Les Etats-Unis touchent aux limites de la politique monétaire et fiscale avec des taux directeurs qui s'approchent de zéro et une dette publique qui atteint des sommets, alors même que leur économie s'enfonce toujours plus profondément dans la crise. La Réserve fédérale a abaissé mercredi son taux directeur à 1,0%, un niveau historiquement bas, mais déjà appliqué de juin 2003 à juin 2004. Les taux réels (en prenant compte de l'inflation) sont donc désormais très négatifs, alors que la hausse des prix tourne autour de 5%. Selon les chiffres officiels publiés jeudi, le produit intérieur brut américain a reculé de 0,3% en rythme annuel, et un grand nombre d'analystes s'attendent à un recul plus marqué encore au quatrième trimestre. L'économie américaine présente désormais tous les signes d'une récession, mais la marge de manoeuvre de la Fed se réduit comme peau de chagrin. Son taux directeur est un objectif de taux pour l'argent que se prêtent mutuellement les banques commerciales au jour le jour. La banque centrale intervient quotidiennement sur ce marché — dit des «fonds fédéraux» — pour équilibrer l'offre et la demande autour du niveau de taux qu'elle a fixé. Dans l'optique de la Fed, l'abaissement du taux directeur doit relancer le marché des prêts interbancaires et, partant, l'ensemble du marché du crédit, dont le gel est identifié comme la cause de tous les maux actuels. Mais la Fed a de plus en plus de mal à contrôler les fonds fédéraux. Jeudi, le taux des "fed funds" s'est établi à 0,30%, après 0,36% mercredi! Même en baissant ses taux d'un demi-point supplémentaire, la banque centrale serait toujours dans l'incapacité de peser sur l'évolution de ce marché. Si cette tendance continuait, la Fed pourrait donc avoir tiré ses dernières cartouches. D'autant qu'elle a commencé début octobre à rémunérer les réserves que les banques déposent auprès d'elle, à un taux inférieur de 0,35 point au taux directeur. Cette possibilité est exploitée à fond par les banques: le total de leurs dépôts à la banque centrale a plus que doublé entre le 1er et le 29 octobre, ce qui laisse entendre qu'elles préfèrent mettre à l'abri les liquidités que leur octroie la Fed plutôt que de se prêter entre elles. Plusieurs analystes, comme Jan Hatzius, de Goldman Sachs, estiment que la Fed devrait passer «à des mesures - non conventionnelles - [...] si l'économie ne parvient pas à répondre suffisamment» aux mesures classiques. Elle a d'ailleurs déjà commencé comme en témoignent certaines de ses nouvelles facilités destinées à assurer un flot continu de liquidités vers les banques, ou son dernier programme de rachat de billets de trésorerie destiné à faciliter le refinancement à court terme des entreprises et dans lequel elle a englouti 144 milliards de dollars en trois jours. Pour M. Hatzius, la prochaine étape devrait être l'achat d'actifs à risques lors des opérations de refinancement de la Fed. La banque centrale prévoit d'offrir aux banques 600 milliards de dollars à 84 jours et 150 milliards à 28 jours d'ici à la fin de l'année. Janet Yellen, présidente de la Fed de San Francisco, a reconnu jeudi que les neuf baisses de taux depuis l'été 2007 avaient eu des résultats limités, et a plaidé pour une «solution complète» prévoyant des actions «fiscales». Mais là aussi, les Etats-Unis commencent à atteindre des limites. Le Congrès a déjà débloqué 700 milliards de dollars de fonds publics pour sauver les banques, mais il faudra les emprunter, en plus des 600 milliards de dollars que l'Etat a levé depuis un mois et demi pour soutenir la Fed. Et ce, alors que la dette publique dépasse désormais les 10 000 milliards de dollars. Or le fort repli des cours du pétrole et la baisse de la consommation, commencent à faire crainte l'arrivée de la déflation. Pour Marie-Pierre Ripert, de Natixis, ce sujet ne devrait d'ailleurs pas tarder à «devenir la question la plus importante du débat public». Et l'une des conséquences d'une déflation pour un Etat déficitaire est le renchérissement du coût de ses emprunts.