Dès le premier contact, Bigeard l'amadoue, croyant tirer de lui un soupçon de collaboration : «Je vous fais enlever vos menottes et vos liens aux chevilles, si vous me donnez votre parole d' honneur de ne pas chercher à vous enfuir.» Et Ben M' hidi de répliquer sans attendre : «N' en faites rien, dit-il. Si vous me détachez, je sauterai par la fenêtre pour aller reprendre le combat.» Accusé de soutenir un terrorisme urbain, Ben M' hidi rétorque : «C'est vous qui en êtes responsables», au moment de son arrestation. «Il est temps que la minorité européenne reconnaisse notre droit à la liberté. Que la France quitte l'Algérie et tout cela s' arrêtera.» Et les attentats en ville ? «Une bombe vaut mieux que cent discours (...), la lutte armée n' est pas une fin ; c'est simplement un moyen de parvenir à nos buts.» Devant cette obstination et ce courage de Ben M'hidi, écrit Bigeard, en rappelant son sentiment de l' époque, «est l' âme de la résistance» du peuple algérien. «Il ne vit que pour l'indépendance de son pays [...]. J' ai en face de moi un véritable fauve», un homme qui «a du charisme, une détermination à toute épreuve». «Il est illuminé par sa mission [...]. Sa logique implacable (NDLR : celle de l' Indépendance) le met à l' abri de la peur [...] quand on aborde le problème de la mort, il dit ne pas la craindre». Il est «impressionnant de calme, de sérénité et de conviction». «Droit, sincère, épris d' idéal jusqu' à être un illuminé [...], c' est un visionnaire, un homme de valeur, d' une grande dimension. Avec mes hommes, on se dit même que c' est un ‘ ‘seigneur'‘ ». L' opinion de Bigeard, la BB des paras, comme aimaient si bien le qualifier ses compères, sur Ben M' hidi ne date pas d' aujourd'hui. Yves Courrière en parle dans son monumental travail sur la guerre d' Algérie, dès 1968. «Ben M' hidi avait vécu parmi les maquisards du djebel, puis au cœur du maquis urbain dans la Casbah. Bigeard lui-même vivait la même monacale que Ben M'hidi, toujours parmi les troupes. Il savait qu' un chef révolutionnaire ‘ne peut tirer son autorité que par les vertus qu' il incarne et qui sont justement celles que l' on désire voir triompher', comme il l' écrira plus tard.» Où culmine notre attentisme face à l'arrogance de l' Etat français ? Est-il juridiquement lié à la sensibilité des relations politiques bilatérales ? Ou est-ce le respect mutuel des conventions et des règles rugissants la coopération entre Etats qui nous impose une conduite pareille. Qui d' ailleurs, n'exonère nullement la France d' avoir un traitement injuste envers nos ressortissants et nos citoyens, le cas de Mecili, à titre indicatif, devenu une affaire en témoigne. « Aux Algériens, aux Marocains, aux Tunisiens, à tous les ressortissants de nos anciennes colonies qui espérant dans la France sont venus y vivre, je veux dire que la France leur tend la main, qu' elle les accueille fraternellement, qu'elle ne leur offre pas la repentance mais la compréhension et le respect», tel s'exprimait N. Sarkozy, le 19 avril 2007, sur le sujet. C'est le respect aux morts que nous aussi cherchons à faire valoir. Nous savons que la France a ratifié le 9 juin 2000 le traité instaurant la Cour pénale internationale au même titre que l'Allemagne et bien d'autres pays à l' exception des Etats-Unis, Israël, la Russie et la Chine comme il est d'usage. Une reconnaissance qui ne l'exempt nullement de ses crimes, au contraire, cela signifie que la loi du 31 juillet 1969 portant amnistie de l'ensemble des crimes commis pendant la guerre d' Algérie est irrecevable. Il est important de rappeler à ce titre que cette loi de 1968, n'avait fait que confirmer deux décrets datant du 22 mars 1962 dont l' un est relatif aux infractions commises au titre de l'"insurrection algérienne" et l' autre sur l'"amnistie de faits commis dans le cadre des opérations de maintien de l' ordre dirigés contre l' insurrection algérienne". A souligner par ailleurs, le fait que la France ai reconnu que les "événements d' Algérie" n'étaient autres qu' une «guerre». Ceci l'entraîne automatiquement vers la chute des boucliers juridiques qu'elle consolidait constamment pour s' abstenir de verser dans les excuses et repentance et s' occuper comme l'avait si bien exprimé Sarkozy, des relations économiques qui bénéficieraient aux deux pays : "passant aux actes". Le hic est que les juristes avérés peuvent nous aider à découdre ce nœud. La loi de 68 prescrit les crimes sur une durée de dix ans à partir de leur exécution ? Ni le traité d' amitié avorté, ni l'élan trompeur de Sarkozy, ni la lutte finale des socialistes et encore moins l'humanisme de la droite qui arriveront à bout de ce contentieux. Seule la volonté de nos concitoyens à regarder en face et faire le point. Avons-nous besoin des bienfaits d'une la France qui nous tourne le dos ? “Oui, des crimes terribles ont été commis tout au long d'une guerre d' indépendance qui a fait d'innombrables victimes des deux côtés. Et aujourd' hui, moi qui avais sept ans en 1962, c'est toutes les victimes que je veux honorer.” “Notre histoire est faite d' ombre et de lumière, de sang et de passion. Le moment est venu de confier à des historiens algériens et français la tâche d'écrire ensemble cette page d'histoire tourmentée pour que les générations à venir puissent, de chaque côté de la Méditerranée, jeter le même regard sur notre passé, et bâtir sur cette base un avenir d'entente et de coopération. ». Ainsi s'est exprimé Sarkozy dans son discours à Alger à l'occasion de sa visite d'Etat le 3 décembre 2007. Des propos qui maintiennent en l'état la situation au plan historique. Il est important de ponctuer cette petite contribution à méditer pour qui s'en souci de la mémoire de ce peuple, par une des plus significatives des révélations faites récemment par le tortionnaire Aussaresses, dans son nouvel ouvrage je n' ai pas tout dit, commentée par le monde. A un âge avancé, 90 ans, point de remords et point de regrets, fidèle à ses principes de militaire invétéré, exécutant allégrement les ordres de la hiérarchie, il porte à nu les mensonges de l'Etat et déclare dans cette livraison apologique : «L' ordre est venu de Paris», a-t-il répondu à Jean-Charles Deniau. Et à celui-ci de poursuivre : «De Paris, vous voulez dire du ministère de la Justice ? » «Oui », répond le général Aussaresses. L' ordre est donc venu de Mitterrand. Dans le détail, il raconte comment Ben M'hidi avait été exécuté par pendaison. "Vers minuit, Ben M' hidi est entré dans la pièce. Il a repoussé le parachutiste qui voulait lui mettre un bandeau sur les yeux en disant qu' il était un soldat. Le para lui a répondu que c'était un ordre. La voix ferme, Ben M' hidi a répliqué : ‘ ‘Je sais ce qu' est un ordre. Je suis moi-même colonel de l' ALN.'‘ Ce sont ses dernières paroles.» Je suis né le 4 mars, à la même date où les assassins de Larbi Ben M'hidi mettaient à sa vie. C' est une date qui restera gravée dans ma mémoire, comme dans celle de milliers de jeunes de ma génération. C'est une douleur permanente dans nos cœur jusqu' au jour où la réparation soit faite. Ben M' hidi est pour nous un symbole, une idole. Que Dieu l' accueille dans Son vaste paradis auprès des meilleurs, nos martyrs. (Suite et fin) Boukherissa Kheiredine