L'explosion, suivie d'un effet de souffle comparable à celui d'une bombe atomique qui a secoué mardi dernier la capitale du Liban, n'a pas été ressentie uniquement jusqu'à Chypre. En réalité, elle a frappé de plein fouet les sentiments à vifs de tous les Arabes qui prennent conscience de la signification réelle d'un évènement d'une amplitude sans précédent depuis 1945. Désormais le concept de «guerre hybride» n'est plus l'apanage des conflits de basse intensité. Il rentre dans les zones inconnues de la logique de la dissuasion quasi-nucléaire, explorant le champ de bataille des faillites de la sécurité industrielle en autant de théâtres opérationnels pour défaire l'adversaire, lorsque toutes les autres options, y compris celles des pressions par la dette ont été épuisées. L'échelon gigantesque de la déflagration, cherche de toute évidence à frapper de sidération le Peuple Libanais, les peuples arabes et iraniens, en escomptant provoquer une paralysie de sens et d'intelligence des luttes populaires dans cette région cruciale pour l'exercice de la domination mondiale. La stupéfaction qui a saisi notre peuple arabe au Liban n'est pas le simple résultat d'une menace brandie contre des frères en dignité. C'est l'annonce d'une nouvelle phase des agressions impériales transformant la politique de la canonnière du XIXème siècle en des actions subversives, des sabotages en tous genres, déguisés en incidents, apanages anodins du XXIème siècle. Toutes proportions gardées nous l'avons expérimentée en Algérie. L'attaque de l'usine de gaz de Tiguentourine le 16 Janvier 2013 était de même nature et aurait pu se conclure par la pulvérisation du site industriel en un immense champignon de sable s'élevant dans notre désert comme nous observâmes, celui du nitrate d'ammonium en mélange de vapeurs d'eau de mer, qui a déferlé sur Beyrouth martyrisée. Lorsque l'armée américaine a projeté le film «La Bataille d'Alger» dans l'auditorium du Pentagone le 27 aout 2003, il ne s'agissait pas seulement d'en tirer des leçons pour éviter les erreurs de l'armée française coloniale durant notre guerre de libération nationale en Irak et en Afghanistan. En réalité la pensée stratégique US est d'une agilité exceptionnelle. L'œuvre de Gillo Pontecorvo était une illustration didactique en appui d'une réflexion théorique en cours, au sein des hautes sphères de leur Etat-Major, en une intégration progressive de la puissance du mode opérationnel de la guérilla dans le dispositif multidimensionnel de leur machine de guerre. En appui de la théorie du «chaos constructeur», les penseurs anglo-saxons des conflits (et non pas des guerres, la différence est essentielle) embrassent l'ensemble des sciences humaines en autant d'instruments pertinents au service de leur domination sans partage sur le monde. La guerre n'est plus un terrain d'expérimentation des seules technologies comme elle le fut pour la division Condor d'Hitler bombardant le 27 avril 1937, les républicains espagnols à Guernica, petite commune située en Pays Basque. L'aviation nazie y avait lancé en une première de sinistre mémoire, ses stukas, célèbres avions bombardiers allemands qui piquèrent, toutes sirènes hurlantes, pour ajouter à la destruction des bombes larguées, l'effroi glacial des sons stridents proclamant la mort, additionnant à l'art martial des troubles psychologique paralysant. De nos jours, le seul imperium de ce monde militarise tout ce qu'il touche. Qu'une société exprime des différences confessionnelles, les voici essentialisées pour fragiliser de l'intérieur les Nations les plus solides. Qu'une administration soit défaillante (celle des Postes et Télécommunications dans notre pays semble découvrir avec stupéfaction l'utilité des modes de paiement électroniques, retardés depuis des décennies par qui ? ) et voilà que sont jetés à bas les efforts laborieux de l'action présidentielle en reconstructions fécondes. Sans trop de dommages pour cette fois-ci, si ce ne sont des retards que la réaction prend soin de poser comme autant d'embûches sur le chemin du redressement national. Et la prochaine fois, et la fois d'après et la énième fois, qu'est-ce qui nous attendra au sortir de cette guerre d'usure que l'ANP est en mesure de parfaitement comprendre lorsqu'elle la rapproche de celle qu'elle fut contrainte de mener aux côtés des troupes égyptiennes sur le front israélien ? Des émeutes dans tout le Pays à bout de patience de l'incurie administrative ordonnée par qui ? La bureaucratie en Algérie n'est pas le signe d'une inefficience technique de l'Etat. Elle est de nature politique. Elle exprime sa solidarité d'avec le système de la rente pétrolière et des fractions hégémoniques au sein du régime qui la conduisent en affranchissement aussi bien de l'impôt que de l'assujettissement contraignant des demandes sociales citoyennes. Ainsi se réalisent les déstabilisations modernes. Il ne s'agit plus d'infiltrations et de parachutages d'armes au Cap Sigli, en décembre 1978, s'appuyant à l'époque sur un ingénieur des eaux et forêts. Nous assistons à des alignements habiles des frustrations populaires en autant de coups portés sous la ceinture de l'action présidentielle. Le champignon des «libaniaiseries»... Les ennemis lointains qui ont érigé dettes et hypothèques en un instrument de combat suprême contre l'axe de la résistance au Liban – c'est à dire les patriotes chiites, sunnites et chrétiens qui ont su dépasser leurs différences religieuses pour bâtir un Etat de l'unité nationale- alliés à la félonie de ceux qui ont allumé l'étincelle de la mèche des stocks de nitrate d'ammonium; n'avaient qu'un seul objectif. Il fut exprimé tout sourire par le Président de la République française en tournée dans une capitale dévastée du Machrek aujourd'hui, demain à ne Dieu ne plaise du Maghreb... Plier les livres comptables de la banque centrale libanaise à un audit financier du FMI, restructurer sa dette d'un montant de 92 milliards de dollars (soit 170% de son PIB) si bien entendu «la classe politique» consentait, habilement, à isoler le Hezbollah. En filigrane, il s'agit pour Paris en perte incontrôlée du Liban, de réfuter toute la construction issue des dernières élections démocratiques, pour la découvrir subitement en œuvre anti-confessionnelle d'un «système politique archaïque et corrompu». Le confessionnalisme ne gênait pourtant personne et surtout pas les laïques au sortir de la seconde guerre mondiale lorsque les maronites dominaient outrageusement la scène politique du Levant… Mais, il n'y a là rien de bien nouveau. Le Cheikh Nasrallah qui ne parle jamais pour ne rien dire avait déjà publiquement évoqué des propositions américaines aux fins de «reprofiler» la dette libanaise pourvu que le gouvernement de Saad El Hariri aux affaires à l'époque, se mette à décrédibiliser puis à évincer le Hezbollah des positions d'influence qu'il détient au sein de l'appareil d'Etat, en particulier au cœur de l'organisation sécuritaire et du principal port du Pays. N'est-ce pas pour cette raison précise que l'ancien Premier Ministre Saad El Hariri, fut détenu en Arabie Saoudite par un jeune Prince impatient de démontrer aux américains l'efficacité de sa fougue, à contrario de ce qui est souvent décrit par des commentateurs spécieux comme un renoncement de ses ainés, en justification d'un coup d'Etat blanc rampant qui cache mal ses sources d'inspiration ? Le syndrome de l'assassinat du grand roi Fayçal n'en finit pas de traumatiser la classe politique saoudienne, autre exemple d'action psychologique de grande efficacité assurant la vente et l'après-vente. La salade des «algérianiaiseries» ! C'est le «Jérusalem Post» de jeudi dernier qui s'évertue à faire passer pour scandaleux la mainmise du Hezbollah sur l'infrastructure vitale qu'est le port de Beyrouth, en dénonçant «le terminal spécial où des armes en provenance d'Iran» seraient régulièrement déchargées pour ensuite être envoyées dans les dépôts de la seule armée qui infligea une défaite cinglante en 2006 à «l'entité sioniste». Cela n'empêche absolument pas le Président américain d'affirmer sibyllin que «ses généraux lui ont dit qu'il s'agissait probablement d'un attentat» alors que la radio de l'armée israélienne, Galeï Tsahal, ne cesse de répéter un argument à la sémantique étrangement juridique, en affirmant «qu'il n'y a pas de lien entre l'explosion à Beyrouth et Israël», comme si elle mettait au défi les libanais et leurs alliés de prouver par un faisceau de preuves irréfutables son implication réelle. Jusqu'aux aides israéliennes proposées «spontanément», en gage de bonne foi, sans aucunes conditionnalités que Trump l'évangéliste se charge sans trop se prier de décliner sentencieusement. Ainsi est-il plus aisé à Washington de prétendre que cela n'était pas faute d'avoir prévenu le Liban d'une catastrophe à laquelle cette terre martyre s'exposait, en cas de refus de la main si généreusement tendue... «Une paix des braves» en quelque sorte contre le Hezbollah comme celle qui fut proposée hier par De Gaulle contre l'ALN. D'autres temps, d'autres moyens, mêmes arrogances et mêmes «libaniaiseries» néocoloniales en échos des «algérianiaiseries» coloniales d'hier. L'arme secrète, ce ne sont plus les contingents «d'Expeditionary Marines Units», dont 259 furent décimés le 23 octobre 1983 à l'aéroport international de Beyrouth par le Djihad Islamique et dont les services américains ont toujours rêvé de se venger de manière... spectaculaire. C'est désormais la capacité à jouer des faiblesses de l'adversaire, de son inorganisation, de son manque d'anticipation, de ses impasses politiques en exclusions de communautés sociales diverses, de sa propension ou pas à intégrer les femmes dans l'activité politico-économique du pays, de son traitement des immigrants, de l'obligation qui lui est assignée de ne plus interdire un étendard amazighe de la sécession érigé en droit inaliénable en attendant la maturation de dynamiques ouvertement fractionnelles qui inciteront les pyromanes des temps nouveaux, lointains et intimes, à incendier tout ce que les générations précédentes ont difficilement préservées, à commencer par les forêts d'oliviers des ancêtres, de pins, de liège et de palmiers. Il faut un très haut degré de conscience de responsabilité historique pour travailler sans relâche au rapprochement des points de vue arabes au sein de la Ligue du même nom pour aider le Liban en convergences solidaires avec cette capitale vibrante d'intelligence, en rapprochements actifs des armées arabes en direction de l'Armée Nationale Libanaise pour l'aider à se relever de cette explosion ravageuse visant à atteindre son esprit de résistance plutôt que les corps ensanglantés par des éclats de verre insignifiants. Nous encourageons l'action du Président du Parlement national algérien, Si Chenni en réaction active au profit du Parlement libanais, mais encore plus, la communication téléphonique du Chef d'Etat-Major de l'ANP Saïd Chanegriha en direction de son homologue libanais Joseph Aoun pour dire l'amitié indéfectible des armes des deux pays. Il faut aider le Liban à reconstruire son Port. Nous pouvons puissamment y contribuer car nous produisons les matériaux de construction nécessaires à la remise en ordre du commerce souverain du Liban combattant. N'est-ce pas là une belle mission initiale pour l'Aldec, cet organisme de la coopération internationale ? Le président de la République en ordonnant l'envoi d'un bateau chargé de matériaux de construction à cet effet, tranche avec l'aide internationale qui pour beaucoup exclue la reconstruction du domaine humanitaire, pour l'assortir de conditionnalités dictées par Tel Aviv. Bien plus de bateaux chargés de la terre ensanglantée de nos moudjahidine de l'Algérie des chouhada transformée en ciment et en acier, pour voir émerger des quais modernes à même de permettre aux frères en espérance d'importer tout ce qui leur chante en dépit des obstacles ennemis. Et prendre grand soin du nôtre – le port d'Alger des risques industriels patents – dont nous avons bien imprudemment confié la gestion à une société émiratie... La plus grande de toutes les «libaniaiseries» !