kA l'écart du tumulte cairote, de somptueuses demeures, bâties au tournant des XIXe et XXe siècles conservent l'empreinte de leurs augustes occupants : ici vécurent le chantre du nationalisme égyptien Saad Zaghloul, le poète Ahmed Chawki ou encore Mahmoud Khalil, fameuse figure des arts et des lettres. Visite à pas feutrés de ces temples de la mémoire.La villa du rossignol À Gizeh un familier des lieux rapporte que dans l'opulente villa du poète Ahmed Chawki, régnait une atmosphère d'affabilité, de bonne humeur...» Il ne reste plus beaucoup d'objets ou de mobilier témoignant de la vie dans la maison. Mais dans la bibliothèque, en scrutant attentivement les vitrines, on découvre des ouvrages d'Alphonse Daudet, de Beaumarchais ou encore de Victor Hugo. Kadreya appartient à la grande société cairote. Elle se souvient qu'enfant, elle venait dès qu'elle le pouvait, rendre visite à son amie, la petite-fille de Ahmed Chawki. « Il régnait dans la maison une grande sérénité et un calme que seuls les enfants venaient troubler. Des artistes s'y retrouvaient et n organisait très régulièrement dans le jardin, des thés pour les jeunes filles. Le poète, bien que très sympathique et charismatique, gardait une distance et semblait évoluer dans son monde et ses pensées ». Elle se rappelle qu'il quittait souvent la maison pour se rendre dans une hutte sur la route des pyramides avec son ami le chanteur Abdelwahab. Ils travaillaient ensemble dans cet endroit qu'on nommait le « nid du boulboul » (rossignol), cet oiseau au chant si merveilleux. Les chansons écrites par Chawki résonnaient dans toute l'Egypte, portées par la voix d'Abdelwahab qu'il logeait à Guizeh et pour lequel il jouait un véritable rôle de mécène. Réciproquement, aujourd'hui encore, beaucoup des écrits de Chawki sont encore connus du peuple égyptien grâce à ces chansons. Il écrivait sur tous les sujets, petits et grands événements de l'histoire. Il aimait à se rapprocher de l'homme de la rue, a rencontré les gens et entendre leurs conversations. Des mots griffonnés et raturés de sa main, sur des bouts de papier, de toutes tailles et de toutes natures, sont aujourd'hui encadrés à l'étage de sa villa, telle des reliques et témoignent de son abondante inspiration. Ses pièces de théâtre étaient volontairement rédigées dans le dialecte égyptien afin de les rendre accessibles à ceux qui avaient peu d'éducation. « Avec Chawki s'ouvrait le début d'une nouvelle génération d'écrivains de langue arabe.Mais sa force a été de respecter les formes anciennes en utilisant à la fois une écriture classique et la langue égyptienne » commente le poète Ahmed Moati Abdel Hegazi. Ce qui aura valu à Chawki d'être consacré « Prince des poètes » par le monde littéraire arabe. Par son œuvre, il aura été un véritable porte-parole de la nation égyptienne, alors sous domination anglaise. Pendant son exil en Espagne, Saad Zaghloul aurait contribué à diffuser ses poèmes qui chantent l'Egypte. A son retour, le peuple égyptien lui réservera un accueil triomphal. Ainsi, bien qu'issu de milieux totalement différents, Chawki et Zaghloul se sont retrouvés dans un combat commun pour l'indépendance de leur pays. En 1918, Zaghloul forme une délégation (Wafd) afin de négocier l'indépendance. Mais les Britanniques interdisent son voyage en Europe. Chawki rapporte l'événement dans un poème en ces termes « Nous avons délégué auprès de Pharaon, Aaron et Moïse et ils entamèrent la lutte ». (A Suivre)