Au début de l'année 2022, la candidature de Macron à l'élection présidentielle alimentait abondamment les débats. «Se représentera ou ne se représentera pas à l'élection présidentielle d'avril 2022 ?», s'interrogeaient les politologues. Macron maintenait délibérément le doute sur son intention de se représenter à l'élection présidentielle.Selon un sondage publié en février 2022, soit deux mois avant le scrutin, plus de 70% des Français demandaient à ce que Macron clarifiât ses intentions, officialisât sa décision. A l'époque, une contributrice française du webmagazine Les 7 du Québec, où j'émarge également, avait soutenu, dans le sillage d'autres analystes, que Macron ne serait pas candidat. «Je maintiens ce que j'ai écrit : Macron ne sera pas candidat», avait-elle affirmé. Car, selon elle, Macron, devenu impopulaire et discrédité, allait être sacrifié par ses maîtres. Elle avait conclu sa brillante analyse par cet implacable pronostic : «Valérie Pécresse, candidate de la droite, deviendrait présidente.» Devant son affirmation péremptoire, je m'étais senti contraint de démentir son allégation. Je lui avais répondu par un message. Voici le contenu. «Non, ma chère camarade, tu te plantes complètement. Qu'on le veuille ou non, du point de vue du capital, Macron aura été, depuis Charles de Gaulle, le meilleur président de la France. Il a le meilleur bilan à son actif. Epaulé par une équipe de mercenaires du capital, Macron a su mener la guerre de classe contre le prolétariat avec poigne. Gérer la pandémie, politiquement instrumentalisée, avec brio. Faire exploser le CAC 40, le propulsant au-dessus de 7 000 points. Augmenter la richesse des capitalistes français de plus de 30%. Impulser la restructuration du capital français avec efficacité. C'est un vrai général du capital. C'est le seul candidat capable de poursuivre sa politique antisociale et liberticide avec succès. Le seul capable de réussir le Grand Reset. Donc, la bourgeoisie ne va pas confier les règnes de son Etat à une frileuse femme inexpérimentée, une pin-up de la politique (Valérie Pécresse, candidate à l'élection, pressentie victorieuse), tout juste bonne à décrocher la première place au concours de Miss France.» L'histoire m'aura donné raison. Aujourd'hui, sur un autre registre, lié à la décision de la dissolution surprise de l'Assemblée nationale par le président Macron, un nouveau débat fait rage. Ou plutôt polémique. Il porte sur la personnalité de Macron. Le Président est accusé d'avoir provoqué le chaos par sa décision de dissolution de l'Assemblée nationale et la tenue d'élections législatives anticipées. En effet, à l'issue des élections européennes, où le RN (31,5%) a fait le double du score de la majorité présidentielle (14,5%), Macron a prononcé une allocution surprise pour annoncer sa décision de dissoudre l'Assemblée nationale : «J'ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote.» Macro, prétendument respectueux de la volonté du peuple, tirait, selon certains naïfs observateurs politiques, de l'échec de sa majorité la conséquence politique logique. En tout cas, sa décision de dissolution a fait l'effet d'une déflagration. «Incompréhensible», «irréfléchie», «irresponsable», tels sont les principaux mots qui fusent de toute part. Depuis le 9 juin, à lire et à entendre les médias, par la faute de la décision de dissolution de l'Assemblée nationale, le monde politique serait en plein désarroi, le peuple en pleine confusion. Emmanuel Macron se fait l'agent du désordre, de la déstabilisation institutionnelle, voire du chaos, accusent en chœur la classe politique et les analystes. Soit dit en passant, ce sont les mêmes qu'ils lui reprochent depuis des années de piétiner la démocratie par la présidentialisation autoritaire de son pouvoir, qui le fustigent aujourd'hui parce qu'il a décidé de convoquer des élections législatives. C'est-à-dire, comme Macron l'a déclaré lors de son allocution, de s'en remettre au peuple pour renouveler l'Assemblée nationale. Du point de vue bourgeois, c'est une décision éminemment démocratique. Mais les mandarins politiques français n'aiment pas être bousculés dans leurs bureaucratiques routines durant leur sinécure parlementaire, tout comme les encroûtés politologues être arrachés brutalement à leur léthargique fonction de commentateurs de vétilles politiciennes routinières. Comment analyser cette dissolution surprise de l'Assemblée nationale ? Coup de dés, coup de folie ou coup de génie ? Tous les analystes, ces théologiens du capital, penchent pour les deux premières hypothèses. Or, contrairement aux vulgaires politiciens qui ne voient pas plus loin que leur circonscription, et les analystes, ces curés de village politologues, dont la vision ne dépasse pas le perchoir du Parlement, Macron a une vision globale et stratégique englobant la France et le monde. Macron transcende les rivalités droite-gauche. Il n'a jamais été un politicien, ni un rentier de la politique-spectacle. C'est un banquier qui connaît la valeur de l'argent et la priorité des investissements. L'ère n'est plus à la dilapidation de l'argent, mais à la lapidation des conditions de vie des travailleurs, condamnés par le dieu-capital à devoir sacrifier leurs illusoires et éphémères droits sociaux et «hauts» salaires pour soutenir l'essor de l'économie de guerre décrétée par la bourgeoisie française. L'ère n'est plus à l'investissement dans le social, mais dans le réarmement et l'économie de guerre. En tant que chef d'Etat d'un pays impérialiste, Macron est conscient que l'époque s'achemine, crise économique et tensions armées obligent, vers la multiplication de conflits militaires de «haute intensité». Pis : vers une troisième guerre mondiale. Par conséquent, actuellement en France, comme dans la majorité des pays (Israël et Russie), c'est la guerre qui dicte le tempo. C'est la guerre qui impose son programme politique meurtrier, son agenda économique militariste, son système de pensée chauviniste et caporaliste. Si Macron s'est résolu à dissoudre l'Assemblée nationale, c'est, d'une part, pour expulser les trublions populistes gauchistes et droitistes «pacifistes», devenus ingérables et peu fiables au plan de la défense des intérêts du capital national. D'autre part, pour la pourvoir de parlementaires dociles et soumis acquis au programme de guerre sociale et militaire actuellement en préparation par la bourgeoisie française belliciste. Une chose est certaine, dans ce contexte d'approfondissement de la crise économique et d'exacerbation des tensions inter-impérialistes, les partis populistes gauchistes et droitistes, LFI et RN, aux programmes politiques en total décalage avec les besoins objectifs de la bourgeoisie française belliciste, sont devenus un véritable obstacle en matière de gestion de l'économie militariste et des visées impérialistes hexagonales. Certes, le Rassemblement national a réalisé une percée fulgurante, un score spectaculaire aux élections européennes. Cependant, contrairement à ce que laisse entendre la propagande gouvernementale et médiatique qui annonce la victoire du Rassemblement national aux élections législatives prochaines, ce dernier a atteint le plafond de suffrages. Le plein de son réservoir de voix. Il a, certes, obtenu 31% aux dernières élections européennes, mais sur un taux de participation de 51%. Or, quand on sait que l'électorat «lepéniste» participe massivement à tous les scrutins, on peut avancer que le Rassemblement national ne pourra pas compter sur les abstentionnistes, s'ils se décidaient à se rendre aux urnes le 30 juin et le 7 juillet. Certes, galvanisés par l'agitation de la menace du «péril fasciste», les abstentionnistes se bousculeront au portillon des bureaux de vote, mais pour voter massivement Front Populaire ou majorité présidentielle afin de «faire barrage au RN». Au vrai, la classe dominante française est consciente que l'arrivée du Rassemblement national au pouvoir est impossible. Car le programme de ce parti populiste droitiste «pacifiste» est totalement inapplicable. Surtout, il va à l'encontre des besoins actuels du capitalisme français belliciste. Pis. Ses orientations anti-européennes et isolationnistes autant que ses revendications d'arrêt total de l'immigration (ce qui revient à l'interdiction de l'exploitation de la force de travail immigrée, dernière planche de salut des patrons en déconfiture) vont à contre-courant des objectifs du capital national français. Depuis sa création, le Rassemblement national (anciennement dénommé Front national) a toujours fait de la figuration. Il sert, surtout, d'épouvantail à la bourgeoisie française. C'est un parti «repoussoir baudruche», gonflé électoralement, selon les nécessités du moment de la vie politique française. Depuis bientôt quarante ans, le Front national, aux scores démesurément gonflés pour les besoins de la cause, sert à galvaniser les campagnes des «démocrates» pour conjurer la prétendue «montée de la menace fasciste». Exceptionnellement, une première historique depuis un siècle, l'extrême gauche, qualifiée par mépris d'islamo-gauchiste, vient d'être également hissée au rang d'épouvantail par la bourgeoisie française. Pour rappel, au début des années 1920 apparaît, dans un climat d'hystérie anticommuniste, la campagne d'affichage et de caricature représentant un homme au visage féroce, tenant un couteau entre ses dents : le Bolchevik au couteau entre les dents. Le Bolchevik, voilà l'ennemi. Le couteau devient synonyme de Bolchevik. Longtemps, l'affiche de l'homme au couteau entre les dents incarnera, à elle seule, l'antibolchevisme et l'anticommunisme français. LFI est devenue le «Bolchevik au couteau entre les dents». Pour conclure. Ni coup de dés, ni coup de folie, comme l'affirment les analystes, ces curés de la politique politicienne, incapables de transcender leur paroissiale connaissance à l'étroitesse d'esprit affligeante de crétinisme parlementaire, d'entendre un autre son de cloche réflexif, mis à part le carillon de leurs maîtres. Mais coup de génie de la part du président des riches, Emmanuel Macron, le meilleur président depuis Charles de Gaulle. Par la dissolution de l'Assemblée nationale, Macron aura ingénieusement suscité, par l'agitation du «péril fasciste», un sursaut d'union nationale électorale qui élira, sans surprise, une nouvelle majorité composée de députés issus de toutes les formations dites «républicaines», à l'exception des deux partis populistes gauchistes et droitistes, LFI et RN. Néanmoins, cette fois-ci, l'union nationale exigée par la bourgeoisie n'aura pas pour dessein idéologique de sauver prétendument la démocratie du totalitarisme (déjà appliqué par l'Etat français), mais de pouvoir déclencher, grâce à un Parlement docile et soumis, sans obstacle, la guerre militaire. Mais également de mener sa guerre sociale contre les travailleurs par le démantèlement, avec l'appui inconditionnel du nouveau Parlement croupion, de tous leurs droits sociaux (baisse des salaires et augmentation des impôts) et politiques (restrictions des libertés et du droit d'expression) afin de soutenir l'effort de guerre militaire et sociale. Une chose est certaine, Macron aura réussi son coup de génie : obtenir une confortable majorité de «Républicains» à l'Assemblée nationale, disposés à former un gouvernement d'union nationale. Donc, à voter les projets d'économie de guerre. A soutenir l'agenda de la guerre sociale sur le front intérieur et de la guerre militaire sur le front extérieur.