Le quatrième jour des recherches qui sont menées par les éléments de la Protection civile allait, presque, être bouclé par une nouvelle déception, malgré les efforts d'envergure déployés. Nous étions aux environs de 16h55, quand un profond soupir de soulagement est monté des profondeurs du Rhumel, d'où montaient des cris de victoire. Les plongeurs, qui subissent les pires difficultés, depuis quatre jours d'affilée, viennent, enfin, de localiser le cadavre du chauffeur. Il est coincé, à l'intérieur de la cabine, qui n'est malheureusement plus qu'un amas de ferraille mais, malgré tout, quelques tristes sourires se dessinent sur le visage d'une assistance aussi désolée que crispée par une température presque insupportable. Sur les hauteurs de la corniche, la température ne doit pas dépasser plus de 5 degrés centigrades. Qu'en est-il en bas, où toute forme de résistance peut être emportée par les eaux du Rhumel, en forte crue. Peut-être moins six, voire plus, selon certains avis. Pourtant, les plongeurs de la protection civile, se relayant à un rythme ordonné, sont à l'œuvre depuis déjà plus de deux heures. D'autres sont à la recherche du moindre indice dans un second périmètre, car il y avait deux hypothèses retenues. Le cadavre peut avoir été emporté par les eaux, qui doivent le rejeter plus loin, sinon il ne peut être que coincé dans la cabine de l'engin. Celle-ci est, elle-même, bloquée par les rochers d'une grotte, dont la profondeur a été évaluée à plus de 80 mètres. C'est dire combien la tâche est pénible mais, surtout, risquée pour ces courageux éléments, qui peuvent eux-mêmes, être les victimes d'un incident pouvant se déclarer à tout moment. La grande inquiétude est que les câbles installés pour les besoins de cette périlleuse opération peuvent céder, d'un moment à l'autre, compte tenu du poids de l'engin, encore rempli de sable. Au départ, c'est-à-dire dès jeudi matin, 50 éléments ont été engagés. Ils sont munis du matériel approprié, avec deux engins et deux grues. Ces éléments ont été dépêchés de l'unité principale de Constantine, de la secondaire, basée à Sissaoui, et du poste avancé Boumaza, sis à proximité du pont Sidi Rached. Ils comptent parmi eux une équipe de plongeurs ; une autre de grimpeurs spécialisés et la cynotechnique, avec ses chiens dressés pour les recherches en surface. Des recherches qui n'ont abouti, pour l'heure, qu'à retrouver le permis de conduire du chauffeur et, ainsi, l'identifier. C'est un jeune homme, identifié Madani Said, âgé à peine de 26 ans. On apprendra, plus tard, qu'il est originaire de Magra, dans la Wilaya de M'sila. On apprendra, aussi, qu'il a été embauché dans cette fonction, qui lui a été aujoiurd'hui fatale, il y a seulement trois mois et qu'il était à la recherche d'un autre travail. Il est l'aîné de ses frères et sœurs, et cela fait 7 jours qu'il travaille sans relâche. Sans, même, avoir le temps de se rendre auprès d'eux, de son épouse et de son jeune enfant, dont l'âge n'a pas encore atteint les huit mois. Un pénible destin, enduré tous les jours avec la sueur au front. Une inacceptable situation, aussi, qui fait qu'un chargement aussi dangereux soit confié à un jeune homme de cet âge sans, même, qu'il ne soit assisté par un compagnon de route pouvant apporter son aide, en cas d'incident. Vu la fin tragique, il est heureux que d'autres victimes ne soient pas enregistrées, mais la façon avec laquelle ce chauffeur a été utilisé suscite des interrogations, dont les réponses doivent bien se trouver, quelque part, dans la réglementation en vigueur. Quant aux causes ayant provoqué le drame, nul ne peut émettre une quelconque raison, sauf qu'une fausse manœuvre est, obligatoirement, supposée. Le poids du sable contenu dans la remorque a, certainement, été à l'origine de la déstabilisation, conduisant à heurter le parapet et ne pouvant, en aucun cas, éviter la chute à 140 mètres plus bas. Malheureusement, il a fallu que ce soit dans cette insondable grotte dite Edlimate, c'est-à-dire l'obscurité. Au fond de cette grotte, la cabine du camion s'est retrouvée coincée à 40 mètres de profondeur. C'est la pénible signification des difficultés rencontrées par les hommes de la protection civile qui ont résisté jusqu'à dimanche, en fin de journée, pour localiser le cadavre. Jusqu'à l'heure où nous mettons sous presse il n'a pas, encore, été retiré malgré les efforts qui ont duré jusqu'à 21 heures 30. Ce matin, de petites bouteilles d'acétylène pouvant faciliter la tâche de découpage de la cabine ont été récupérées, mais il faut redoubler d'efforts et opérer avec la plus grande patience. Les spécialistes n'excluent pas, plutôt ils sont convaincus, que le corps de la victime ne puisse être retiré entier. Il est, sans doute, déjà déchiqueté malgré le faible espoir qui subsiste. En attendant, la Direction de la protection civile n'a pas ménagé ses efforts pour héberger et alimenter les membres de la famille, et les proches, qui se sont déplacés à Constantine. Le Colonel Abdellah Debche lui-même, debout en permanence, nous a reçus, hier matin, et il a spontanément déclaré qu'il ne pouvait pas supporter de voir ces gens dormir sous le froid, dans leurs voitures ou sur les trottoirs, quatre jours de suite. Il a ordonné de les «ramasser» et les diriger vers les locaux de la protection civile, où des repas chauds leur ont été servis, et où ils ont été hébergés durant la nuit de dimanche à lundi. Un geste qui honore, encore plus, ces hommes qui n'hésitent pas à affronter tous les périls et qui sont les rares opérateurs à entretenir la lueur de l'espoir et du salut, envers et contre tout.