C'est à un rendez-vous au cœur de Barbès que nous convie, sur sa quatrième galette, l'Orchestre National de ce quartier populaire de l'est parisien. Le groupe emblématique du «vivre ensemble» de la fin du siècle dernier resserre les boulons et retrouve le son «transmaghrébin» qui a fait son succès à ses débuts, il y a une quinzaine d'années. Etat des lieux avec Youssef, le bassiste. «Notre premier concert a eu lieu en 1996», se souvient Youssef Boukella. Bassiste historique du combo qui a, depuis, vu défiler une bonne cinquantaine d'âmes (musiciens et techniciens). Youssef enchaîne : «Très vite, quelques mois à peine après nos débuts sur scène, nous sortons un album live. Poulina, le deuxième, arrive en 1999. Ensuite, il faut pratiquement attendre une décennie avant qu'on retourne en studio. On avait trop tourné, besoin de faire une pause», commente-t-il. Alik, censé marquer le retour du groupe, ne convainc pas grand monde à sa sortie en 2008, surtout pas eux : «Le son plus rock, plus sombre ne nous ressemblait pas totalement. Notre vrai retour, c'est aujourd'hui, en fait, avec Rendez-vous Barbès». Manifestement en forme, le groupe retrouve ses marques, ses fondamentaux, comme disent les sportifs de haut niveau, autour d'une fusion des genres musicaux maghrébins (allaoui, gnawa, chaabi, raï…). Marqué à tout jamais par les rythmiques allaoui, un groove made in Maroc que l'on retrouve sur le tout premier titre (Sidi Yahia-Bnet Paris), le son de l'Orchestre (inter)national de Barbès flirte aussi avec le ska façon Madness et le beat up tempo berbère (Chkoun ?), le dub jamaïcain (Chorfa), le chaabi du royaume chérifien (Jarahtini-Marhba-Jibouhali), les tourneries gnawa (Laâfou), le raï-trab, celui d'avant les synthés (Denya). Ni fonctionnaires, ni carriéristes Pour tous les musiciens qui ont collaboré à l'aventure ONB, Barbès n'est pas qu'un quartier où l'on croise toutes les nationalités du continent africain, c'est avant tout là que s'est structurée, autour des «labels-boutiques», la production musicale maghrébine. «Barbès est un lieu de rencontres, le WOMAD* de la musique maghrébine», s'amuse Youssef Boukella. C'est à ce Barbès qu'ils sont attachés, même si plus aucun d'entre eux n'y habite, pas même Hafid Bidari, le dernier arrivé au sein de la smala ONB. «Hafid nous a rejoints il y a deux ans. C'est un gnawi d'Oran. Il nous a ramené le soleil», explique Youssef, qui martèle une nouvelle fois le credo de l'ONB : «Nous sommes avant tout un groupe de scène. C'est sur scène que l'ONB prend toute sa mesure. Il n'y a rien de calculé, de prémédité. C'est la vie qui fait ce que nous sommes, avec nos différences et nos similarités. Chacun participe à l'aventure collective. Nous ne sommes pas fonctionnaires, ni même carriéristes». Cette diversité leur évite l'écueil du porte-drapeau, même si, à leurs débuts, ils se revendiquaient «pour le fun» de la Bougnoule Connexion : «On est quatorze sur la route. Des qui votent à droite, d'autres à gauche. Des qui font la prière, d'autres qui ne la font pas. Forcément, on est tolérants. Doit-on forcément ne plus parler que du niqab ?», s'interroge-t-il. «Nous, on préfère revendiquer une nation virtuelle où l'on peut faire de la musique ensemble. Et ce n'est pas rien !» «On joue partout où l'on nous demande» Ce Barbès qui les a baptisés, ils l'ont vu se métamorphoser. «Le quartier devient presque normal. C'est un peu moins glauque, moins de dealers d'héroïne», constate Youssef, qui note de pair une modification du corpus social. «Comme partout dans Paris et dans la proche banlieue, les loyers ont augmenté, déplaçant vers la grande périphérie les habitants les plus pauvres. Mais heureusement, Barbès demeure un vrai creuset de populations, un vrai lieu de brassage. Toujours beaucoup de vies, de couleurs !», clame-t-il. Le business du disque aussi y a changé. Dans les années 1970, les cassettes ont pris le pas sur les vinyles des années pré et post indépendances nord-africaines, reléguées plus tard, elles-mêmes, au rang de fossiles de la musique enregistrée par le numérique (CDs et désormais MP3). «Barbès demeure la meilleure Agence locale pour l'emploi des musiciens maghrébins. C'est toujours le principal lieu de rencontres», affirme le bassiste qui a fait le tour du monde avec l'ONB. «On joue partout où l'on nous demande», explique-t-il «de la précipauté de Groland, délocalisé à Quend-Plage-les-Pins, le temps d'un festival annuel de cinéma à la principauté de Monaco pour le Bal de la Rose de la famille Grimaldi, en passant par la Fac de Villetaneuse ou Constantine où l'on se produisait il y a deux jours. L'enthousiasme et la chaleur sont toujours au rendez-vous, tant sur scène que dans le public et ça, c'est le principal !» lâche-t-il, heureux.