Dans son dernier opus, «Journal d'une jeune schizophrène», Rabéa Douibi invite le lecteur, à travers l'histoire poignante de la jeune Dounya tragiquement disparue, à méditer les valeurs de la probité et la compétence, préalables à une citoyenneté pleine et utile, perçues dans les sociétés soumises comme des motifs de disqualification. Edité par l'Entreprise nationale de communication, d'édition et de publicité (Anep), ce récit de fiction de 173 pages, est rendu en quatre parties et commence par la découverte fortuite, du journal intime de la jeune Dounya, atteinte de schizophrénie et tragiquement disparue après avoir avalé une surdose de neuroleptiques. Pourtant rien ne pouvait présager une telle fin à cette jeune femme imprégnée de droiture et de valeurs de citoyenneté qu'elle s'était fixée comme seuls garde-fous dans la vie. Puriste de nature, Dounya était une militante convaincue, sportive et brillante dans ses études, récemment retenue par le rectorat de l'Institut des sciences politiques et relations internationales sur la liste des jeunes doctorants. Première à découvrir «le journal intime de sa fille», Assia, médecin, mère soumise, commente les écrits datés de sa progéniture dans le tourment et le remord, ne pouvant faire son deuil et renvoyant la responsabilité à Djamel son mari, un riche entrepreneur et président d'un parti politique à vocation islamique. Au-delà des querelles domestiques que ne pouvait supporter la jeune disparue, Assia découvre les préoccupations sociales qui obsédaient sa fille, jeunesse désœuvrée, droits des femmes bafoués, domination du discours religieux, contestations sociales sans issues, autant de frustrations, sources d'un profond désarroi qui allait s'avérer fatal. Le père de la malheureuse, découvrant à son tour le «recueil d'états d'âme» de sa fille, se voit très vite confronté à ses manquements inadmissibles et ses sautes d'humeurs inadaptées, sources de tous les malaises. Faisant son «mea culpa», Djamel qui voulait contraindre sa fille à des séances d'exorcisme, non sans renvoyer la responsabilité à madame Diab, la psychiatre thérapeute qui, selon lui, n'a pu voir venir le drame, reconnaît les torts causés par son conservatisme archaïque et sa conception étroite des choses. La narration de cette tragédie se poursuit avec la psychiatre qui s'est lancée dans l'«autopsie d'un acte de suicide», après s'être vue remettre le fameux journal par Assia, dans l'espoir de rendre conscientes des peines et des regrets depuis longtemps refoulées pour susciter une abréaction rapide. Après avoir mis le doigt sur les sources du déséquilibre dans le foyer familial et établi les responsabilités, le docteur Diab rappelle avoir alerté sur la nécessité d'interner sa patiente après avoir constaté ses tendances répétées à l'isolement cumulant les frustrations internes et externes. Dounya fait enfin part de sa vision du monde, basée sur la droiture, l'intégrité et la compétence et parle de «sa vie à elle» dans différentes situations, à la maison, à l'institut, sur le court de tennis ou attablée sur une terrasse autour d'un café, entre autre. Enchaînant les déceptions dans sa relation aux siens et aux autres, hantée par un pessimisme grandissant, la jeune Dounya, anéantie par le désespoir, n'a pu se prémunir contre toutes ces voix malveillantes dans sa tête, qui n'ont cessé de la pousser jusqu'à commettre l'irréparable. Dans le récit de fiction, «Journal d'une jeune schizophrène», Rabéa Douibi s'est donnée les prétextes nécessaires pour dénoncer cette tendance à l'isolement et à la disqualification de toute personne intègre et compétente, imprégnée de valeurs de citoyenneté. Née en 1957, Rabéa Douibi est titulaire d'une licence d'enseignement de la langue française et d'une maîtrise en didactique, elle compte à son actif quatre autres ouvrages, «Comme un désert» (2004), «La femme aux chevilles tatouées» (2008), «Poésie de l'Ahaggar» (2011 et 2014) et «Le vent de la discorde» (2014).