Peut-on opposer un nationalisme réactionnaire et belliqueux à un nationalisme éclairé et pacifique ? Est-il vrai que le nationalisme hitlérien (national-socialiste) différait sensiblement du nationalisme de Léon Blum (chef du gouvernement français sous le Front populaire-1936), ou encore le nationalisme de Maurice Duplessis de celui de René Lévesque ? Y a-t-il une différence entre le nationalisme de droite et le nationalisme de gauche et l'un serait-il supérieur à l'autre ? Ces questions nous plongent au cœur de la «question nationale» quel que soit le pays visé, quelles que soient les forces économiques et politiques en présence et les classes sociales en conflit. Le nationalisme est une idéologie, un corps de concepts idéologiques et politiques d'origine bourgeoise. Cette idéologie structure la société capitaliste depuis trois siècles, de l'époque du capitalisme marchand vers la fin du féodalisme, puis au cours du capitalisme industriel et financier (XVIIIe au XXe siècle). Comme cette idéologie est quelque peu ancienne, les historiens et les politicologues patentés croient qu'elle a toujours existé et qu'elle existera pour l'éternité. Le nationalisme est une idéologie et une orientation politique et sociale essentiellement bourgeoise et petite bourgeoise cultivées par ces classes qui sont les chiens de garde médiatiques et intellectuels du régime capitaliste. Le nationalisme, quel que soit le visage qui l'incarne, n'est pas et ne peut pas être une idéologie ouvrière, encore moins une idéologie de la gauche marxiste. Le fait pour les marxistes de reconnaître le droit des nations à disposer d'elles-mêmes jusqu'à et y compris la sécession ne constitue pas un serment d'allégeance au nationalisme bourgeois ; il en constitue au contraire le rejet, une façon de tirer le tapis sous les pieds de la bourgeoisie nationaliste et une opposition au sectarisme et aux guerres fratricides nationalistes chauvines. Historiquement, le capitalisme primitif, sous libre concurrence intérieure, exploitait la classe ouvrière nationale ainsi que différentes catégories d'employés non prolétarisés à l'abri des barrières douanières nationales. Voici que ce capitalisme primitif a connu au cours du XXe siècle une mutation «transgénique». Le capital privé marchand et le capital privé industriel fusionnèrent, via le système bancaire et le réseau des institutions financières, pour se muer en capital financier, bancaire et spéculatif parasitaire. Cette mutation fit naître une nouvelle couche sociale sous la forme d'un nouveau contingent de la classe capitaliste qui se décline dorénavant en trois variétés : les capitalistes nationaux marchands, les capitalistes nationaux industriels et les capitalistes monopolistes financiers internationaux. Depuis ce jour, la couche des capitalistes monopolistes financiers internationaux contrôle l'appareil d'Etat par le truchement d'une confrérie de thuriféraires et de sous-fifres politiques à leur solde. À cheval entre deux modes de production Dans les pays au développement économique retardataire, une couche de compradores, de propriétaires terriens latifundiaires et de capitalistes locaux, sert d'intermédiaire entre les différentes classes sociales — prolétaires, paysans, employés, petit-bourgeois — et les grands capitalistes monopolistes internationaux. Cette structure sociale transitoire, à cheval entre deux modes de production — le système capitaliste national et le système impérialiste international — complexifie l'analyse économico-politique et laisse subodorer qu'une couche de bourgeois nationaux serait anti-impérialiste, alors que ces compradores tentent parfois de faire monter les enchères et jouent une alliance impérialiste contre une autre. Les peuples locaux servent alors de chair à canon dans ces luttes inter-impérialistes pour le contrôle du territoire, de sa main d'œuvre, de ses ressources et de son marché. Le fait qu'une guerre de rapine pour le partage des zones d'influence entre l'Otan, Moscou et Pékin se déroule en Syrie ou en Libye ne lui confère pas un caractère anti-impérialiste pour autant puisqu'une fois les massacres terminés la société nationale contrainte à cette guerre fratricide demeurera sous le joug impérialiste de l'une ou de l'autre alliance, tout comme le peuple syrien (ou libyen, ou irakien, ou égyptien) continuera de peiner pour le compte de l'un ou l'autre de ses geôliers. C'est la raison pour laquelle les marxistes ne soutiennent jamais un Comité de larbins de «libération» financé par un camp impérialiste (Washington ou Moscou). Nous dénonçons farouchement et sans équivoque toute intervention impérialiste étrangère dans les affaires internes d'une nation qui ne peut espérer que la mort et la misère de toutes ces guerres «humanitaires» sur ses terres. Le capital financier international Revenons à nos capitalistes monopolistes internationaux qui ne sont pas du tout nationalistes. Ces banquiers et ces requins de la finance ont inféodé l'Etat national-bourgeois. Ils imposent la réduction des services sociaux visant à assurer la reproduction de la force de travail. Ils réclament l'élimination des taxes et des impôts qui grugent leurs immenses profits. Ils exigent la levée des barrières douanières et imposent un développement économique orienté vers l'exportation pour certains pays, et vers la consommation désordonnée pour d'autres. C'est-à-dire un développement essentiellement mu par les flux de marchandises, de capitaux et de services. Puis, ils placent toutes les classes ouvrières nationales en concurrence les unes avec les autres de façon à réduire mondialement la valeur globale de la force de travail et augmenter ainsi d'autant la valeur globale de la plus-value, source unique de profit. Les capitalistes frappent si fort pour réduire la valeur de la force de travail — les salaires — et le coût de sa reproduction élargie qu'ils mettent cette reproduction en péril. Ainsi la classe ouvrière mondiale n'a pas d'autre choix que de résister à son extinction. Les révoltes récentes et récurrentes des ouvriers grecs et des étudiants, fils et filles de la classe ouvrière, ne font que refléter cette résistance désespérée. La petite-bourgeoise subit aussi les affres de la récession et des mesures d'austérité. Parfois cette classe instable en vient à s'associer temporairement à la classe ouvrière, espérant ainsi effrayer la classe capitaliste monopoliste et lui imposer un arrangement intermédiaire à son avantage. Cela était encore possible avant la grande crise rédhibitoire; ce n'est maintenant plus possible sous la crise systémique du régime impérialiste : la petite bourgeoisie devra bientôt choisir son camp, celui de la réaction et de l'austérité budgétaire pour sauver l'impérialisme, ou celui de la révolution et du socialisme. Pour la classe ouvrière et ses alliés, il importe de rallier de larges détachements de petit-bourgeois dans son camp. Cette évolution inéluctable du capitalisme industriel primitif vers l'impérialisme, que d'aucuns appellent la mondialisation néo-libérale, entraîne la destruction des Etats-nations comme les différents traités internationaux le laissent entendre, l'Union européenne étant le modèle le plus achevé en ce domaine. Les pseudo analystes financiers, économistes et spécialistes experts comme l'économiste Chouard qui spécule sur l'effondrement de l'euro et l'implosion de l'Union européenne sont des charlatans qui n'ont strictement rien compris à l'économie politique contemporaine (2). L'Union européenne et l'euro ne peuvent que survivre jusqu'à sa destruction totale par le prolétariat européen. L'expulsion des récalcitrants pour sauver les monopoles Il se peut que quelques pays européens récalcitrants soient chassés de la zone euro de façon à donner l'exemple et mâter les pays qui voudraient résister au diktat de Bruxelles. Rien à craindre. Le résultat de la récente élection grecque (juin 2012) n'aura aucun effet sur l'expulsion de la Grèce du cercle de l'Euro. La grande bourgeoisie grecque a voulu, en gagnant ces élections, résister à son expulsion mais comme elle ne pourra livrer un prolétariat grec obéissant et soumis, prêt à payer sans sourciller, ce pays sera expulsé de la zone euro quoi qu'il arrive. Il est impératif pour les pontifes de Bruxelles de faire un exemple retentissant de façon à ne pas avoir à expulser l'Espagne ou l'Italie par la suite. L'impérialisme européen n'a pas créé l'Union européenne et l'euro par accident ou innocemment. L'économie politique impérialiste exige le maintien de ces deux instruments et la suppression des dernières barrières nationales bourgeoises en Europe pour amener les capitalistes monopolistes financiers européens au diapason de leurs concurrents de l'ALENA états-unienne et de ceux de l'Alliance de Shanghai. Toute bourgeoisie nationale européenne récalcitrante, abouchée aux aristocrates ouvriers privilégiés, aux ex-communistes défroqués, aux gauchistes illuminés et aux fascistes lepénistes ou autres sera broyée par le rouleau compresseur impérialiste européen qui n'a pas d'autre choix pour survivre que d'effacer les frontières nationales de façon à forger un seul vaste marché européen (500 millions de contribuables) à la dimension du marché concurrent nord-américain (450 millions de consommateurs) ou de celui de la Chine impérialiste (1,3 milliards de producteurs). Sachant que ce dernier bénéficie de l'immense avantage d'exploiter un nouveau prolétariat tout neuf dont l'aristocratie ouvrière est encore embryonnaire. Dans tout ce brouhaha économique et politique, au cœur des crises de surproduction, des crises monétaires, des crises de crédit et d'insolvabilité des consommateurs des pays riches, à qui on demande de dépenser aujourd'hui le salaire qu'ils ne gagneront jamais demain, les différentes bourgeoises industrielles, marchandes et d'affaires qui œuvrent à l'échelle locale, régionale, ou même nationale, se hérissent, résistent à leur élimination de la scène économique, à la délocalisation de la production, et à leur faillite inéluctable. C'est d'elles que provient cette résurgence rétrograde de voix et de voies nationalistes chauvines dont la mort lente du nationalisme québécois est un exemple. La concurrence interimpérialiste est inévitable Cette mise en concurrence internationale des contingents ouvriers de chaque Etat-nation entraîne la délocalisation des entreprises d'une aire nationale vers une autre à la recherche du coût minimum de reproduction de la force de travail. La bourgeoisie et la petite-bourgeoise nationale de chaque pays en crise subit les contre-coups de cette désindustrialisation de l'Ouest, garante de l'industrialisation accélérée de l'Est (Chine, Inde, Taiwan, Corée, Bengladesh, Vietnam). C'est alors que ces classes «nationalistes» parasitaires lancent des cris d'alarme à propos de leur «patrie en danger», invitant le prolétariat «national» à de plus grands sacrifices pour sauver l'économie et les profits des riches attaqués par le grand capital international et leurs Etats-majors gouvernementaux fantoches. Le prolétariat dit «national» n'a aucun intérêt à voler au secours de sa bourgeoisie nationale en faillite, sauf de prolonger son propre état d'esclavage salarié, l'agonie du système d'exploitation capitaliste et celui des capitalistes nationaux et de la petite-bourgeoise parasitaire. Tout au long de cet affrontement, les aristocrates ouvriers et la petite bourgeoise déguisés en gauchistes s'avancent enveloppés du drapeau national pour porter assistance à leurs capitalistes «patriotes» sur le dos des ouvriers. Le Plan C de sortie de crise de monsieur l'économiste Chouard s'abreuve de cette eau (3). En amont, il prend sa source dans le processus d'asphyxie de la bourgeoisie nationale et de ses alliées alors qu'en aval, il coule vers les aristocrates ouvriers, la petite-bourgeoise cléricale, professionnelle, intellectuelle et altermondialiste — qui trouve emploi et bénéfice chez ses maîtres les «nationaux aux jolis oripeaux» — afin de la mobiliser pour stopper la roue de l'histoire, au nom du Contrôle de la démocratie et de la Constitution d'origine citoyenne. Si un jour le petit capital non monopoliste et la petite-bourgeoise cléricale, représentés par le Front de Gauche et par le Front National français, s'approchaient par la magie des urnes un tant soit peu de l'hémicycle du pouvoir – ou si leurs équivalents au Parlement canadien ou encore leurs équivalents américains flirtaient avec le Bureau ovale à Washington, dans chacun de ces pays un coup d'Etat militaire mettrait fin à ces menaces intolérables. Soyons sans crainte, le grand capital monopoliste et bancaire internationalisé veille au grain et cette éventualité ne surviendra jamais. En conclusion, l'idéologie nationaliste est désormais une idéologie bourgeoise réactionnaire, même si ce sont des «has been» communistes sur le retour, des gauchistes hystériques ou des nationaux-socialistes malveillants qui défendent ce système politique et économique archaïque qui mérite d'être éradiqué et remplacé. Non, il n'y a pas d'avenir international pour le nationalisme quel qu'il soit.