Neuf mères sur dix qui abandonnent leurs enfants sont célibataires. Des jeunes filles et des femmes se retrouvent enceintes, se cachent, accouchent et abandonnent leurs bébés. Certaines les tuent ou les jettent dans des poubelles quand d'autres les abandonnent à l'Etat. Une affaire dont bénéficient quelques mères stériles. C'est là une réalité bordjienne. Comme le sexe hors mariage l'est aussi. Le phénomène des enfants abandonnés continue de soulever l'indignation. En Algérie, quelque 4.000 enfants, dont 3.000 sont illégitimes, sont abandonnés chaque année, selon des statistiques du ministère de l'Emploi et de la Solidarité nationale. La moyenne d'âge des mères célibataires, selon la même source, ne dépasse pas les 18 ans. A Bordj Bou Arréridj, selon nos sources, plus ou moins 20 enfants sont abandonnés chaque année. Selon des spécialistes, ce phénomène a pris de l'ampleur ces dernières années pour diverses raisons : la pauvreté qui a poussé des jeunes filles à la prostitution, l'ouverture médiatique, la moyenne d'âge du mariage qui dépasse 28 ans pour les filles et 33 ans pour les garçons, ce qui les poussent à chercher des relations hors mariage. Le sujet est très sensible, et les mères célibataires ont peur. Peur de la police, peur de la société, peur des parents, des frères, de l'entourage, du regard des autres. C'est simple : quand une fille est enceinte, elle a deux choix, assumer ou avorter. Les cas d'avortements clandestins sont très nombreux et se font dans des conditions inhumaines par des charcutiers ou des charlatans autoproclamés médecins et les conséquences sont, parfois, dramatiques. L'autre choix est de garder l'enfant, mais à quel prix ? Rappelons au passage le texte de la loi en question : l'article 304 du code pénal stipule que «quiconque par aliments, breuvages, médicaments, manoeuvres, violence ou par tout autre moyen a procuré ou tenté de procurer l'avortement d'une femme enceinte ou supposée enceinte qu'elle y ait consenti ou non est puni d'un emprisonnement d'un à cinq ans et d'une amende de 500 à 10.000 dinars. Et si la mort en résulte, la peine est la réclusion de 10 à 20 ans». Quand une mère célibataire n'avorte pas pour de nombreuses raisons (manque de moyens, peur de la famille et de la police, peur de mourir…), elle décide de garder son enfant. Une grossesse qui va à son terme comporte de nombreux risques, mais le plus dur reste à venir. Quand l'enfant naît, que faire ? Le garder ? Connaissez-vous des familles algériennes prêtes à garder un enfant, né d'une relation sans mariage, considéré de facto comme haram, c'est-à-dire le fruit du péché ? Peut-être que cela existe, mais les cas sont rarissimes. A écouter ces histoires, on finit par prendre conscience de ces victimes de la société. Combien de familles se sont disloquées à cause d'une fille, d'une soeur ou d'une cousine qui a perdu son hymen dans des circonstances autres que le mariage religieux : pulsion d'ado, rébellion, amour de jeunesse ou, pis, à cause d'un viol, d'une affaire de pédophilie ou d'inceste. Il ne faut surtout pas penser que cela n'arrive qu'aux autres. Cela pourrait se passer près de chez vous, même sous votre toit. Généralement, ce sont des gamines, à l'adolescence, qui doivent faire face à des drames de cette force. D'autres témoignages nous ont révélé que des filles ont été avortées cruellement, presque à coups de pied dans le ventre par des frères ou des parents livrés à la folie. On parle même de cas de filles tuées par des pères devenus obsédés par le poids de la honte. D'autres ont plus de chance puisqu'elles n'ont été que reniées et jetées en pâture à la loi du marché de la rue. Le désespoir se lit facilement sur les visages de dizaines de jeunes filles, de jeunes mamans et, d'une manière plus inquiétante, sur les visages des prostituées et autres cas sociaux, dont chacune cache une histoire différente, mais qui souffre du même mal. Mounira a vingt-quatre ans et cherche un travail, un boulot qui lui rapportera de quoi vivre décemment. Tout semble aller pour le mieux dans sa vie, sauf un énorme détail : l'enfant qu'elle a eu quand elle était à l'université et qu'elle a donné à une autre femme. Un drame dans toute l'acception du terme. «J'étais en première année universitaire, je venais d'arriver du douar et j'avais un copain. Nous avons couché ensemble, j'étais encore vierge, mais je me suis retrouvée enceinte. J'ai eu peur, je l'ai dit au type qui m'a envoyée balader en me disant que ce n'était pas lui. J'ai essayé de me faire avorter toute seule. On m'a conseillé des tas de choses, en vain. Au bout d'un moment, mon ventre se voyait et j'ai dû en parler avec ma mère. J'ai été traîné par terre, frappée, mordue, bref, j'étais la honte. Heureusement que c'était la fin de l'année scolaire. Ma mère m'a envoyée chez sa soeur et j'ai accouché dans une grande ville où personne ne me connaît. Mon enfant, un garçon, je l'ai laissé à la maternité. Aujourd'hui, je ne sais pas où est il est, je ne sais pas s'il va bien, je ne dirai pas plus», nous a-t-elle raconté, avec un pauvre sourire et en retenant ses larmes. L'histoire de Mounira n'est qu'un cas infime parmi tant d'autres histoires où, souvent, la cruauté le dispute à la convoitise et au mercantilisme. Mounira a un fils qui, lui, ne sait pas qui est sa véritable maman. Aujourd'hui, la loi est plus favorable aux mères célibataires. Les tracas de l'adoption ou de la prise en charge sont nombreux, mais c'est une garantie pour les bébés de trouver, dans la légalité, une famille, un cadre de vie décent et des parents de substitution. On peut aisément imaginer le calvaire de ce petit bonhomme né sous X, perdu dans une société qui ne va l'accepter facilement. Il va payer le plaisir des grandes personnes. Où chercher ? Qui chercher ? Comment chercher? Autant de questions que se posent ces enfants nés sous X et ces mères qui veulent sortir de l'ombre. Hamid, un jeune homme de 24 ans, a toujours su qu'il était un enfant adopté et que sa maman l'a abandonné dès sa naissance. «Vous savez, la violence chez les petits est beaucoup plus forte malgré l'innocence de l'âge», dira Hamid. «A l'école comme dans la rue, je ne pas le droit de jouer ou de lire des textes qui parlent de la maman ou du papa. J'évite de parler de mes parents. Je n'ai jamais été attendu à la sortie de l'école. On ne m'a jamais félicité quand je reçois de bonnes notes. J'ai toujours signé mon carnet scolaire, Le plus dur sont les jours de fête. Je fais tout pour oublier et je cours toute la journée. Les gens pensent que je suis heureux mais, en réalité, je fuis et je me fatigue pour dormir tôt. Il m'est même arrivé de dormir dans l'après-midi», ajoute Hamid, les larmes aux yeux. «J'ai toujours rêvé d'une maman, d'un papa, de frères, de soeurs. Au lycée, j'ai rencontré des amis qui essayent de me comprendre, de m'aider et de faire semblant que c'est normal. Mais je n'arrive toujours pas à trouver des excuses ou des réponses à ce geste de grandes personnes qui abandonnent leur progéniture. Je sais maintenant que je ne suis pas comme les autres. Déraciné, sans attache, sans identité et sans avenir. A l'université, je parle de tout sauf de la famille. Je ne rentre pas chez moi. J'ai passé les trois années entre études et vacances chez des amis d'autres régions. Pour les fêtes de l'Aïd, je ne pouvais pas les passer chez des amis alors je fais de longs voyages pour d'autres destinations. Je passe mon temps à voyager, les premier et deuxième jours. Maintenant que j'ai fini mes études, je cherche à fonder une famille mais je sais que ce sera difficile pour moi. Il faut convaincre la fille, ses parents et toute la société que je suis un être humain comme eux. Je n'ai fait aucun mal sauf celui d'être né sous X. Ce n'est pas ma faute et je ne dois pas payer les erreurs des autres», conclut-il. «Dans un cas comme dans l'autre, il faut protéger la mère et l'enfant. Si demain, je retrouve mon fils, et s'il n'accepte pas de me voir, j'aimerais qu'on lui fasse savoir que ma porte restera toujours ouverte», dira Hakima, une maman qui a abandonné son fils il y a dix-sept ans.