Le Ramadhan est l'occasion de se rapprocher des siens, de resserrer les liens. Alors, quand on doit observer le jeûne en prison, coupé de ses proches, le mois sacré n'a plus réellement un goût de fête. «Personne n'a pu venir me voir parce que toute ma famille est au pays, se souvient Saïda», une marocaine incarcérée pendant huit mois en 2006. C'était très difficile de faire le Ramadhan dans ces conditions, surtout que mes enfants étaient loin de moi. J'avais tellement mal que je n'avais pas de mots, assez forts, pour exprimer ce que je ressentais. «Malgré sa souffrance, la jeune femme de 32 ans a décidé de suivre, jusqu'au bout, le Ramadhan, pour prouver qu'elle tenait à dieu». Sa méthode pour tenir le coup : «J'essayais d'oublier le manque, pour ne pas être triste et péter les plombs», résume-t-elle. Et, pour y arriver, elle s'est rapprochée plus encore de la religion. Comme la plupart des détenus, lors du mois sacré. «Pendant le Ramadhan ils demandent, avec insistance, la venue d'aumôniers et ils sont particulièrement irritables quand ils ne peuvent pas en voir. En fait, on est beaucoup plus interpellés à cette période car les détenus ont besoin d'un soutien spirituel plus grand», souligne Samia El Alaoui-Talibi, aumônier de prison, depuis 2002 ,auprès des femmes et des mineurs, dans le Nord de l'Héxagone. Impossible de s'adapter à toutes les religions Il semble que ce soutien religieux ne soit pas toujours suffisant. «Ce mois-ci, j'ai entendu des femmes qui disaient qu'elles n'arrivaient pas à jeûner. Elles se disaient qu'elles avaient commis tellement de péchés que dieu ne pourra jamais leur pardonner», raconte Samia El Alaoui-Talibi. « Il y a, effectivement, des gens à l'intérieur qui abandonnent, comme cela arrive à l'extérieur, confirme Laurent Ridel, sous-directeur des personnes placées en sous-main de justice à la direction de l'Administration pénitentiaire. Mais, il est difficile de dire si c'est lié à la situation carcérale ou s'il y a un manque de conviction religieuse car, comme dans les autres religions, il y a des musulmans moins pratiquants que d'autres.» Si Saïda a tenu bon, sa détermination a souffert de l'heure fixe des repas. «Je ne prenais pas le repas du matin parce que c'était trop compliqué, se souvient la mère de famille, aujourd'hui sous contrôle judiciaire. Pour la rupture du jeûne, comme on m'apportait mon plateau avant le coucher du soleil, je demandais parfois à ce qu'on donne mon repas à quelqu'un qui avait très faim. Dans ce cas, je faisais bouillir de l'eau pour me faire une soupe en sachet et je mangeais des dattes et des biscuits avec du lait chaud. Ou, alors, je gardais le plateau et je faisais réchauffer le plat, quand il y avait des pâtes ou du riz.» Manifestations pour des plaques chauffantes Cette situation résulte des contraintes liées à l'enfermement. «On a des règlements intérieurs auxquels on ne peut pas déroger, pour des raisons de sécurité. C'est au détenu de s'investir et de prévoir. Le repas qui devient froid au moment de rompre le jeûne représente effectivement un problème, mais on a tellement de religions dans nos murs qu'on ne peut pas s'adapter à tous», explique David Calogine, secrétaire général de l'Union fédérale autonome pénitentiaire, qui réunit des surveillants de prison. Dans son malheur, Saïda a eu de la chance. Elle était détenue à la maison d'arrêt de Sequedin de Lille (nord de la France), ouverte en avril 2005. Parce qu'il est récent, cet établissement permet le branchement d'appareils servant à cuisiner ou, du moins, à réchauffer des plats. Ce qui n'est pas le cas dans les maisons d'arrêt plus anciennes. Résultat, les prisonniers ne peuvent pas utiliser de plaques chauffantes. «c'est l'une des choses pénibles qui a donné lieu à des manifestations», indique Samia El Alaoui- Talibi, également secrétaire de l'aumônerie musulmane nationale. Plus simple pour les détenus qui cantinent Dans les centres de détention, le Ramadhan se révèle un peu plus facile à suivre. « Comme les détenus sont là pour des peines moyennes ou longues, ils ont la possibilité de cantiner : ils ont une fiche et cochent ce dont ils ont besoin. En fait, c'est comme s'ils faisaient leurs courses sur Internet», commente Laurent Ridel, le sous-directeur des personnes placées en sous-main de justice. Si les conditions sont décrites comme meilleures, elles ne sont pas pour autant idoines. Du coup, là encore, on a observé des mouvements de colère. Des mouvements qui se révèlent marginaux en maison d'arrêt comme en centre de détention, d'après Laurent Ridel, qui souligne n'avoir pas constaté une «hausse significative de l'agressivité» des musulmans pratiquant le Ramadhan. Marginaux, mais réels. «Dans mon vécu, ajoute David Calogine, surveillant depuis 1995, je sais qu'il y a déjà eu des accrochages parce que les détenus demandaient le réajustement des horaires d'ouverture des officines et des parties communes. Mais on ne peut pas accéder à ce type de demande : en fin de service, nous passons en effectif réduit pour la nuit et il est difficile de gérer les regroupements... » Colis spécial Ramadhan L'incontournable règlement. Comment permettre aux fidèles de l'Islam de pratiquer leur rite dans de meilleures conditions, sans enfreindre le principe de laïcité de la République française ? Quelques initiatives ont été mises en place dans les établissements pénitentiaires. «Dans la plupart des cas, avec la surpopulation, il n'y a plus de détenus seuls dans une cellule. Et, en général, en fonction de nos capacités d'accueil, on accompagne les détenus, musulmans ou autres, avec une personne qui pratique la même religion», confie David Calogine. Il ajoute que dans certaines maisons d'arrêt, «comme celle de Fresnes ou de Versailles, les détenus peuvent se regrouper dans des salles à la fin du jour», le moment de la rupture du jeûne. «Certaines cantines en Ile-de-France permettent aux prisonniers de se procurer des produits consommés lors du Ramadhan, comme les dattes», ajoute une source qui a souhaité conserver l'anonymat. Autre initiative, nationale celle-là : le colis spécial Ramadhan, qui fait écho au colis de Noël. Il a été initié par les aumôniers musulmans avec le soutien des services pénitentiaires, services avec lesquels ils sont régulièrement en contact pour améliorer le quotidien des musulmans. «Nous offrons officiellement ce colis depuis trois ans sur toute la France, explique Samia El Alaoui-Talibi. L'an dernier, nous avons distribué 1 500 colis sur le Nord. Ils contiennent un saucisson halal, un paquet de gâteaux, un paquet de cacahuètes, des dattes… On essaye de se rapprocher de la mémoire gustative des détenus.» Pour savoir combien de colis préparer, le ministère de la Justice a demandé cette année aux directeurs inter-régionaux des services pénitentiaires de communiquer le nombre de prisonniers pratiquant le Ramadhan à l'un des neufs aumôniers régionaux ou à l'aumônier national musulman, Moulay El Hassan El Alaoui-Talibi. «J'ai partagé mon colis avec des amis» La collecte de dons ne se fait pas sans mal. «Il y a des régions où il est difficile de constituer les colis. Les réseaux pour faire circuler l'information circulent autour des familles. Or, parfois il y a des prisons très isolées des zones urbaines et, si les musulmans ne sont pas nombreux, le message ne passe pas et il n'y a pas beaucoup de dons », observe l'aumônier national musulman, qui est par ailleurs le mari de Samia El Alaoui-Talibi. Saïda fait partie de ceux qui ont reçu un colis. Elle raconte avec émotion ce qu'elle a ressenti : «Je ne m'y attendais pas, c'était magnifique». C'était si touchant que quelqu'un ait pensé à moi pendant le Ramadhan que je me suis mise à pleurer. Certains ont dit qu'ils n'aimaient pas ceci ou cela, mais le geste était vraiment touchant ! J'ai même partagé ce que j'avais reçu avec des amis non musulmans pour leur donner une part de la générosité dont j'avais bénéficié». Une générosité qui l'a aidée à amoindrir le vide laissé par l'absence de sa famille. Sa famille qui, elle aussi, a souffert de la savoir si loin, et si seule.