Il est un habitué des prix prestigieux. C'est sur la belle scène du théâtre Victoria Eugenia de San Sebastián que le réalisateur Costa-Gavras est venu chercher sa dernière récompense en date, le prix Donostia décerné par le festival pour l'ensemble de son œuvre. José Luis Rebordinos, directeur du festival, a salué l'ancrage de l'oeuvre de Costa-Gavras dans la société contemporaine, celle d'un cinéaste qui raconte «ceux que le pouvoir opprime, ceux que le pouvoir rend invisibles». Les humbles, les exclus, les justes ou encore les vaincus de l'histoire comme dans son dernier long métrage «Adults in the room», sur la crise financière grecque, présenté à San Sebastián. «Notre société n'a pas besoin de héros mais de personnes cohérentes» explique Costa-Gavras. Son personnage principal puisque l'on ne peut parler de héros, dans Adults in the room, son dernier film qui sort début novembre en France, incarne cette cohérence. Yanis Varoufakis, ancien ministre des Finances de la Grèce du gouvernement de coalition de gauche conduit par Alexis Tsipras, a raconté son expérience du pouvoir, les mois pendant lesquels il a tenté de renégocier la dette grecque, de desserrer le noeud qui étranglait la population pour relancer l'économie. Pour cela, il lui a fallu négocier pied à pied avec ses créditeurs, à commencer par la fameuse troïka, et bien entendu l'Eurogroupe. Conversations entre adultes : dans les coulisses secrètes de l'Europe, c'est le livre à partir duquel Costa-Gavras a élaboré un scénario. Un retour à ses racines grecques pour le réalisateur et aux sources de la tragédie d'un peuple. Yanis Varoufakis, «Le ministre qui agaçait Bruxelles» titra Le Monde, démissionnera au bout de six mois faute d'avoir pu faire bouger les lignes. Comment raconter la tension dramatique des négociations bruxelloises, faire de bureaucrates en costume trois pièces des personnages, rendre les réunions de l'Eurogroupe réellement haletantes ? «La fiction est la meilleure manière de raconter la réalité», explique Costa Gavras. Entre tragédie grecque (le choeur antique, la pythie, le ballet cathartique, les colonnes du temple de la finance où se perd le héros), film noir et conte cruel, le récit est dans une tension permanente, servi par une galerie de personnages brossés par des dialogues affûtés où se mêlent humour et cynisme. Le cinéma de Costa Gavras est un cinéma «précis» a dit encore José Luis Rebordinos. Efficace. Une efficacité qui a fait du réalisateur l'un des porte-drapeaux du cinéma politique. Un palmarès très politique «C'est la signification des faits qui m'intéresse et non pas les anecdotes», écrit Costa-Gavras. Démonter les mécanismes du pouvoir - politique, économique ou les deux souvent tant ils sont liés - et montrer comment ils piègent les individus. De la répression du régime militaire en Grèce (Z, Oscar du meilleur étranger en 1970), le soutien des États-Unis au coup d'Etat d'Augusto Pinochet au Chili (Missing, Palme d'or à Cannes en 1981) aux criminels de guerre nazis réfugiés aux Etats-Unis (The music box, Ours d'or à Berlin en 1990)... dans sa longue et riche filmographie, Costa-Gavras nous a raconté le XXe siècle et ses errances, de quelque côté qu'elles viennent. Et les sollicitations à dénoncer les injustices ne manquent pas, les invitations des parties présentes à sa conférence de presse en témoignent. «Nous n'allons pas fermer nos gueules pour faire plaisir à ceux qu'on n'aime pas» disait Yves Montand. Cette phrase, Costa-Gavras la cite dans son autobiographie, Va où il est impossible d'aller (2018), et la fait sienne : toutes les iniquités sont à dénoncer, quel que soit leur prétendu bord politique. C'est un gage de la cohérence mise en avant par le réalisateur. Dans son autobiographie toujours, Costa-Gavras, parlant du livre-témoignage de Yanis Varoufakis, écrit «"Adults in the room" raconte des situations vécues... avec une subjectivité constamment soucieuse d'éthique». Cohérence, subjectivité assumée, éthique... et tout cela au service d'un cinéma de résistance dont Costa-Gavras est bien l'un des chefs de file.