Mahjoub Ben Bella. Voil? un nom que bien des g?n?rations m?connaissent ici. Et dire que sa renomm?e le place dans le gotha mondial de l?art moderne et contemporain. Ses r?f?rences? Elles sont longues ? ?num?rer et l?acquisition de sept de ses ?uvres par le British Mus?um est la meilleure des marques de reconnaissance universelle. ?N?est-ce pas merveilleux d?afficher fi?rement son alg?rianit? dans les milieux au fait des tendances mondiales en mati?re d?art plastique?? l?che, Moussa M?di?ne, qui a eu le privil?ge de rencontrer l?artiste d?s les ann?es 60 et qui parle de son parcours exceptionnel avec emballement. Mahjoub le regarde et sourit. ?J?ai fait l??cole des beaux-arts d?Oran. Et c?est ainsi que j?ai pu nouer des contacts formidables, parmi lesquels celui de mon fr?re Mous?, raconte l?artiste qui n?oublie pas cette exposition ouverte le 17 juin 1965 ? la librairie Monaco, situ?e alors au 55 de la rue Larbi ben-M?hidi. On n?oublie pas cette date parce que, deux jours plus tard, c??tait son oncle, Ahmed Ben Bella, qui ?tait renvers?. ?Et au lendemain du 19 juin, le rideau de l?espace exposant Ben Bella, l?artiste, devait rester baiss?. Contre notre volont??, pr?cise Mous. ?Mais je dois signaler ici que ce n??tait pas ? cause du coup d??tat que je suis parti en France. Moi, je n??tais alors qu?un petit ?tudiant des beaux-arts et je n??tais pas averti politiquement. Et puis ce n??tait pas mon m?tier; mon activit? c??tait l?art, la cr?ation...?, dit Mahjoub, comme pour effacer subtilement les amalgames qui pouvaient avoir pour lit cet ?pisode de sa vie. Il est vrai, certains pourraient faire le lien avec le fait que Mahjoub Ben Bella ne figure pas dans les collections des mus?es de son pays dont il se revendique la t?te haute. Certains pourraient voir dans cette sorte de mise ? l??cart quelque volont? d??loigner ce nom historique de la soci?t?. Mais Mahjoub ne cultive pas la rancune. Il en fait une lecture d?artiste. Comme s?il se saisissait de son pinceau pour d?verser sur la surface ? peindre une ?criture qui n?a d??criture que la forme, illisible, ne portant pas de sens, sur laquelle il plante des semblants de vies. En fait, Mahjoub ne fait pas de la calligraphie. Celle-ci n?est qu?un pr?texte dans ses ?uvres, une sorte de souffle qui les traverse et qui devient un objet qui s?offre ? des lectures plastiques que le regardeur en fait selon ses ?motions. C?est un peu, comme il le dit, ?la pomme de C?zanne ou l?oreille coup?e de Van Gogh?. ?Je n?aime pas ?mettre de jugements. Ce r?le ne m?incombe pas?, dit-il en revenant sur la question, non sans faire constater que ?beaucoup de travail reste ? faire pour amener les gens, en Alg?rie, vers l?amour des arts?. ?Je pense qu?il y a beaucoup ? faire d?abord en direction des enfants. Il y a lieu d?enseigner la chose culturelle. Il faut ajouter aux programmes scolaires l?enseignement de l?art en g?n?ral. Faire aimer aux enfants le beau, la bonne musique. Leur apprendre ? lire un tableau, ? vivre une pi?ce de th??tre, ? choisir un bon film, ? lire un bon bouquin... Et tout cela s?apprend. Apr?s, ce sera trop tard!? fait remarquer l?artiste pour qui ?la culture, c?est ce qu?il faut exploiter au maximum?. ?Et puis il ne faut pas oublier que nos origines, arabo-musulmanes, sont aussi synonymes de savoirs, du grand art... et nous voil? assister ? une d?ch?ance lamentable. C?est dommage!? regrette Mahjoub, lui qui a trouv? son public loin de la terre qui l?a vu na?tre et lui a offert sa premi?re palette de couleurs. Il vient justement de retrouver sa Maghnia natale. Et le ma?tre es-formes et couleurs n?a reconnu, tout particuli?rement, au premier contact avec cette ville frontali?re avec le Maroc, que les effluves naissant de cette terre dont on retrouve les tons m?l?s intimement dans ses travaux aux tons froids du Nord qui l?a adopt?. Les retrouvailles avec Maghnia, apr?s 47 ans d?absence. ?J?ai eu ? visiter mon premier ?tablissement scolaire, l??cole maternelle. C??tait une ?motion terrible. J?ai retrouv? les tables encore intactes, avec leurs encriers?, raconte avec beaucoup d??motion Mahjoub qui humait de nouveau l?air de son bled pr?s d?un demi-si?cle apr?s son d?part. Et vous avez d? reconna?tre les odeurs de Maghnia?? demandais-je. ?Et comment!? dit l?artiste qui a pourtant plus affaire dans sa vie aux couleurs. ?Je l?ai dit ? Krim (son fr?re, ndlr). Je ne l?ai pas ressenti ? Oran ou ailleurs, mais ? Maghnia, l?odeur m?a transport? subitement, d?s avoir foul? le sol de la ville. C?est terrible!? dit-il. ?Quand le directeur de l?Ecole des beaux-arts d?Oran des beaux-arts que je consid?re comme mon p?re spirituel et quelques profs que nous avions ? l??poque devaient quitter l?Alg?rie, parce que acul?s et que la structure o? ils mouvaient ne correspondait plus ? leur esprit ?j?ouvre ici une parenth?se pour souligner qu?il s?agissait de pro-Alg?rie alg?rienne-, l?enseignement s?est effondr?. Je devais alors avoir 18 ans. Et c?est ? ce moment que j?ai pris la r?solution d?aller continuer mes ?tudes au lieu d?occuper un stand dans un march?. ?a, ?a n??tait pas mon m?tier?, dit l?artiste qui se savait fait pour un autre monde. ?Nous sommes donc partis ? l?aventure, sans moyens, sans bourse. Je me retrouvais ainsi ? l??cole nationale de Tourcoing avant de rentrer ? l??cole des Arts D?coratifs de Paris puis l??cole nationale sup?rieure des Beaux Arts de la m?me ville. Mais mes dipl?mes ne m?ont servi ? rien, dois-je dire?, ajoute Mahjoub, auteur de milliers d??uvres. Des ?uvres toujours atypiques. ?La plus petite, mesure 2,5 x 2 millim?tres et la plus grande fait 36.000 m?tres carr?s?, explique le peintre. Cette derni?re a ?t? r?alis?e sur le fameux pav? de la course cycliste Paris-Roubaix en 1986. Douze kilom?tres peints sur trois m?tres de large. Et L?Envers du Nord devait lui voler un mois de sa vie et bouffer 18 tonnes de peintures. Cette premi?re mondiale reste dans les annales. ?J?ai aussi particip? en 1988, au stade de Wembley en Angleterre, ? une manifestation d?di? ? Nelson Mandela, en compagnie de sept autres artistes. C??tait un an avant sa lib?ration.? Un peu na?vement, je glissais un ?dommage que beaucoup d?Alg?rien n?en savent rien?. Mahjoub en rit. ?Ce n?est pas de ma faute. Et ? comme c??tait difficile pour moi de m?affirmer loin de mon pays. Ce n??tait nullement facile, surtout avec mon arabit? et le nom que je porte, Ben Bella?, pr?cise-t-il. Mais alors pourquoi pas une exposition Ben Bella ? Oran? ??a serait formidable!? dit Mahjoub. ?Et figurer dans les mus?es alg?riens, ajoute-t-il, moi je veux bien. Mieux encore! Si on fait les choses dans les r?gles, administrativement, de mani?re r?guli?re, c?est-?-dire avec les assurances, les garanties de transports, les garanties de retour d??uvres, moi je suis tout dispos? ? le faire.? Mieux encore! L?artiste veut m?me donner des ?uvres pour diff?rents mus?es d?Alg?rie. ?Je suis pr?t ? faire des dons aux mus?es de mon pays. Cela dit, je ne veux pas que ce soit un travail anarchique, celui habituel que nous connaissons tous. Je dis cela parce que mon pays ne m?rite pas cette situation. Alors organisons-nous! Moi, en tout cas, je suis pr?t. Je suis un petit alg?rien qui veut donner quelque chose ? mon pays, ? ce pays que j?adore! Mon r?ve c?est donc d?offrir une ?uvre ? chacun des trois mus?es, ceux d?Alger, d?Oran et de Constantine. Et je suis dispos? ? signer le contrat tout de suite. M?me si on ne me l?a jamais demand??, souligne Ben Bella dont les enfants sont aussi des artistes. ?J?ai deux enfants formidables qui sont artistes. Le gar?on, Najib Ahmed, est tr?s fort en langue et en math?matiques. Mais il a pr?f?r? ?tre artiste. Il est aujourd?hui musicien et travaille avec le fils de Kateb Yacine, Amazigh. Ils vont d?ailleurs se produire ? Alger, le 5 juillet prochain, ? l?occasion du festival panafricain. Et il en est tout fier: lui, qui est n? en France, reste un fervent d?fenseur de l?Alg?rie. Le pays de son p?re. Souher Zohra est ?galement artiste. Nous avons eu ? r?aliser ensemble nombre d??uvres sur des supports diff?rents, comme le tissu?, raconte Mahjoub, non sans fiert?.