien», a-t-il encore soutenu. Gilles Manceron a considéré, de son côté, que La Question a eu un rôle détonateur de beaucoup de consciences, comme l'effet de l'affaire Dreyfus provoqué par l'article «J'accuse» du romancier Emile Zola. La tâche des historiens reste «immense» Par ailleurs, l'historien Manceron a expliqué que le caractère minoritaire de l'anticolonialisme auprès de l'opinion française est dû au fait de la conviction chez la majorité des Français que la race blanche était une «race supérieure», conséquence d' «un matraquage de cette fausse idée» dans l'enseignement de plusieurs générations. «Les Français étaient imprégnés par le fait colonial et même après la fin de la Guerre d'indépendance d'Algérie, il était difficile pour nous historiens de rétablir les vérités», a-t-il ajouté, précisant que c'est dans ce contexte que le travail de Pierre Vidal-Naquet sur la torture, la disparition et l'assassinat de Maurice Audin n'avait reçu un écho favorable et n'a pas réveillé les consciences. «La tâche des historiens reste immense malgré la déclaration du président Macron», a-t-il affirmé. Au cours du débat, auquel ont pris part plusieurs acteurs de la guerre de libération, dont Ali Haroun, responsable de la Fédération de France du Front de libération nationale (FLN), Mohand Zeggagh, dit Rachid, membre de la Fédération de France du FLN et ancien prisonnier, le militant Henri Pouillot, l'acteur engagé Guy Bedos et des membres de l'association 4ACG (Anciens Appelés de l'Algérie et leurs Amis Contre la Guerre), les participants ont eu droit à des témoignages, des échanges et des précisions sur des faits liés au sujet de la conférence. On a évoqué le sort des 180 000 disparus algériens, l'ouverture des archives, les viols pendant la guerre contre des femmes algériennes et la méconnaissance de l'histoire de la Guerre d'indépendance de l'Algérie par les jeunes générations. A la fin, Anissa Bouayed a invité les participants à visiter l'exposition rendant hommage aux anticolonialistes à travers des œuvres artistiques de nombre de peintres français et algériens, des documents et éditions originales.