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Un exemple pour les gérontocraties du monde !
La décision de Biden de ne pas briguer un deuxième mandat
Publié dans La Nouvelle République le 06 - 08 - 2024

La déclaration de Joe Biden, placée tout en haut de cet article, fera partie, sans aucun doute, des annales de l'histoire américaine et du monde. «J'ai décidé que le meilleur chemin pour l'avenir est de passer la torche à une nouvelle génération. C'est le meilleur moyen pour unir notre nation. [...] La grande chose concernant l'Amérique est là : les rois et les dictateurs ne gouvernent pas. C'est le peuple qui gouverne».
L'histoire est entre vos mains. Le pouvoir est entre vos mains. L'id֖ée de l'Amérique est entre vos mains », a déclaré mercredi 24 juillet 2024 le président Joe Biden, 82 ans. Quel bel exemple pour toutes les gérontocraties du monde et les leaders politiques qui veulent être des gouvernants pour la vie et mourir sur le trône du pouvoir, et cela en dépit des appels pacifiques récurrents—à l'instar des printemps arabes de 2011/2011—pour une alternance du pouvoir. Il n'y a qu'à voir le cas de notre région—Afrique du Nord et Moyen-Orient– : Habib Bourguiba de Tunisie qui s'est déclaré président-à-vie jusqu'au coup d'Etat de son premier ministre Zine el Abidine Ben Ali, lui-même au pouvoir pendant vingt-quatre ans jusqu'à ce qu'il ait été « dégagé » par la Révolution du Jasmin de 2010/2011 ; Muamar Qadhafi de Libye, qui a régné quarante-deux ans jusqu'à son assassinat par les forces rebelles Libyennes appuyées par les gouvernements occidentaux ; Abdelaziz Bouteflika d'Algérie, une vingtaine d'années au pouvoir, jusqu'à son détrônement par le Hirak de 2019 ; Hosni Mubarek d'Egypte, au pouvoir pendant trente ans, jusqu'à son éjection en 2011 par la Révolution de la Dignité. Dans son 25e amendement, section 1—repris dans la deuxième épigraphe citée en haut du présent article—la Constitution américaine stipule « Si le président quitte le pouvoir, décède ou démissionne, le vice-président devient le président ». Cet amendement avait été adopté le 10 février 1967 dans des circonstances particulières, notamment à la suite de l'assassinat de J.F. Kennedy le 22 novembre 1963. Si on s'en tient à cet amendement, la vice-présidente actuelle, Kamala Harris, devrait logiquement et constitutionnellement, devenir présidente. Cependant, la pratique américaine des partis politiques—notamment des deux partis principaux, le Parti Démocratique et le Parti Républicain—requiert que le choix du nouveau président passe par le vote au sein du parti auquel le vice-président appartient, à savoir dans ce cas, du Parti Démocratique. Pour connaître les chances que Kamala Harris aura d'être la nouvelle présidente, nous essaierons de répondre successivement aux trois questions suivantes : (1) Quelles sont les circonstances dans lesquelles la décision de Biden est intervenue ? ; Quel est le processus de désignation du/de la candidat(e) à la présidence ? et (3) Quels sont les enjeux de l'élection présidentielle de novembre prochain ?
LES CIRCONSTANCES AYANT CONDUIT A LA DECISION DE BIDEN
Dans une lettre publiée sur les réseaux sociaux le 21 juillet 2024, le président Biden déclare « While it has been my intention to seek reelection, I believe it is in the best interest of my party and the country for me to stand down and focus solely on fulfilling my duties for the remainder of my term" (Bien que mon intention ait été de chercher à être réélu, je crois qu'il est, pour moi, dans l'intérêt de mon parti et de mon pays, de renoncer à la réélection et de me concentrer sur mes obligations pour le reste du présent mandat). Cette décision, Biden l'a réitérée lors du speech qu'il a fait le 25 juillet 2024, rappelée dans l'introduction du présent article. Une décision que certains observateurs ont qualifiée de « earthquake » (tremblement de terre) dans la politique américaine. Une décision historique exceptionnelle qui n'a pas de précédent totalement identique dans l'histoire contemporaine des Etats-Unis, à l'exception de deux cas pouvant être considérés comme proches : le cas des présidents Harry Truman et de L. B Johnson. Le 29 mars 1952, soit 220 jours avant l'élection, Harry Truman, ayant retiré sa candidature pour un second mandat, conséquemment à l'importance qu'avait prise son impopularité suite à la Guerre de Corée, avait été remplacé par le président Dwight Eisenhower. Le second cas est celui de Lyndon B. Johnson qui, lui aussi, ayant renoncé à se représenter le 31 mars 1968 à cause de son impopularité grandissante dans la Guerre du Vietnam, avait dû laisser sa place au président Richard Nixon, qui, lui-même devra démissionner durant son second terme, le 9 Août 1974. Il faut souligner que—comme il l'a suggéré lui-même dans sa lettre du 21 juillet—la décision de Biden n'a pas été prise de gaité de cœur par lui—il est connu que la plupart des leaders du monde veulent rester au pouvoir jusqu'à la mort—mais elle lui a été, dans une grande mesure, imposée par un certain nombre de circonstances. Tout d'abord, sa mauvaise performance au débat présidentiel du 27 juin 2024 à Atlanta (Géorgie), où Biden était apparu affaibli, hésitant, manquant d'énergie, une voix à peine audible, lente réaction aux accusations de Trump, pertes de mémoire, etc. Le second facteur, qui a également et sans aucun doute compté dans la décision de Biden, a été la rareté de ses apparitions en public, soit aux conférences de presse quotidiennes, soit dans les speeches que le président est censé faire à la nation au cours de l'année, ou encore dans ses sorties sur le terrain. En un mot, le peuple américain avait remarqué que leur président avait quelque peu disparu de la scène politique nationale et internationale pendant qu'une campagne agressive du Parti de Trump battait son plein. Le troisième facteur—en quelque sorte la conséquence des facteurs précédents—est la pression exercée par un nombre croissant de membres du Parti Démocratique au sein du Congrès et des gouverneurs démocrates de plusieurs Etats où ces derniers demandent au président Biden de passer la torche. Le quatrième facteur—qui a été également déterminant dans la décision de Biden—est la menace perçue et réelle représentée par Trump pour le pays et pour le peuple américain. En effet, Dans un de ses rallies organisé par « Turning Point », un lobby chrétien, à Palm Beach (Floride), le 26 juillet 2024, Trump avait déclaré, s'adressant surtout aux Américains de confession chrétienne—comme si toute la population des Etats-Unis était chrétienne–« Chrétiens, sortez et votez, CETTE fois-ci seulement. Vous n'aurez plus à le faire à l'avenir [...] Dans quatre ans, vous n'aurez plus besoin de voter. Nous aurons fixé les choses, et pour de bon, vous n'aurez plus à aller voter ». Pour beaucoup d'observateurs politiques, cette déclaration signifie que si Trump était réélu, il gouvernerait sans lois et sans élections, comme un prince. Par ailleurs, Trump n'a pas caché sa soif de vengeance sur tous ceux—surtout les leaders démocrates—qui ont intenté des actions en justice contre lui dans plusieurs affaires relatives à son entreprise ou pour ses actions dans le domaine politique, comme son « impeachment » par le Congrès après l'attaque du Capitole le 6 janvier 2020.
LE PROCESSUS DE DESIGNATION DU/DE LA CANDIDAT(E) A LA PRESIDENCE
En dépit du fait que le 25è amendement de la Constitution stipule que le vice-président devient automatiquement le président en cas de démission ou décès du président en exercice (voir ci-dessus), la nomination de Kamala Harris n'est pas encore assurée. Harris doit, en effet, suivre la procédure en vigueur au sein du Parti Démocratique qui consiste à passer par un certain nombre d'étapes : (1) avoir le support de la majorité des membres du Parti ; (2) affronter d'autres candidats éventuels qui ont jusqu'au 30 juillet 2024 pour déposer leur candidature ; (3) gagner le vote des membres du Parti Démocratique à la Convention nationale du Parti le 1 Août 2024 à Chicago. Dans le cas où des candidats concurrents venaient à présenter à la nomination, le vote serait reporté au 3 Août. Il faut dire que Harris a déjà le support de quelques 4 000 délégués et que le nombre de délégués dont elle a besoin est de seulement 1 976. C'est dire qu'elle a largement le nombre de délégués nécessaires pour être nominée. Kamala a, en effet, reçu le support de plusieurs anciens présidents (y inclus Obama) et personnalités politiques, notamment de Chuck Schumer, le leader de la majorité démocratique au Sénat, Hakeem Jeffrey, le leader de la minorité à la Chambre des Représentants. Dans un appel téléphonique à Kamala Harris, Obama a déclaré, « We call to say, Michelle and I, couldn't be prouder to endorse you and do everything we can to get you through the election and into the Oval Office» (Nous ne pouvons être plus fiers de vous apporter notre soutien, Michelle et moi, et de tout faire pour vous permettre de remporter l'élection et l'accès au Bureau Oval [de la Maison Blanche. Avec cet afflux de supports, Kamala Harris est quasiment confiante qu'elle sera la nominée, sauf si, avant le ler Août, un ou plusieurs candidats entrent en concurrence contre elle. Voici ce qu'elle a déclaré très récemment, « It's my intention to get out and win the nomination [...] I will do everything in my power to unite the Democratic Party and unite our nation to defeat Donald Trump and his extreme Project 2025 agenda» (NBC News, 21 July 2024). L'autre condition qu'aura à remplir Harris, dans le cas où elle est choisie, est de désigner, avant le 7 Août, la personne qui sera son/sa vice-président(e). Enfin, pour pouvoir battre son concurrent le plus redoutable (Trump), Harris devra élaborer et appliquer dans les meilleurs délais une stratégie agressive pour sa campagne électorale. Cette stratégie devrait avoir deux objectifs : effacer l'image non reluisante qu'a laissée Biden lors du débat présidentiel de juin dernier contre Donald Trump—ce qui est déjà un grand challenge—et convaincre l'ensemble des Américains (et pas seulement les démocrates) qu'elle fera mieux que Trump concernant l'unification du pays et le rétablissement de la confiance au niveau national (défense du pouvoir d'achat des couches marginalisées, relance de la machine économique, lutte contre la dégradation de l'environnement, contrôler les flux d'immigration aux frontières, maintenir les programmes socio-médicaux, etc) et au niveau international (régler le problème Ukraine-Russie, trouver une solution au conflit Israélo-Palestinien, équilibrer les relations avec la Chine et l'URSS, ses deux principaux concurrents, etc).
LES CHALLENGES AUXQUELS HARRIS FERA FACE DANS LES PROCHAINES SEMAINES
Si le retrait de Biden de la course électorale et l'enthousiasme suscité par Kamala Harris ont jeté une lueur d'espoir dans le camp des démocrates—par comparaison à l'angoisse et l'incertitude qui régnaient auparavant—il ne reste pas moins que les problèmes auxquels elle sera affrontée dans les prochaines semaines sont loin d'être faciles à résoudre. Ces problèmes peuvent être divisés en deux groupes : les challenges liés à la politique intérieure américaine et ceux relatifs à la politique extérieure. S'agissant de la politique intérieure, Harris aura à répondre à plusieurs questions importantes, voire déterminantes pour l'issue de l'élection: l'économie, l'immigration et le contrôle des frontières, le sort des programmes socio-médicaux, la question du droit d'avortement pour les femmes, la question de la violence/racisme, et la question de l'environnement. L'économie est—et a, de tous temps, été—un des facteurs les plus décisifs dans les élections américaines. En particulier, Harris devra rassurer, d'un côté, les classes travailleuses et moyennes que leur pouvoir d'achat ne va pas se détériorer davantage et qu'il va, au contraire, s'améliorer — notamment par la poursuite de la politique de désinflation actuelle initiée par le « Reduction Inflation Act » du 16 Août 2022 — et, de l'autre côté, les classes entrepreneuriales et les grandes entreprises que les mesures qu'elle prendra ne vont pas avoir pour effet de les décourager dans leurs gestion et dans leurs investissements, notamment à travers une politique fiscale équitable et stimulante et une réglementation pas trop bureaucratique.
Du côté de la politique d'immigration, Harris aura à convaincre, d'une part, les Républicains qu'elle sera ferme concernant le contrôle des frontières et, d'autre part, les Démocrates, qu'elle ne déportera pas les immigrants en situation irrégulière et qu'elle tentera, au contraire, de régulariser leur situation dans le cadre des lois en vigueur. Harris aura aussi à rassurer les démocrates qu'elle maintiendra — voire développera — les programmes socio-médicaux existants tels que « Medicare » et qu'elle trouvera une solution équitable aux difficultés actuelles de la Sécurité Sociale. Harris devra aussi promettre — en tant qu'ancienne Procureure —qu'elle fera tout pour défendre le droit des femmes à l'avortement, un droit qui avait été remis en cause par la Cour Suprême en 2022 et confirmé en 2024. L'autre défi de taille qu'aura à affronter Harris est la question de la violence/racisme, notamment contre les Afro-Américains et les personnes de couleur en général.
Dans ce cadre, elle aura à décider quelle sera sa position vis-à-vis du droit sur la détention des armes, un droit protégé par le 2è amendement de la Constitution. Elle aura, comme tous les présidents précédents, à faire face à la NRA (National Riffle Association) qui est le plus grand lobby de l'armement et le plus grand sponsor des élections américaines.
En même temps, Harris aura à proposer une solution pour régler le problème de la violence et du racisme qui est un problème endémique aux Etats-Unis. En effet, bien que le pays ait été bâti sur l'idée de l'immigration et de la diversité ethnique et culturelle—les Etats-Unis étant considérés comme le plus grand « melting pot » du monde—le pays a toujours souffert et souffre toujours de ce « cancer social ». Harris aura à démontrer—en tant que femme de couleur elle-même—qu'elle sera la présidente de tous les Américains, quelle que soit la couleur de leur peau. Harris, enfin, aura à se prononcer sur la politique environnementale à adopter. Elle devra rassurer les Américains de tous bords qu'elle va renforcer la décarbonisation de l'économie sans toutefois entraver le développement économique du pays et la politique d'investissements qui est le « backbone » (la colonne vertébrale) de l'économie américaine. Sur le plan de la politique extérieure, Harris aura à définir sa position et sa politique sur plusieurs dossiers brûlants de l'heure : la guerre en Ukraine, le conflit Israélo-Palestinien, les relations USA/Chine/Russie. Concernant l'Ukraine, elle devra convaincre les Américains—notamment les Démocrates—qu'elle va poursuivre la politique d'aide à l'Ukraine dans « sa lutte pour la démocratie ». Elle doit, en même temps, convaincre les Républicains—notamment le clan Trump, qui réclame l'arrêt ou tout au moins la réduction de cette aide—que cela ne provoquera pas un trou dans le budget des Etats-Unis. Concernant le conflit Israélo-Palestinien, Harris ne pourra pas aller à contre-courant de la politique américaine traditionnelle qui a toujours été un appui total et inconditionnel à Israel, quelle que soit la politique d'agression et d'occupation de ce pays vis-à-vis de la Palestine. Ce serait, pour elle, en quelque sorte, un « suicide politique » car elle subirait immédiatement les représailles de AIPAC (American-Israel Public Affairs Committee) et autres lobbies pro-Israéliens qui sont les plus grands financiers des élections américaines. Pour ce qui est des relations USA/Chine/Russie, Harris devra également poursuivre la politique américaine du « chaud et du froid » que tous les gouvernements précédents ont appliquée vis-à-vis de ces deux pays. Ne pouvant pas entrer directement en guerre avec ses deux principaux ennemis—Chine et Russie—Harris devra adapter sa politique à la situation du moment, appliquant des restrictions et sanctions dans certains cas, et entrant en coopération avec eux, lorsque les relations sont au « stand still ». Elle continuera, comme ses prédécesseurs, à s'assurer que, d'un côté comme de l'autre, ou des deux côtés à la fois, aucune alliance régionale (les BRICS ou autre alliance) ne menacera la position hégémonique des Etats-Unis.
Conclusion
Nous avons vu que la décision prise par Biden de ne pas se présenter à un second mandat est une décision historique exceptionnelle qui aura des effets non seulement sur la politique américaine mais aussi sur le reste du monde dans le sens où un âge limite pourrait désormais s'imposer pour les présidents, soit à l'initiative des législatures, soit à la suite de revendications populaires. Nous avons vu aussi que Kamala Harris—si elle a reçu un large soutien des membres de son Parti et de la population américaine en général—a encore beaucoup de chemin à faire avant la Convention du Parti le 19 Août prochain. Et si cette ultime étape est franchie—si elle est choisie comme nominée—il lui restera deux missions délicates à mener à bien : faire oublier l'ère Biden—notamment l'épisode de la débâcle provoquée lors du débat de juin dernier—et démontrer qu'elle pourra affronter Trump et répondre mieux que lui aux problèmes qui taraudent les Américains aujourd'hui, aussi bien au niveau national (économie, immigration, programmes sociaux, avortement, violence/racisme, environnement) qu'au niveau international (guerre en Ukraine, conflit Israélo-Palestinien, relations USA/Chine/Russie).
Outre ces questions essentielles, Harris aura aussi à se défendre au plan personnel sur les questions que le camp Trump lui posera, sans aucun doute, concernant son ethnicité et sa confession. Sur le plan ethnique, elle devra rassurer qu'elle sera la présidente de tous les Américains sans distinction de leur ethnicité ou origine. Sur le plan religieux, des questions peuvent aussi lui être posées sur sa confession et croyances religieuses que certains observateurs et citoyens américains dire ne pas connaître. Cependant, le plus important et le plus déterminant de tous ces enjeux est la nécessité de montrer qu'elle fera mieux que Biden et Trump dans le règlement de tous les problèmes rencontrés par les Américains. Elle devra, notamment, faire montre d'une énergie et d'une endurance plus grandes encore que celle de ces deux présidents. Tout cela se verra lors du débat du 10 septembre entre elle et Donald Trump, si celui-ci accepte de débattre (Trump avait déjà fait croire qu'il ne débattrait pas avec Harris, mais ces derniers jours, il a aussi dit qu'il était prêt à débattre avec elle).
L'histoire nous dira ce qu'il en sera et surtout, ce qu'il adviendra de la plus grande « démocratie » de la planète.


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