Soustara, les années quarante, paru aux éditions Anep est déjà récipiendaire du Grand prix de la ville d'Alger pour le meilleur roman d'expression française. C'est dire que ce récit est loin d'être anodin. Si son histoire ne commence pas par «Il était une fois» (dixit l'auteur), phrase par laquelle débutent tous les contes fabuleux, il demeure que l'auteur nous fait défiler, tout au long des 267 pages une histoire accrocheuse et… c'est la sienne. Mohamed Boussadi nous entraîne dans les dédales de la Casbah avec ses ruelles sinueuses et son mode de vie si particulier, surtout que tout se passe durant la période coloniale. Nous sommes dans les années 1940. Mohamed, qui n'a pas encore dix ans, est un enfant comme les autres, même s'il avoue avoir «souffert de la misère et des calamités qui se sont abattues sur les populations de la Casbah durant des années». En dépit de la guerre, des restrictions en tous genres et de la peur quasi quotidienne, il a vécu une enfance trépidante, partagée entre la famille, l'école et les copains. Ah ! Les copains. Ils sont très nombreux les souvenirs partagés avec Yoyo, Rabah, Saïd, Rachid, Mustapha et les autres. De bêtises, en découvertes, de jeux, en escapades, d'aventures, en mésaventures, les moments passés avec cette bande de jeunes comparses sont inoubliables. Avec une plume nostalgique, il raconte, en page 116, comment fut sa découverte de la grande bleue «A l'exception d'un seul qui surveillait les vêtements tout en se dorant au soleil, la bande barbotait bruyamment, faisant jaillir des gerbes d'écume. Les uns frétillaient sous l'eau comme des poissons, remontaient à la surface pour s'enfoncer de nouveau profondément, les autres grimpaient sur la terre ferme, prenaient leur élan et se lançaient dans des sauts acrobatiques en criant : «A la mouriska !». Ce fut le coup de foudre.». Mêlant nostalgie et humour, Mohamed Boussadi revient sur des événements marquants, comme le jour de sa circoncision dont les images sont encore prégnantes dans son esprit de septuagénaire. Une fête dont les préparatifs ont été menés tambours battants et qui fut l'occasion d'une grande fête avec «El-ali», couscous et gâteaux à profusion. Pour cela, ses parents ont dû beaucoup s'endetter. Y étaient-ils obligés ?, s'est-il demandé, à juste titre. Il semble bien que oui car sa mère avait dit à son père, à ce propos «Que vont dire nos voisins ? Que nous sommes misérables au point de ne pouvoir supporter les frais d'une fête ? Impossible ! Je ne pourrais jamais affronter les ragots !...Et puis, c'est notre premier garçon que nous avons failli perdre. Je veux lui organiser une fête dont il se souviendra.» Il faut dire que cette vie de promiscuité avait ses avantages et ses inconvénients. Toujours est-il que les rapports entre voisins étaient très forts, surtout en ces temps de guerre. Il fallait que tous fassent front contre un seul ennemi : le colonisateur français. L'auteur se rappelle encore, comment il était réveillé en pleine nuit par sa mère pour descendre aux abris, et échapper ainsi aux bombardements. «Nous quittions le domicile précipitamment pour la cave de Si Kaddour, un réduit de près de vingt mètres de long au plafond bas et voûté. En moins de dix minutes, nous nous retrouvâmes, des dizaines de femmes et d'enfants, entassés dans ce long boyau de trois mètres de large sans aération ni éclairage», écrit-il. Récit plein de vie et... de vivacité, écrit dans un style dépoussiéré, Soustara, les années quarante est une très belle incursion dans la vie des Kasbadjis à l'époque coloniale. Indéniablement, c'est la nostalgie qui a dicté l'écriture de cette histoire. A lire, sans modération. Hassina A. Mohamed Boussadi, Soustara, les années quarante, éd. Anep, Alger 2009, 267 pages