Si Saïd Saadi n'avait pas existé, il aurait fallu l'inventer. Dieu merci, il s'exprime abondamment et rend d'éminents services à la Nation. En appelant à la désobéissance civile, l'actuel chef idéologique du RCD, cherche à entraîner les Algériens dans une direction qu'ils refusent globalement et dans le détail, ayant suffisamment souffert durant la décennie noire de l'instabilité de l'Etat pour ne pas s'aventurer dans des chemins de traverse dont on ne sait jamais à priori où ils mènent. Mais en avançant ce type de propositions extrémistes, Saïd Sadi permet d'ouvrir des boulevards à ceux qui, au sein de l'armée et en dehors de ses rangs, cherchent à placer le «Hirak» dans une dynamique de réformes profondes de l'Etat pour atteindre le point de non-retour à la République censitaire et de la cooptation qui a sévi en Algérie depuis le décès de Houari Boumediene et qui s'est accélérée sous la houlette de l'alliance entre les DAF (les Déserteurs de l'Armée Française) dont Khaled Nezzar - visé par un mandat d'arrêt international - symbolise une figure proéminente et les partisans de l'ex-président de la République chassés du pouvoir par un «Hirak» puissant et pacifique. La seule chose que risque de générer l'appel à la désobéissance civile de Saïd Sadi, l'étourdi utile de l'opposition dites «démocratique», est une accélération du «Hirak» vers une mise à plat intégrale des méfaits de l'ancien régime dont l'assassinat de feu Mohammed Boudiaf et pourquoi pas le traitement définitif du dossier des disparus pourraient paradoxalement, si les conditions politiques s'y prêtent, se transformer en armes redoutables aux mains des stratèges du MDN. L'appel à la désobéissance civile en direction du «Hirak», prononcé par Saïd Sadi ressemble furieusement à un jet désespéré de bouteille à la mer au moment même où le Tribunal militaire de Blida lance, de son côté, un mandat d'arrêt international contre l'ex-ministre de la Défense, le général Khaled Nezzar, ancien sous-officier d'active ayant été formé à Saint Maixent l'Ecole, au milieu des années cinquante du siècle dernier, par l'armée coloniale. Il est intéressant de relever la concomitance des deux évènements car Saïd Sadi fut un soutien indéfectible de l'ancien ministre de la Défense, tous deux laïques et francophones, unis dans leur lutte acharnée contre le mouvement islamiste. Aussi proposer au «Hirak» de se jeter pieds et poings liés dans une entreprise de désobéissance civile, au moment précis où celui qui fut désigné sous le vocable de «parrain du système» lors de la décennie noire, doit enfin devant la Justice, assumer ses actes récents et peut-être anciens, s'apparente et c'est le moins que l'on puisse dire pour rester élégant, à une tentative d'allumer un contre-feu pour sauver du naufrage l'ordre ancien désormais en voie d'extinction définitive. Il est également remarquable de noter que Nacer Boudiaf, le fils du défunt Tayeb El Watani, l'un des pères de la révolution algérienne n'a de cesse d'accuser publiquement les généraux Nezzar, Toufik, Belkheir et Smain (ces deux derniers étant décédés), d'avoir assassiné le Président Boudiaf. Et joignant la dénonciation à l'accusation, Nacer Boudiaf a déposé plainte, près du Tribunal de M'sila, le 29 juin dernier en versant au dossier des éléments nouveaux en espérant un jour voir s'ouvrir, sur des bases plus fondées, un vrai procès, et non pas une parodie de justice pour qu'enfin jaillisse la vérité sur l'assassinat de feu Mohammed Boudiaf, Président de la République Algérienne Démocratique et Populaire, lâchement exécuté à Annaba. La Wilaya de M'sila fait d'ailleurs partie de celles qui ont été touchées par une série de nominations à la tête des cours de Justice de tout le pays par le président de l'Etat A. Bensalah, et cela à peine quelques jours après la nomination de l'intraitable Belkacem Zeghmati au ministère de la Justice. On croit comprendre que ces changements suggérés à la direction politique du pays ne se sont pas réalisés complètement en dehors des propositions du Garde des Sceaux actuel. Il est cependant vrai, que pour le moment, Khaled Nezzar doit rendre compte devant la Justice uniquement pour son rôle dans un complot contre les Institutions, mené par Saïd Bouteflika, selon les termes mêmes de l'accusation du Tribunal militaire de Blida. Mais une fois logé à l'hôtel de la République, à l'instar des autres instigateurs que sont les généraux Toufik, Tartag et la cheffe du Parti des Travailleurs Louisa Hanoune, complètement à la disposition de la Justice du pays, rien ne pourra empêcher une revue, judiciaire celle-là, des actions de ces anciens dirigeants militaires et leur degré de responsabilité dans l'assassinat du Président Boudiaf. Le «Hirak» n'oublie pas Mohammed Boudiaf Cette hypothèse présenterait de nombreux avantages. Elle permettrait à l'ANP de sortir définitivement par le haut, d'un épisode qui a entaché sa réputation d'armée, gardienne des Institutions. De la même façon, cela fonderait de la meilleure des manières une crédibilité à la Justice et un statut du Droit dans notre pays qui seront de toute évidence les points focaux des reformes à venir. Mieux encore, ces directions qui s'esquisseraient à petites touches, au gré des rapports de force entre le «Hirak», l'ANP et les forces de l'argent et leurs partisans, si elles venaient à se réaliser constitueraient des gages ultimes de la sincérité de la démarche de l'ANP, emportant l'adhésion définitive du mouvement populaire en résonnance avec les initiatives politiques du Haut Commandement militaire. Il va sans dire que la réouverture du procès de l'assassinat de Boudiaf ferait l'objet, à l‘intérieur, d'un accord consensuel de nature réconciliatrice et à l'extérieur d'une interprétation politique de contribution notable des pays européens et de l'Espagne à la démocratisation en cours en Algérie, en remettant Khaled Nezzar à la disposition de la Justice de son pays. Quant au règlement du dossier des disparus, qu'il faudra bien un jour traiter dans le fonds, il serait plus opportun de le laisser à la discrétion du futur président de la République aux fins de lui ménager des marges de manœuvres politiques au sein d'institutions post «Hirak» à reformer dans le sens de plus de démocratie. L'appel à la désobéissance civile de Saïd Sadi, qui fut accueilli dans un silence lourd de sens par l'ensemble de la classe politique, y compris ses alliés de la mouvance berbériste, est aussi un excellent indicateur du basculement des rapports de force sur la scène politique au sens large. Cette erreur monumentale de celui qui n'a de cesse de se présenter comme l'intellectuel de l'opposition, permet à l'homme intègre de la République, l'ancien président de l'Assemblée Populaire Nationale (APN), Karim Younès, de poser calmement sa démarche émergente et rafraîchissante d'écoute et d'ouverture tous azimuts en direction des acteurs dynamiques de la société civile mais aussi des animateurs du «Hirak» de l'intérieur du pays, évitant ainsi les pièges de l'«algéro-centrisme» que ce natif de Béjaïa mesure fort justement. Faisant appel au sens patriotique de ses interlocuteurs, n'escamotant aucune des revendications du «Hirak» dans ses composantes variées, Karim Younès est en phase d'une construction mesurée, réfléchie d'une initiative politique à même de jouer le rôle de pignon sur lequel viendraient s'articuler les mécanismes multiples et divers du mouvement social. C'est là une tâche ardue, demandant finesse et doigté et qui a besoin d'un peu de temps pour prendre l'ampleur qu'elle mérite afin de déboucher sur des propositions concrètes de sortie de crise. Les exigences du mouvement social Le «Hirak» est un exceptionnel bain de jouvence permettant à la République de remettre, grâce à la rupture féconde qu'il a introduit avec force, patience et détermination, les compteurs à zéro. C'est le moment ou jamais ! Le «Hirak» nous donne cette opportunité incroyable dans l'histoire d'une jeune Nation indépendante comme la nôtre, non seulement de fonder des bases nouvelles pour moderniser le pays, non pas par le haut mais par le bas en raison d'une demande populaire irrésistible à nulle autre pareille mais aussi de solder en l'espace de quelques mois seulement des contentieux politiques que nous trainons depuis l'indépendance en passant par une guerre civile de dix années et cela de la meilleure des façons : par le dialogue et la Justice. Qui aurait parié sur de telles perspectives en janvier 2019 ? Cette exigence de vérité et de réconciliation, portée à bouts de bras par le «Hirak», tous les vendredis imprime à la scène politique ses grandes orientations stratégiques. Le «Hirak» est en demande de réconciliation et non pas de rupture ; il appelle à des conversations franches, directes et non pas aux manœuvres dilatoires de politiciens passés maître en enfumages et dont les seules préoccupations d'avenir s'arrêtent a la gestion contrariée de leur carrière politique. Mais il n'est plus question de faire les jeux car les jeux sont faits ! Le mandat d'arrêt international lancé contre le général Khaled Nezzar marque une accélération et un approfondissement des changements à venir et indique à qui veut bien voir, tout aussi bien à l'intérieur du pays qu'à l'extérieur de la nation, que désormais plus rien ne sera comme avant. L'Algérie est encore à inventer et la force du mouvement populaire lui permet d'envisager l'ensemble des options pour son devenir. Le «Hirak» est également en demande de vérité. La vérité, toute la vérité, rien que la vérité sur la mise à sac du pays par des hommes politiques de premier rang, sur les véritables commanditaires de l'assassinat d'un héros de la Révolution algérienne, sur les détournements par milliards de dollars d'hommes d'affaires véreux se gargarisant de leur capitanat industriel là où il ne s'agissait pour le mieux que de passe-droits, de monopoles, de supercheries et pour le pire d'esbroufe et d'escroquerie, sur le dévoiement d'institutions prestigieuses et jusqu'au démembrement des services centraux et régaliens de l'Etat. Le «Hirak» exige de savoir pour que de telles situations ne puissent jamais à nouveau se reproduire, plus jamais appauvrir les Algériens pour faire d'eux les prisonniers des forces de l'argent profitant aux seuls élus du Prince du moment au détriment des méritants et des compétents, des travailleurs, des besogneux, des industrieux, plus jamais permettre aux affairistes de la rente pétrolière et des rentes de situation de toutes sortes de se jouer du futur du peuple. L'Afrique du Sud, le Rwanda, la Tunisie ou le Pérou sont tous passés par des commissions «Vérité et Réconciliation» aux fins d'établir les responsabilités juridiques des véritables protagonistes ayant abouti aux méfaits dont les peuples ont été les victimes. Le «Hirak» a décidé de faire autrement. Il a inventé une Commission Vérité et Réconciliation qui ne dit jamais son nom. Elle se réunit tous les vendredis aux quatre coins du pays. Elle est une commission populaire dans l'expression pleine et entière de sa signification, en éternel mouvement, socialement souveraine, passant au crible de ses exigences les vérités qu'elle veut voir dites et les réconciliations qu'elle entend bien délimiter elle-même en imposant un rapport à la Justice, mise en demeure, sous le regard attentif des justiciables, de se reformer dans le sens de critères universellement admis. Le «Hirak» dit la vérité et exige la réconciliation. Toute la vérité, y compris sur l'assassinat de celui qui portait dans son cœur l'Algérie avant tout, toute la réconciliation y compris en direction de ceux qui furent victimes des camps d'internements par dizaines de milliers, ou les prisonniers et véritables militants politiques du mouvement national, tous courants politiques confondus qu'il s'agisse des Berbéristes ou des islamistes.