Ecrit à la 1re personne, le roman est d'une lecture agréable tant il est bien écrit et même si le contenu est désappointant. Intéressant à lire, le roman dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas : la vie intime, les crudités du langage, les désirs, les rêves, bref tout ce que chacun fait dans la discrétion, par peur du qu'en dira-t-on pouvant porter préjudice à son image vis-à-vis d'autrui. Le «je» du locuteur est de quelqu'un qui ne décline pas son nom même s'il est en quête permanente de quelque chose d'essentiel pour une vie équilibrée et épanouissante. Le monologue, s'adressant souvent à un «tu» anonyme réel et pris à témoin, est tour à tour l'expression d'une frustration dérangeante, sinon d'une forme d'égocentrisme ou d'un narcissisme dont on peut devenir l'origine par une série de déductions. Donc, on laisse aux lecteurs le soin de deviner son interlocuteur en fonction du message. Il arrive que «je» évoque des vérités par bonnes à dire. L'auteur fait défiler ses personnages comme pour se soulager en s'adressant à un interlocuteur qui a dû occuper une place importante dans sa vie. On n'est donc pas dans un roman classique où chacun évolue dans on microcosme spécifique sans que les rôles n'aient été bien définis. On a l'impression aussi de voir un «je» tentant de reconstituer, comme dans un puzzle, des faits et événements qui ont marqué sa vie. Le roman n'a pas de chronologie, il s'inspire de la technique du nouveau roman ; on peut le considérer aussi comme en partie autobiographique. Les poupées semblent avoir véhiculé des souvenirs précis d'une vie d'enfance au milieu d'un couple mal assorti au sein duquel la fillette prend une figure de proue. Elle est là et il faut se résigner à son sort même si elle n'avait pas été désirée. On lui a acheté des poupées pour l'occuper, se débarrasser d'elle pour discuter, mais elle paraît trop esseulée pour en prendre soin et se concentrer dans un jeu d'enfants. Le cimetière des poupées, à moins que cela soit une métaphore ou un métonyme, renvoie à une image familière d'un parterre de maison jonché de poupées abîmées par la faute de la fillette turbulente. Nous pouvons comprendre qu'il s'agit d'une fille gâtée par sa mère de bonne situation matérielle : «Toutefois s'il y a une chose qu'on ne peut reprocher, c'est sa générosité à mon égard, surtout après la mort de grand mère, elle dépensait sans compter, peut-être oubliait-elle qu'elle m'avait acheté une poupée le mois précédent.» Et continuant de parler du massacre qu'elle fait subir aux poupées, elle continue par je : «Vers quatorze ans, j'ai cessé le génocide. Les livres m'ont sauvée de ma solitude. J'avais l'impression d'un dialogue». A mesure qu'on avance en lecture, l'un et l'autre des protagonistes se font des reproches, celui de m'avoir pas évité le pire dans une aventure, comme celle de faire un enfant dans une relation extraconjugale ou d'avoir une grossesse non désirée, d'être contre l'avortement, «comment peut-on, dans le ventre, dit-elle, arracher la vie, qu'un homme, qu'un étranger, intervienne dans votre corps». Et chacun de se culpabiliser, à qui mieux mieux. Le cimetière des poupées peut-être perçu à l'inverse de «la vie dans les plis» de Henri. Michaux,dans la mesure où rien n'est caché, dans un style de haute tenue littéraire, et que tout est à découvrir par les paroles de celle qui parle crûment parce qu'elle est le fruit de ce qu'on devrait appeler «une bêtise humaine», comme celle d'être un enfant naturel. On imagine deux acteurs d'une même aventure agissant dans l'ombre, une femme et un homme où la femme dit : «Nous avons manqué de fiction tous les deux, alors que la fiction est la seule chose de donner un sens, la seule façon de se sentir exister. Notre vie n'a l'allure d'aucun récit, tu n'en auras pas, satisfais-toi de l'innommable». On a du mal à prendre ce livre pour un roman, tel qu'il est conçu par l'auteur. On préférerait l'appeler «chronique familiale» philosophe de formation encore jeune pour fourbir ses armes, Mazarine Pingeot, femme de lettres et agrégée de philosophie, a la plume acérée et un franc parler très vif. Boumediene A. Mazarine Pingeot, Le cimetière des poupées, roman