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Le père de la reconstruction de Beyrouth assassiné
Publié dans El Watan le 17 - 02 - 2005


L'ONU demande que l'on respecte la souveraineté
du Liban. De son côté, le délégué syrien aux Nations unies condamne l'interventionnisme international
dans les affaires internes du Liban, pays souverain !
Sans commentaire
Symbole du renouveau économique d'un Liban meurtri par plus de quinze années de guerre, Rafic Hariri, qui vient de succomber, suite à un attentat, incarne aussi aux yeux de ses concitoyens l'homme par qui la réussite est arrivée. Réussite personnelle, mais également celle d'un pays tout entier qui a su, tel un phénix, renaître de ses cendres…
Mais qui est donc ce personnage aux multiples facettes qui a su se frayer un passage remarqué dans la politique.
Rafic Bahaeddine Hariri est né en 1944 à Saïda au Sud-Liban, dans une famille musulmane sunnite.
Après des études d'expertise-comptable à l'université arabe de Beyrouth, il part travailler à Djeddah en Arabie Saoudite.
Là, il fonde nombre d'entreprises spécialisées dans la construction. Avec ses entreprises il participe à la reconstruction de Beyrouth.
Rentré au pays, il se crée un empire médiatique et financier qui le propulse au poste tant convoité de Premier ministre en 1992. Il en démissionne en 1998, revient au pouvoir en 2000 et redémissionne en 2004. «Même en dehors de la scène politique, sa corpulente silhouette hantait ses adversaires qui perçoivent en lui un assoiffé du pouvoir qui a fait main basse sur les médias pour asseoir ses positions», souligne la presse de
Beyrouth.
Mais malgré tout ce qui a pu être dit sur sa carrière, Rafic est demeuré cet homme charismatique proche du peuple. Il n'y a qu'à voir la foule considérable qui a suivi son cortège pour s'en convaincre.
Face à face Lahoud-Hariri
Lorsqu'il a présenté sa démission l'année dernière, au président Lahoud, il écrivait que «relever les défis auxquels fait face le Liban ne peut se faire qu'en cas de front intérieur uni, qui permettrait de répondre aux aspirations des Libanais, mais comme la réalisation de ces objectifs est bloquée par les circonstances politiques que l'on sait, j'ai estimé opportun de présenter ma démission».
Cet aveu d'échec intervient au lendemain d'une déclaration du Conseil de sécurité des Nations unies, réitérant la demande d'un retrait des forces syriennes du Liban (plus de 14 000 soldats) et du respect de sa souveraineté. Déclaration évidemment rejetée par Damas et Beyrouth.
En vérité, Hariri n'a jamais fait mystère de la crise entre le président Lahoud, proche de la Syrie, et lui. Les relations entre le musulman sunnite et le chrétien maronite, sont de notoriété publique, orageuses. Le premier est accusé de barrer la route à la reconduction du second à la tête de l'Etat.
Mais c'est finalement Lahoud qui aura le dernier mot.
Pourtant, les grandes puissances étaient sur la même longueur d'onde : l'élection pour six ans du nouveau président doit se faire «conformément à la Constitution actuelle et en dehors de toute ingérence étrangère», écrivait la presse de Beyrouth. Mais le lendemain, le Parlement libanais votait un projet de loi visant à la reconduction pour trois ans du président Emile Lahoud.
Colère de l'opposition et de Hariri qui s'insurgent contre la mascarade, ce qui fait dire à l'ex-Premier ministre : «On souhaite des élections propres et libres, sans pression ni volonté de clonage. C'est un coup d'Etat entrepris contre le système démocratique libanais.» L'allusion à l'ingérence syrienne est à peine voilée. Les partisans de Hariri ruent dans les brancards et utilisent tous les moyens pour discréditer l'opération.
Un vaste empire médiatique
«Le système politique libanais, lit-on, est la fosse d'aisances du régime syrien.» «Ce Liban-là pue la pourriture et la corruption. La seule façon d'en finir est de sceller hermétiquement cette fosse avec tout ce qu'elle contient, anges et démons, présidents, ministres, députés princes, intellectuels, révolutionnaires gauchistes, réactionnaires, mécréants laïcs, dévots et athées et d'y jeter par avance tous les retardataires qui voudraient s'y raccrocher. Nous Libanais méritons ce merveilleux destin, nous ne méritons rien d'autre que de nous faire enterrer dans le cloaque qui symbolise si bien les merveilleuses relations entre la Syrie et le Liban», notait avec une bonne dose de dérision le chroniqueur d'An Nahar Journal qui n'appartient pas pourtant à Hariri, propriétaire de Radio Orient, deux revues (El Mostaqbal et Al Hadaf) et trois quotidiens (Saout El Ourouba, Al Hoda, Le Matin) et une chaîne de télévision (Future télévision). Ayant pris ses distances avec Damas, Hariri est de plus en plus isolé, il perd même le soutien de son ami de toujours Walid Joumblatt. Son intransigeance envers la Syrie l'a-t-elle emporté ? Il faut bien le croire si l'on se réfère aux accusations proférées contre le grand voisin
soupçonné d'être derrière cet odieux carnage.
D'ailleurs, les éditorialistes libanais n'hésitent pas à enfoncer le clou en écrivant que la «Syrie est le protecteur régional du régime libanais, le principal électeur du président voisin, et le chef d'Etat syrien est le véritable patron des responsables libanais, car quoi qu'on dise, les grandes décisions sont prises à Damas». Du reste, l'attentat contre Hariri a été précédé, il y a quelques semaines par le démantèlement d'une cellule d'El Qaîda à Beyrouth. «Cette cellule était sur le point de commettre plusieurs attentats au Liban, notamment contre l'ambassade italienne dans la capitale libanaise», avaient relevé les chancelleries occidentales.
Déjà en septembre 2004
Selon les Libanais, ces incidents de sécurité feraient partie d'une contre-offensive de Damas, visant à démontrer que sa présence au Liban reste indispensable.
Par ailleurs, le 24 septembre 2004, deux jours avant l'explosion d'une voiture piégée à Damas et la mort d'un dirigeant du Hamas, cheikh Khalil, Al Hayat publiait en première page une information selon laquelle les bureaux des organisations palestiniennes à Damas ont été fermés et leurs lignes téléphoniques coupées. «Un service de renseignements arabe aurait remis au Mossad un dossier bien documenté de la structure du Hamas et sur ses dirigeants basés à l'étranger.» Hariri a eu à s'exprimer sur divers thèmes de l'actualité internationale. Sur le 11 septembre 2001 et ses conséquences dramatiques sur le monde, il ne cache pas que «s'il n'en connaît pas les commanditaires, il condamne fermement leurs auteurs, des fous, dénués de bon sens qui ont fait mal à l'Islam et aux Arabes». Sur le conflit israélo-palestinien, «comment voulez-vous que la population arabe, quand elle regarde la télévision et voit les persécutions israéliennes puisse rester sans réaction. C'est du terrorisme par excellence. Comment comprendre les Américains décidés à mener une coalition internationale contre le terrorisme et qui restent passifs lorsqu'il s'agit de faire pression sur Israël. Non, on est contre la politique des deux poids, deux mesures». Sur les relations internationales, Hariri a admis qu'il a fait beaucoup d'efforts pour consolider la coopération avec l'Afrique qui peut désormais s'inspirer de l'exemple libanais. Il a mis en exergue ses liens très bons avec l'Algérie, pays ami, où l'on prête à son fils l'intention d'investir… La disparition de Hariri va-t-elle affaiblir la Syrie ? Rien n'est moins sûr, car les Israéliens aussi sont impliqués. De leur point de vue, que vaut-il mieux ? Que la Syrie mette fin à son occupation au Liban et accorde davantage d'indépendance à
Beyrouth ? Ou qu'elle reste au Liban pour assurer la stabilité d'un pays notoirement perméable aux organisations violentes et pas toujours à l'abri d'une guerre civile. Ce qui est sûr, aux yeux des Israéliens, c'est que le gouvernement libanais n'est pas à même de contrôler le pays, particulièrement le Sud (cette région chère à Hariri où il est né), où il ne peut contester ni le pouvoir du Hezbollah ni la présence iranienne. «Dès lors, un départ total de l'armée syrienne créerait un vide qui serait rapidement comblé par les extrémistes», relève l'éditorialiste de Haaretz de Tel-Aviv… C'est dire que l'homme, qui a été assassiné, constituait à lui seul un réel équilibre. Il n'était sans doute pas aimé de tous les Libanais. Son œuvre de reconstruction, les abus auxquels elle a parfois donné lieu, la dette qu'elle a générée ne faisaient pas l'unanimité sur sa personne.
Et c'est sur lui néanmoins, sur cette incarnation du rêve américain en version libanaise que comptaient même les plus sceptiques pour voir le pays remonter un jour la pente. «Eliminé vraiment, le rond» mais pugnace Rafic ? Il faut croire que non. Comme de son vivant, Hariri continuera d'en épouvanter plus d'un !
– Parcours
Homme politique libanais, Rafic Bahaeddine Hariri est né en 1944 à Saïda dans une famille musulmane sunnite. Après des études d'expert-comptable à l'université arabe de Beyrouth, il part travailler à Djeddah en Arabie Séoudite. Il y fonde la société Siconest spécialisée dans le marché des accessoires du bâtiment puis nombre d'autres entreprises, surtout de construction. Rentré au pays, il se crée un empire médiatique et financier. Elu député, il rassemble un bloc parlementaire et devient Premier ministre en 1992. Il doit démissionner en 1998, mais revient au pouvoir en 2000 grâce à ses projets de reconstruction du Liban et surtout de Beyrouth. Il redémissionne en 2004 et meurt dans un attentat en 2005.


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