Le roman est bien ce mode d'expression qui intéresse le plus large public et les éditeurs tiennent compte de cette préférence. Cependant, la littérature vivante devient de plus en plus une remise en question des modes de lecture et d'écriture que la notion de « créativité » du langage lui-même, liée à l'histoire de ce langage, a pris conscience d'elle-même. Habib Sayah(1), ce nouveau romancier du Sahara, sait qu'une œuvre digne de ce nom n'a pas à tenir compte par une sorte d'opportunisme esthétique que des goûts bien établis du lecteur. Elle ne devrait pas se contenter de répondre à ses habitudes culturelles, mais à en créer de nouvelles. Pour Habib Sayah, le Sahara n'est pas seulement cette « désolation » jaune qui s'étend à perte de vue, mais il est peuplé de héros pathétiques, audacieux, voire légendaires. Les romans de Habib Sayah sont chargés de symboles résultant aussi bien d'un besoin esthétique que du désir de suggérer une certaine vision de l'homme, d'entretenir des inquiétudes sur le sens même de la vie en plein « désert ». L'écrivain est, littéralement, possédé par la volonté encyclopédique, par la volonté d'une écriture totale qui épuiserait la pensée du monde saharien qui le fascine. Cependant, comme tous les romanciers, Habib Sayah rêve de cette lueur de l'étincelle qui éclairerait à la fois sa conscience d'homme et le principe des choses. On le remarque aisément dans ses deux romans Tamassikht et Un amour de papillons(2) qui sont écrits avec une douceur du langage qui donne forme et chair aux plaintes les plus intimes que l'écrivain éveille dans son éternelle étreinte du monde saharien. En effet, pour forcer la réalité à se dévoiler, il ajoute son équation personnelle. Il privilégie précisément cet aspect subjectif pour les besoins d'une formalisation personnelle et originale du contenu de son œuvre. Malgré cela, l'art de Habib Sayah n'est pas un monde se suffisant à lui-même, enfermé dans sa sphère, en dehors de toute pression extérieure. En 1984, notre écrivain s'est vu retirer son roman Zamane en nemrod des étals des librairies. Pour le pouvoir de l'époque, Habib Sayah est « allé trop loin ». Quand le romancier se tourne vers l'expérience du vécu, la possibilité de rivaliser avec le monde en le reflétant ou en le rejetant, c'est toujours un appel qu'il donne à déchiffrer. Son œuvre ne peut donc être achevée que par un lecteur, lequel devient, quelquefois, plus dangereux pour les pouvoirs totalitaires que l'écrivain lui-même. Quoi qu'il en soit, les écrits de Habib Sayah (3) sont ces prestiges constamment renouvelés d'un art de raconter qui intègre dans sa puissance expressive l'essentiel et l'accessoire, l'ordre et le désordre de la société algérienn Notes : 1 - Né en 1951, à Mascara, Habib Sayah vit actuellement à Saïda. Il a séjourné longtemps à Adrar. 2 - En français chez Casbah-Editions. 3 - Auteur aussi de plusieurs romans et recueils de nouvelles en arabe, dont : Cette nostalgie, Histoire d'un homme et d'une étoile, La décision, Monter vers le bas.