La récente visite du Président Emmanuel Macron en Algérie s'est soldée par la signature de la «Déclaration d'Alger pour un partenariat renouvelé». Contestée par certains, à l'extrême-droite notamment, la visite pourrait pourtant permettre aux deux pays de surmonter la crise diplomatique qui les a opposés durant presque un an et ouvrir de nouvelles perspectives pour une relation apaisée même si tous les obstacles n'ont pas encore été levés. Le fait que les deux pays ambitionnent de jeter les bases d'un «partenariat renouvelé» dénote déjà d'un aveu implicite, à savoir la nécessité de tourner la page d'un passé récent marqué par les déceptions, les malentendus et le ressentiment. Les deux chefs d'Etat ont eu le courage d'exprimer leur volonté commune de regarder vers l'avenir malgré le poids des dossiers liés au passé. Dans les relations entre Etats, la meilleure configuration est celle qui voit des Etats fonder leur relation sur une convergence objective d'intérêts, loin des déclarations à caractère sentimental qui n'avancent à rien. Sur ce plan, il faut reconnaître que le Président algérien a fait preuve d'un réalisme salutaire en appelant à refonder les relations entre les deux pays sur la base du «respect mutuel et de l'équilibre des intérêts». La Déclaration d'Alger s'appuie sur plusieurs axes pour tenter de relancer le dialogue et coopération entre les deux pays. Ces axes de travail reprennent les principaux dossiers sensibles qui ont jusqu'ici empoisonné les relations entre les deux pays et qui ont trait à la mémoire, l'immigration, la sécurité régionale (Libye, Sahel). Bien entendu, une gestion réussie de ces trois dossiers devrait favoriser la relance du partenariat économique entre les deux pays qui reste bien en-deçà de ce que laissent espérer les potentialités existantes. Mémoire En ce qui concerne l'épineux dossier de la mémoire, Macron a réitéré à Alger la position qu'il ne cesse de rappeler depuis quelques années. Ni apologie de la colonisation ni repentir mais recherche de la vérité et reconnaissance. Le tout étant inscrit dans une logique qui privilégie l'avenir. On comprend par là que pour des raisons objectives qui tiennent notamment à la difficulté pour les dirigeants français de reconnaître les crimes de la colonisation sans renforcer l'extrême-droite. Les deux chefs d'Etat ont finalement convenu d'une solution de compromis : la constitution d'une commission commune pour l'écriture de l'histoire, une écriture dont on nous dit qu'elle sera «académique» et non «politique». Cette proposition complètement irréaliste est en contradiction avec la position défendue jusqu'ici par Alger qui a déclaré au lendemain de la publication du Rapport Stora qu'il est impossible de rêver d'une écriture commune de l'histoire. En acceptant l'idée saugrenue d'une écriture commune de l'histoire, les dirigeants algériens semblent ignorer les véritables motifs de la difficulté éprouvée par les dirigeants français à reconnaître ce que fut la colonisation en Algérie. Bien-sûr, il y a le poids des lobbies anti-algériens (dont le lobby des nostalgiques de l'Algérie française) qu'aucune bonne intention ou disposition ne saura effacer. Mais au-delà de ce facteur important, ce que les dirigeants algériens ne semblent pas prendre suffisamment en compte, c'est que l'incapacité française à regarder en face le passé ne relève pas seulement d'une rigidité à caractère psychologique. Si on ne reconnaît pas le passé colonial, comment s'assurer qu'on est prêt pour un nouveau partenariat débarrassé de tout préjugé à caractère néocolonial ? En feignant de parier sur la jeunesse algérienne, croyant ainsi à tort que le temps finira par faire oublier les crimes de la France en Algérie, les dirigeants français ne rassurent guère leurs partenaires algériens sur leur disposition à tourner la page et à inaugurer une nouvelle étape dans leur relation bilatérale fondée sur le respect mutuel. A voir comment les jeunes oranais ont accueilli Macron aux cris de «one, two, thjree, viva l'Algérie !» le pari français semble compromis. Et d'ailleurs, qui a dit que la jeune génération algérienne qui compte dans ses rangs de nombreux diplômés sera moins exigeante que ses aînés lorsqu'il s'agira de renégocier les termes d'une coopération dont tout le monde sait qu'elle a été jusqu'à présent déséquilibrée au profit de l'ancienne métropole coloniale ? Mobilité Ce n'est pas pour rien que Darmanin a été du voyage à Alger. Les deux délégations ont discuté du dossier qui les a opposés ces dernières années, le dossier de l'immigration et c'est sans doute pour tenter d'effacer la violence qu'il charrie que les politiques à la recherche d'un langage toujours plus trompeur ont choisi l'euphémisme de «mobilité» pour le désigner. Soit. Macron a eu le courage de rappeler à Alger ce qu'il a décidé avant sa réélection : la diminution draconienne du nombre de visas octroyé aux Algériens et un meilleur ciblage des catégories qui vont dorénavant en bénéficier : hommes d'affaires, universitaires, comédiens et sportifs avec un accent particulier sur les amis de la France. En coulisses, Darmanin est sans doute revenu sur le dossier épineux de l'expulsion des Algériens en situation irrégulière en France. Sur tous les aspects de la politique migratoire, et même si l'option de l'«immigration choisie», empruntée à Sarkozy, apparaît à l'évidence comme immorale, force est de constater que la France est dans son droit. Le nombre de visas octroyé et l'expulsion de personnes se trouvant en situation irrégulière sur son territoire relèvent de sa souveraineté. L'Etat algérien peut à la rigueur réclamer du gouvernement français qu'il respecte ses obligations européennes et internationales en matière de respect des droits humains et notamment de la dignité des personnes détenues et contre lesquelles une décision d'expulsion a été notifiée mais il n'a pas le droit de refuser de délivrer des laissez-passer consulaires à ses ressortissants expulsés de France. D'un autre côté, cette question des Algériens en situation irrégulière en France n'est que l'arbre qui cache la forêt. Tout au plus, ils sont une dizaine de milliers et parmi eux, il y en a qui auront la chance de voir leur situation régularisée surtout s'ils font partie des catégories visées par «l'immigration choisie». Au lieu de perdre son temps avec une question sur laquelle il n'a aucune prise, le gouvernement algérien devrait plutôt réfléchir à empêcher l'exode de ses cadres en leur assurant sur place de meilleures conditions de travail. Par ailleurs, il devrait interpeler le gouvernement français, si friand à donner des conseils en matière de droits humains aux autres, sur la situation catastrophique de plusieurs centaines de milliers d'Algériens établis depuis longtemps en France et dont les chiffres officiels du ministère français de l'Intérieur montrent à l'évidence qu'ils subissent une terrible exclusion sociale sur tous les plans (emploi, logement, éducation). Sécurité régionale Paradoxalement, les dossiers liés à la sécurité régionale (Libye, Mali ) qui ont opposé les deux pays dans un passé récent sont en train de les rapprocher. Et pour cause. De nombreux développements dans la région, dont notamment le retrait des troupes françaises du Mali qui a tout l'air d'un échec militaire et diplomatique cuisant, ont poussé les deux pays à se rapprocher. La visite de Macron à Alger a donné lieu à deux réunions de travail quasi-historiques : une réunion des chefs des services de sécurité des deux pays sous la présidence des deux chefs d'Etat et une réunion entre le chef d'état-major de l'armée algérienne et le ministre français des Armées accompagné par le chef d'état-major des Armées françaises. Si rien n'a filtré de ces deux réunions, on sait d'ores et déjà que les deux pays vont conjuguer leurs efforts en matière de prévention et de lutte contre le terrorisme et ses terreaux (trafic de drogue, traite des êtres humains). Le point de convergence principal tant en Libye qu'au Mali est l'opposition commune des deux pays à la présence étrangère dans la région, même si les motivations de l'un et l'autre ne sont pas tout à fait les mêmes. La France reste obsédée par la présence turque en Libye et par la présence des milices Wagner au Mali (ces milices sont également présentes en Libye mais curieusement la France ne semble s'en réoccuper outre mesure sans doute parce que la France a été durant plusieurs années du côté de ceux-là mêmes qui ont fait appel aux milices de Wagner) alors que l'Algérie réclame le retrait de l'ensemble des troupes étrangères de la région et ce, depuis le début de la crise. Le dialogue stratégique que les deux pays ont promis d'inaugurer prochainement et de tenir régulièrement aura sans doute à rapprocher les points de vue et à identifier les dossiers concrets dont la prise en charge permettra d'avancer ensemble vers la réalisation d'un certain nombre d'objectifs communs. La méfiance réciproque ne va pas disparaître subitement mais la franche discussion qui a eu lieu entre les deux délégations est déjà un premier pas qui augure de prochaines avancées si les deux pays savent s'accrocher à l'essentiel et évitent les pièges tendus par ceux qui risquent d'être dérangés par ce rapprochement. Coopération économique Le Président Macron s'est évertué lors de son voyage à Alger à dire qu'il n'était pas là pour le gaz en prétextant que ce dernier ne représentait que 20% dans le mix énergétique français et que la part algérienne dans les importations de gaz ne dépassait pas les 9% tout en se félicitant du fait que l'Algérie ait augmenté ses livraisons de gaz à l'Italie. Cependant, le rôle croissant que l'Algérie s'apprête à jouer sur le marché énergétique européen ne peut laisser indifférent la France ne serait-ce qu'en raison de ses retombées géopolitiques et de son imbrication avec d'autres projets économiques porteurs tant dans l'amont que dans l'aval et qui ne sauraient laisser indifférents les grands groupes français comme Total et Engie. Mais la question qui préoccupe le plus les dirigeants français est la perte de vitesse enregistrée par les entreprises françaises sur le marché algérien durant ces dernières années au profit d'autres concurrents (Chine, Corée du sud, Turquie et bientôt Italie). Les Français ont tort d'y voir seulement la conséquence de choix politiques qui interfèrent avec des considérations diplomatiques. Ce dernier facteur n'est pas à négliger mais le recul de la France en Algérie relève d'une tendance lourde que des pressions économiques et sociales incompressibles ne feront que confirmer et consolider durant les prochaines années. Pour justifier leur frilosité à investir en Algérie, les Français prennent prétexte des difficultés inhérentes au marché algérien (opacité, freins bureaucratiques, instabilité juridique, etc.) Les obstacles décriés par les Français ne sont pas une vue de l'esprit mais outre le fait que les Français n'expliquent pas comment les difficultés qui freinent l'acte d'investir n'ont jamais empêché durant de nombreuses années la France de vendre et bien vendre en Algérie. Par ailleurs, comment les Français peuvent expliquer que les difficultés du marché algérien n'ont pas découragé les entreprises en provenance d'autres pays qui ont pris le risque d'investir comme l'entreprise familiale turque (Tosyali) présente dans la sidérurgie algérienne et qui a exporté l'année dernière l'équivalent d'un milliard de dollars ? Idem pour les Qataris qui ont construit une aciérie géante à Jijel qui produit actuellement 2 tonnes d'acier par an et ambitionne d'augmenter sa production à 5 millions de tonnes. Comment expliquer le fait que la France qui a profité du pétrole brut algérien durant des décennies n'a jamais daigné construire une raffinerie en Algérie, chose que les Chinois, eux, ont fait à Adrar ? Comment expliquer que les Turcs ont accepté d'associer dans un projet pétrochimique d'envergue de 2 milliards de dollars sur leur territoire à hauteur de 38% alors que les Français ne l'ont jamais fait et se contentent d'acheter du gaz algérien ? Les Américains sont fortement présents dans le secteur pétrolier algérien mais au moins ils ont le mérite d'investir dans des projets industriels avec à la clé un transfert de technologie comme l'atteste l'exemple de General Electric qui vient de construire une usine à turbines à gaz à Batna et qui sous-traite la fabrication de pièces de rechange pour ses turbines installées aux Pays Bas par une société algérienne, filiale de Sonelgaz, située à M'Sila. Bref, si les Français sont à la traîne comme le montre le grave déficit commercial enregistré avec l'Algérie durant le premier semestre de l'année en cours, c'est essentiellement en raison d'un logiciel dépassé par l'histoire et qu'il convient aux Français de remplacer au plus vite par un nouveau logiciel. Pour cela, ils n'ont pas besoin de réinventer l'eau chaude. Ils doivent suivre l'exemple des partenaires qui sont en train de faire de belles affaires en Algérie tout simplement parce qu'ils n'ont pas pris de haut les Algériens et qu'ils ont accepté un partenariat équilibré. Pourtant, la France avec ses fleurons technologiques dans tous les secteurs a de quoi rivaliser avec ses principaux concurrents si elle rompt définitivement avec le préjugé néocolonial qui consiste à traiter l'Algérie comme un pré-carré acquis à jamais sans efforts d'investissements sérieux. Et ce ne sont pas les promesses générales de Macron qui changeront quelque chose à la situation. Les dirigeants algériens subissent actuellement une pression populaire irrépressible qui les met devant une obligation de résultat. Par ailleurs, ils sont courtisés par plus d'un partenaire étrange, et attendent donc de la part des Français des propositions concrètes. Les patrons français auront-ils l'intelligence d'anticiper sur ces attentes et de se positionner sur un marché porteur et émergent ? L' Algérie dont la majorité de la population est composée de jeunes de moins de 30 ans n'est plus l'Algérie de Papa. Les Algériens ne veulent plus vendre leurs matières premières, leur pétrole et leur gaz à l'état brut. Ils veulent les valoriser et participer à la chaîne de valeur grâce à des projets d'investissements qui permettent aux partenaires de partager les risques et les profits. Les entreprises françaises sauront-elles se convertir à une nouvelle coopération économique proche de la fameuse colocalisation à laquelle a appelé Arnaud Montebourg ? Si une telle réorientation de la coopération bilatérale risque de bousculer certaines vieilles habitudes des deux côtés de la Méditerranée, le réalisme devrait en revanche l'imposer rapidement, au risque de faire perdre aux deux pays une nouvelle occasion d'aller ensemble vers un avenir meilleur pour les populations.