Cherif Boudjenifa, Moudjahid de la première heure, se souvient des moindres détails de la bataille de Tababoucht qui fit rage le 12 décembre 1954, quelques semaines après le déclenchement de la glorieuse Révolution.Une Révolution parsemée de faits d'armes héroïques, menée, à son éclatement, par le Martyr Mostefa Ben Boulaïd et ses compagnons, partis de Dechrat Ouled Moussa et de Khenget Lehdada pour frapper les premières cibles de l'ennemi, marquant ainsi le début de la lutte armée pour l'indépendance de l'Algérie. Malgré son âge avancé (près de 90 ans) et les signes de maladie que son visage parcheminé trahit, ce Moudjahid a encore l'esprit alerte et se remémore avec précision les détails de la bataille de Tababoucht, connue également sous le nom de bataille de «Seffah Ellouz», au cours de laquelle les forces coloniales avaient subi des pertes dont elles étaient bien loin, à l'époque, de se douter de l'importance. Lors d'une rencontre avec l'APS, le Moudjahid Boudjenifa raconte cette bataille sanglante qui dura du matin au soir après que les soldats français ont encerclé environ 80 Moudjahidine dont la plupart étaient des révolutionnaires faisant partie de groupes dirigés par Mohamed Sebaihi, Bachir Ouertal (alias Sidi Hanni), Mohamed Benzahaf, Lakhdar Oucif et autres, qui avaient convenu de se réunir au fin fond de la forêt de Kimel pour des questions liées à la réorganisation des groupes de combattants. Le témoin affirme que les coups de feu échangés entre forces coloniales et Moudjahidine ont commencé à claquer aussitôt après qu'un avion de reconnaissance de l'armée française a repéré des mouvements inhabituels dans la forêt. Des mouvements qui conduisirent l'occupant à déployer d'importantes forces sous les yeux du regretté Moudjahid Boubaker Salem, infirmier dans les rangs du groupe d'Abbas Laghrour. Echappant miraculeusement aux soldats, Boubaker Salem, qui se trouvait encore à la lisière de la forêt, a réussi à se faufiler au cœur de la végétation et à alerter les autres Moudjahidine qui choisirent alors de se dissimuler dans des recoins où l'abondance d'arbres, à «Seffah Ellouz», leur offrit un refuge plus ou moins sûr, raconte Cherif Boudjenifa. Il se trouve que ce jour-là, se souvient encore le vieil homme, la région était balayée de vents violents, chargés de poussière, rendant la visibilité quasi nulle. Les Moudjahidine, tous (ou presque) originaires de la région de Kimel, connaissaient parfaitement les sentiers et les renfoncements de la forêt, si bien qu'ils parvinrent à se cacher en contrebas d'un oued, devenant, du coup, invisibles par les soldats français. «Les soldats de l'armée d'occupation, des appelés du contingent pour la plupart, tentèrent alors de nous encercler mais avaient du mal à reconnaître les cibles et même à entendre les ordres de leurs officiers, si bien qu'ils se mirent à tirer à tout-va, sur tout ce qui bougeait et dans toutes les directions, de façon complètement désordonnée», se souvient Boudjenifa. Pendant la bataille, que l'orateur qualifie de «piège dressé par les caprices de la météo et les circonstances», les Moudjahidine Bachir Ouertal et Messaoud Benzahaf se déplaçaient entre les djounoud pour les approvisionner en munitions, faisant fuser des «Allah Akbar» que le soufflement du vent engloutissait, rendant impossible la détermination de leur provenance. Le visage du vieil homme s'illumine d'un sourire lorsqu'il raconte la suite : «des rafales ininterrompues de fusils mitrailleurs se firent entendre et les balles sifflaient au-dessus de nos têtes alors que nous étions camouflés en contrebas de l'oued dans les faits, les soldats français, nous croyant cernés, se diraient dessus ! Une vraie hécatombe !». La densité de la forêt et le manque de visibilité les empêchaient de se reconnaître les uns les autres, alors que nous étions sagement retranchés au fond de l'oued. Lâchant un profond soupir, Cherif Boudjenifa, étreint par l'émotion à l'évocation de ses compagnons de lutte (Mohamed Biouche et Lakhdar Oucif, notamment), avoue que l'affrontement de Tababoucht n'avait pas été planifié, ni encore moins préparé. «En dépit de notre armement sommaire et de l'inexpérience de la plupart d'entre nous, nous étions armés de notre inébranlable foi et de notre détermination à faire triompher notre cause», confie-t-il. Plusieurs moudjahidine ayant vécu cette bataille, dont Djoudi Kiour, Lakhdar Oucif, Mohamed Omar Biouche et Mohamed Djermoune, avaient indiqué, dans de précédents témoignages recueillis par l'APS avant qu'ils ne quittent ce monde, que la rudesse du climat des Aurès en plein mois de décembre, et le relief accidenté de la forêt de Kimel, avaient transformé la bataille de Tababoucht en piège mortel pour les soldats français qui se sont chargés de s'éliminer les uns les autres sans s'en rendre compte. Les mêmes témoins avaient souligné que ce jour-là, sept (7) djounoud étaient tombés en martyrs, Mohamed Sebaïhi ayant été le premier à succomber à ses blessures. Les pertes de l'ennemi avoisinèrent, quant à elles, les 900 hommes, transformant la forêt de Kemel en véritable charnier à ciel ouvert. De nombreux témoignages de Moudjahidine et de citoyens ont rapporté que des camions de l'armée française n'ont pas arrêté, pendant 4 jours, d'évacuer les corps de leurs soldats, disséminés dans la forêt de Kimel, pour les transporter vers la région voisine de T'kout. Le défunt Moudjahid Omar Bousedjada avait déclaré, dans un précédent témoignage, qu'au soir du jour de cette bataille, il avait assisté, alors qu'il n'avait que 17 ans, à une scène qui l'a marqué à vie : «j'ai vu de mes yeux, avait-t-il assuré, des amoncellements de cadavres de soldats français et je ne crois pas exagérer en affirmant que leur nombre dépassait le millier». L'armée française, avait-il poursuivi, avait été tellement marquée par ces pertes que son aviation avait reçu l'ordre de «bombarder tout ce qui bougeait» dans la forêt de Kimel. Une forêt que les forces françaises se contentaient de survoler, se gardant de s'y aventurer jusqu'à ce que l'Algérie recouvre son indépendance au prix d'immenses sacrifices.