Il y a deux ans, le Maroc et Israël ont signé la « déclaration commune » négociée par les Etats-Unis, qui reconnaît officiellement Israël et instaure des liens diplomatiques. Bien que d'autres pays arabes aient déjà fait de même, la reconnaissance officielle de l'Etat d'apartheid israélien par le Maroc a été particulièrement dévastatrice pour les Palestiniens. Il y a des années, un ami marocain m'a dit que la « première fois » qu'il avait été arrêté, c'était lors d'une manifestation de solidarité avec la Palestine, à Rabat. Après cette « première fois », il avait été arrêté encore et encore et pas seulement pour des manifestations, ce qui signifie que la Palestine, à bien des égards, est une cause à défendre au quotidien pour de nombreux Marocains. Les manifestations marocaines en faveur de la Palestine rassemblent beaucoup de monde, parfois des millions de personnes. Cet attachement à la cause palestinienne a engendré la création de mouvements régionaux et mondiaux de solidarité avec la lutte palestinienne. Les Arabes en général ont toujours considéré la Palestine comme une cause fondamentale, mais la relation entre les Nord-Africains et la Palestine est particulièrement profonde. Malgré une forte pression en faveur de la normalisation entre les pays arabes et Israël, des pays comme l'Algérie et la Tunisie refusent toujours d'établir des relations diplomatiques avec Israël. Le mérite en revient principalement aux peuples algérien et tunisien qui dénoncent le racisme israélien et ont fait de la libération de la Palestine une cause locale et nationale. Les drapeaux palestiniens ont toujours accompagné les drapeaux de ces pays à tous les grands rassemblements, qu'il s'agisse de manifestations politiques ou d'événements sportifs. Le Maroc ne fait pas exception. La solidarité avec la Palestine du peuple marocain remonte à des générations, et des centaines de militants ont payé cher les critiques qu'ils ont adressées à leur gouvernement jugé incapable de s'opposer à Israël ou de contester le soutien de Washington à Tel-Aviv. L'accord de normalisation entre Rabat et Tel-Aviv de 2020 a été faussement considéré comme la fin de la solidarité populaire avec la Palestine. En fait, ces actes de normalisation, que les Palestiniens vivaient à juste titre comme une trahison, étaient censés couper totalement la Palestine de ses voisins arabes. Cependant, cela n'a pas été le cas. La normalisation avec l'Etat israélien d'apartheid n'a jamais été acceptée par la grande majorité des Arabes, comme l'indiquent les sondages d'opinion. De plus, les manifestations d'amour pour la Palestine qui ont émaillé la Coupe du monde au Qatar ont montré, sans doute possible, qu'Israël ne sera jamais accepté par les Arabes tant qu'il demeure une puissance occupante et un régime d'apartheid raciste. Les petits gains politiques obtenus par le gouvernement marocain en échange du sacrifice des droits des Palestiniens s'avéreront nuls et non avenus dans les années à venir. On en voit déjà des signes. Le gouvernement marocain, dirigé par le Parti du développement et de la justice de Saadeddine Othmani qui avait participé aux efforts de normalisation, a été rejeté en masse lors des élections de septembre 2021. Neuf mois plus tôt seulement, Othmani signait la «Déclaration conjointe» avec le conseiller à la sécurité nationale d'Israël, Meir Ben-Shabbat. La reconnaissance américaine de la revendication de Rabat sur le Sahara occidental que Rabat a obtenue en échange de sa normalisation avec Tel Aviv, est un leurre. En effet, la supériorité des Etats-Unis et de l'Occident est de plus en plus remise en question sur l'ensemble du continent africain, en particulier dans les régions d'Afrique occidentale et centrale. De nouveaux acteurs puissants, comme la Russie et la Chine, gagnent du terrain sur le plan géopolitique et ont déjà remplacé l'Occident dans certaines régions. Le soutien des Etats-Unis aux ambitions territoriales d'un pays ne garantit plus de gains politiques à ce dernier, du fait que les lignes géopolitiques sont en train de bouger en Afrique. La normalisation des relations du Maroc avec Israël, a pris de nombreux Marocains par surprise. Les signataires se sont imaginé que le Maroc, comme d'autres nations arabes, était trop absorbé par ses propres problèmes pour remarquer les changements de politique étrangère de son gouvernement, que ce soit en ce qui concerne la Palestine ou ailleurs. Mais, à l'occasion du deuxième anniversaire de l'accord de la « Déclaration commune », des dizaines de milliers de Marocains ont manifesté contre la normalisation dans 30 villes différentes, dont Rabat, Agadir, Tanger et Meknès. Les protestations ont été organisées par le Front marocain de Soutien à la Palestine et contre la Normalisation. Selon le New Arab, le Front est un réseau qui regroupe « plus d'une douzaine d'organisations politiques et de défense des droits de l'homme ». Ils scandaient : « Le peuple veut abattre la normalisation », un slogan qui rappelle le slogan populaire panarabe d'il y a dix ans : « Le peuple veut changer le régime ». Ce dernier a résonné dans de nombreuses capitales arabes pendant les années de bouleversements politiques, à partir de 2011. Ce mouvement populaire et ses slogans indiquent que la Palestine reste une lutte locale et nationale au Maroc, ainsi que dans d'autres pays arabes. Mais pourquoi le Maroc, et pourquoi maintenant ? L'association populaire des drapeaux marocain et palestinien tout au long de la Coupe du monde a réveillé la conscience collective des Marocains, et les résultats impressionnants de leur équipe nationale face à des équipes légendaires comme la Belgique, l'Espagne et le Portugal leur ont redonné confiance. Il n'a pas fallu longtemps pour que ce réveil se traduise par des expressions concrètes de solidarité dans les rues de Rabat et des autres grandes villes marocaines. Le fait que les Marocains se mobilisent massivement contre la normalisation de leur pays avec Israël deux ans seulement après l'accord est le signe que des changements se préparent. L'année 2022 a été particulièrement sanglante en Palestine, et est « en passe de devenir l'année la plus meurtrière pour les Palestiniens de Cisjordanie depuis... 2005 », selon l'envoyé des Nations unies pour le Moyen-Orient, Tor Wennesland. Les Marocains, comme d'autres nations arabes, suivent l'actualité avec inquiétude, surtout depuis que le nouveau gouvernement extrémiste israélien de Benjamin Netanyahu et de ses acolytes fascistes d'extrême droite, Bezalel Smotrich, Itamar Ben-Gvir et Cie, a prêté serment. Le fait que ces deux individus ne cessent de prendre pour cible la mosquée Al-Aqsa, a un impact émotionnel particulièrement important sur les Marocains, d'autant plus que le Maroc préside le Comité Al-Quds de l'Organisation de la coopération islamique, qui est chargé de la protection de la mosquée Al-Aqsa. Israël veut normaliser ses relations avec les pays Arabes pour profiter de l'immense zone marchande qu'ils représentent et en retirer toutes sortes d'avantages économiques, tout en continuant d'occuper militairement la Palestine et d'asservir les Palestiniens. Les masses arabes politiquement engagées le comprennent bien, et se mobilisent de plus en plus contre la trahison de la Palestine par leurs gouvernements. Les gains égoïstes et limités de la normalisation pourraient bien se transformer en de gros problèmes politiques dans les années qui viennent. Il est temps pour le Maroc et d'autres pays de reconsidérer leurs liens avec Israël, car, sinon, ils risquent fort de connaître l'isolement politique et l'instabilité sociale. Ce serait cher payer les promesses creuses de Washington et de Tel-Aviv.