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Une prestigieuse femme de la résistance populaire algérienne
Lalla Fadhma N'soumer
Publié dans La Nouvelle République le 10 - 03 - 2010

Son père, cheikh dans une école coranique liée à la grande Zawyia Rahmaniya de Sidi Mohamed Ibn Abderrahmane Abu Qabrein, veillait comme de coutume, à son éducation et à celle de ses frères, dès le bas age Ce qui a permis à la petite Fadhma de mémoriser le Coran, simplement en écoutant assidûment les tombas psalmodier les sourates du Saint Livre.
On rapporte à propos de la jeune femme qu'elle était très douée et possédait une mémoire prodigieuse. Certaines sources (1) font aussi état de sa grande beauté,rapportant que parvenue à l'age où de coutume on mariait les jeunes filles, elle afficha ouvertement son indifférence à la question, refusant de se plier aux mœurs rigoristes traditionnelles de la région. Sa famille qui chercha maintes fois à la marier, se heurtait, ainsi, à chaque fois qu'on la sollicitait, à son refus catégorique de nombre de prétendants vénus quémander en vain sa main. Cette attitude devint si persistante que son entourage fut convaincu qu'elle était victime d'une «possession» et dut l'enfermer dans un «réduit» pendant un certain temps. Un cloisonnement forcé qui causa à l'infortunée femme un grand traumatisme, selon des proches, et qui l'aurait, selon d'autres, complètement métamorphosée sur le pan spirituel. Elle aurait, à l'instar de ces cas d'expériences religieuses insolites colportées, connu la révélation de la foi. Cependant, sa famille ne se rendant pas compte de son nouvel état persista toujours à vouloir la marier malgré son opposition. Fadhma N'Soummer est finalement poussée à épouser un cousin mais usant du seul moyen de recours de défense qui lui restait, elle refusera obstinément de consommer le mariage si bien qu'au bout d'un mois de patience, sa belle-famille et son mari excédés décidèrent de la ramener à ses parents atterrés. Le village tout entier mit sa famille en quarantaine, jetant l'opprobre sur cette femme considérée comme «folle à lier», et ce d'autant plus que des personnes de son entourage témoignaient de l'aggravation de son état jugé «pathologique». Ce qui valut à la pauvre personne d'être laissée relativement tranquille et d'échapper quelque peu à l'autoritarisme rigoureux qui s'exerçait continuellement sur les femmes de la contrée. Ses libertés de mouvement lui permettaient, ainsi, d'arpenter librement les sinuosités de la montagne tout au long de la journée pour n'en revenir qu'au coucher du soleil.
Et il était dit que Fadhma N'Soummer ne perdurerait pas dans ce style de vie isolé, apparenté à celui des mystiques car la jeune femme restant à l'écoute des échos en provenance des alentours et contrées voisines, en général.
A la mort de son père, la jeune femme prit la décision de rejoindre son frère Si Mohand Tayeb, chef d'une école coranique au village de N'Soumer, pour se mettre désormais sous son aile et s'exercer aux méthodes d'apprentissage des tombas. Elle se mit alors à étudier le Coran et l'astrologie, ne tardant pas à devenir une dispensatrice remarquable de préceptes religieux dans sa nouvelle fonction à l'école coranique de son frère, s'occupant principalement des enfants et des pauvres.
En plus de sa piété, sa sagesse et son intelligence remarquable, Fadhma commençait à acquérir une vénérable réputation à travers toute la Kabylie, à la faveur de la mise en exergue de ses aptitudes à la résolution de litiges et certaines «prédispositions prodigieuses» aux prédictions, qui renforcèrent sa renommée, et ce, malgré ses «excentricités» audacieuses qu'elle affichait journellement , choquantes par bien des côtés pour la traditionnelle gente masculine ultra-conservatrice de son époque mais auprès de laquelle elle était parvenue à s'imposer et à recevoir le respect en retour. On la craignait, et on rapporte à son sujet que la nuit elle était sujette à des transes étranges, des hallucinations et visions inquiétantes… Elle confiera un jour aux villageois convoqués pour la circonstance que chaque nuit elle voyait des hordes farouches qui s'apprêteraient à exterminer et asservir tous les habitants de la contrée. C'est pourquoi elle avertit de la nécessité de se préparer à la guerre !
Cette mise en garde daterait de 1852, selon certaines sources (2) qui attestent que les appréhensions de Fatma N'Soumer furent prises en considération, et en conséquence, toute la Kabylie fut prévenue pour commencer d'ores et déjà à mobiliser ses hommes et femmes contre l'envahisseur français qui s'annonçait à l'horizon. Et effectivement, le danger redouté ne tardait pas à donner des signes d'incursion dans la contrée .C'est que Lalla Fatma N'Soumer n'ignorait rien de l'évolution des événements dans les alentours de la région et au-delà, étant constamment tenue au courant par des émissaires sur les mouvements des troupes françaises dans les parages entre 1845- 1847. Et lorsque l'armada de la soldatesque coloniale française débarqua en Kabylie, la jeune femme n'avait pas encore atteint la vingtaine d'âge quand il prit les armes face à l'envahisseur, faisant preuve d'une combativité et d'un courage qui lui valurent l'admiration de ses ennemis même. En 1854, âgée alors de 24 ans, Lalla Fadhma N'Soumer livra une âpre bataille à Oued Sebaou , contre l'armée française lui infligeant une cuisante défaite, bien que celle-ci était de loin largement supérieure en effectif et matériel par rapport à la sienne composée essentiellement d'insurgés paysans et nombre de femmes paysannes.
Lors de cette bataille célèbre, Fadhma N'Soumer prêta main forte à Mohamed El Amdjed Ibn Abdelmalek (surnommé Boubaghla) qui s'était retiré dans la région de Soumer après une vaillante résistance au village de Tazrouts livrée aux troupes du général Missiat qui l'ont contraint à se replier dans les confins de la zone. C'est ainsi qu'elle parvint à venir à la rescousse de Boubaghla et empêcher le général français de franchir deux importants objectifs qu'il s'était fixés , Thachekrit et Thiri Bouirane, mettant en déroute ses troupes d' occupation. Une victoire retentissante qui fut saluée à travers toute la Kabylie, les mosquées, zawiyas et écoles coraniques, élevant des louanges et chants pieux , à la gloire de Dieu et en l'honneur de l'héroïne du Djurdjura. Cette dernière enregistra d'autres victoires encore par la suite, notamment dans les environs de Illeti, Tahlijt Nath, Bourja, Taourirt Moussa et Tizi Bouabir, démontrant que le leadership de la résistance populaire algérienne n'était pas réservé aux hommes uniquement mais les femmes pouvaient également y être parties prenantes. La légende de Lalla Fadhma N' Soumer retentissait désormais dans toute le pays et ses adversaires avaient fort à faire avec ses troupes combatives, n'acceptant pas leurs revers, au point de recourir à l'aide des habitants des régions pour en finir avec la farouche rebelle. Mais ils se heurtèrent constamment au témoignage d'une solidarité sans failles des populations avec la lionne du Djurdjura. Ce qui ne fit que redoubler de violences et de barbaries les agissements de la soldatesque coloniale qui fit main basse sur Azzazga , entre autres, soumettant ses habitants à de terribles représailles. Mais Fadhma N'Soumer, ne déposant pas pour autant les armes, se lança, au contraire, de plus belle dans la bataille de mobilisation de la population, l' appelant à combattre au nom de l'Islam, de la patrie, la liberté et la dignité humaine. Ces référents sacrés étaient d'autant plus mobilisateurs qu'ils émanaient de l'appel d'une pieuse femme dont la forte personnalité exerçait incontestablement une grande influence à travers toute la Kabylie, et au-delà, montrant à ses semblables la voie de la libération à suivre par le sacrifice, la détermination et l'engagement total dans les combats.
Ces derniers se multiplièrent, livrant des attaques continues aux troupes d'occupation françaises, ne faisant qu'amplifier davantage l'audience de la combattante du Djurdjura, si bien que les autorités françaises, redoutant le danger croissant qu'elle représentait, lui expédièrent une armée commandée par le maréchal Randon pour assiéger ses troupes basées aux villages d'Aït Tsouragh et Icherridène. A la tête de quelque 7 000 hommes et un certain nombre de femmes, Fadhma N'Soumer livra un combat acharné aux troupes d'incursion françaises, le 11 juillet 1857 et malgré la résistance héroïque des insurgés, la balance pencha en faveur de l'armée française, en raison de l'inégalité des forces en présence. Des sources font état de l'achèvement de la bataille se soldant par la mort de 44 soldats français dont deux officiers et 327 blessés dont 22 officiers, rapportant, par ailleurs, qu'au cours de la bataille, «l'armée française avait saisi de nombreux biens, emportant les bijoux des femmes ainsi que 50 fusils et plus de 150 manuscrits d'ouvrages scientifiques et religieux».
Des pourparlers furent engagés pour la conclusion d'un cessez-le-feu, assorti de quatre conditions en l'occurrence :
-1) Le redéploiement des troupes françaises en dehors des villages et des hameaux d'habitation.
- 2) L'exonération des taxes.
- 3) La non-poursuite et la non-sanction des chefs de la résistance.
- 4) La protection des biens et des personnes.


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