«La ville [Rome] a besoin d'être épurée, et ce n'est pas le médecin le plus doux, mais le plus dur qu'il lui faut.» Caton En -186, Caton brigue de nouveau la censure ou plutôt la réclame et l'exige. «La ville a besoin d'être épurée, disait-il, et ce n'est pas le médecin le plus doux, mais le plus dur qu'il lui faut.» Lutte contre ses ennemis Élu, il agit comme il avait promis de le faire : il raya sept membres du Sénat, parmi eux un consulaire, le frère de Flamininus et un candidat au consulat, Manilius. Il enleva son cheval à L. Scipion, ainsi qu'à L. Veturius ; il dégrada L. Nasica pour une plaisanterie. Il essaya de rétablir les finances en affermant les impôts à très haut prix et les travaux publics au rabais. Il voulut refréner le luxe ; il comprit dans le cens des citoyens les bijoux, les voitures, les parures des femmes et les jeunes esclaves achetés depuis le dernier lustre, pour une valeur décuple du prix qu'ils avaient coûté, et il les frappa d'un impôt de trois as par mille. Il défendit avec fermeté l'intérêt général ; il fit rechercher et supprimer les nombreuses prises d'eau qui appauvrissaient les fontaines publiques, au profit de quelques riches particuliers. Il obligea tous ceux qui avaient des maisons en saillie sur la voie publique à les démolir dans l'espace de trente jours ; il fit paver les abreuvoirs, nettoyer et construire des égouts, percer un chemin à travers la montagne et construire la basilique Porcia, le premier monument de ce genre élevé à Rome. Le peuple, reconnaissant, lui éleva une statue dont l'inscription rendait témoignage des efforts tentés par Caton pour mettre obstacle à la décadence des mœurs. A l'expiration de sa censure, Caton ne considéra pas son rôle comme terminé : il ne cessa de combattre l'ambition, l'avidité et le luxe, tantôt par des accusations particulières, tantôt en soutenant des lois destinées à arrêter la corruption morale : la loi Orchia en -181, la loi Voconia en -169 et d'autres. C'est toujours dirigé par l'intérêt général qu'il prend la défense des Espagnols (-171), des Rhodiens (-168) et, en revanche, au retour de sa mission à Carthage, il réclame avec une persistance acharnée la destruction de l'antique rivale de Rome. C'est par crainte de voir ses compatriotes subir, plus encore qu'ils ne l'avaient subie, l'influence de la Grèce et de l'Orient qu'il soutient le sénatus-consulte défendant à Eumène d'entrer à Rome (-166), et qu'il demande le départ de l'ambassade athénienne conduite par Carnéade (-155). Dans cette lutte, Caton ne se démentit et ne faiblit jamais ; quelques mois, ou quelques jours avant sa mort, il accusait encore Servius Sulpicius Galba, que ses enfants, et son argent aussi sans doute, sauvèrent d'une condamnation méritée (-149). Si, d'ailleurs, Caton avait souvent et vigoureusement poursuivi ses adversaires politiques, il n'avait pas été moins vigoureusement attaqué, ni moins souvent. Il fut accusé quarante-quatre fois, et à l'âge de quatre-vingt et un ans, en -153, il avait encore à se défendre d'une accusation capitale, mais il fut souvent heureux dans ses accusations, et ses accusateurs au contraire ne purent rien contre lui : il ne fut condamné qu'une fois, et à une amende de deux talents. Cette lutte contre les mœurs avait duré soixante ans. Un écrivain fécond La guerre et la politique n'absorbèrent pas toute l'activité de Caton : ce défenseur des vieilles moeurs romaines, qui méprisait ou affectait de mépriser les lettres et les littérateurs, fut un écrivain fécond et, à proprement parler, le premier prosateur latin. Malheureusement, il n y a qu'une bien faible partie de ses ouvrages. Le seul conservé intégralement est un traité ayant pour titre : De Re rustica, et contenant des instructions sur l'économie agricole d'une propriété agricole. La conservation de ce traité ne compense pas, il s'en faut, la perte des autres ouvrages de Caton. Elle ne fera jamais oublier la disparition des Origines, cette première histoire romaine, en prose latine, que Caton commença pour son fils et à laquelle il travailla jusqu'aux derniers jours de sa vie. Cette histoire comprenait en sept livres toute l'histoire de Rome depuis les origines jusqu'aux événements contemporains des dernières années de l'auteur. L'histoire des autres peuples de l'Italie s'y retrouvait aussi retracée avec une ampleur bien différente de la sécheresse des annalistes. Les trois premiers livres auraient paru séparément en -174. Les fragments de cette œuvre remarquable ont été recueillis par plusieurs éditeurs. La perte des discours de Caton n'est pas moins fâcheuse : le terrible censeur en avait prononcé un nombre considérable. Cicéron en connaissait cent vingt, et il y en a encore plus de quatre-vingt par des fragments de plus ou moins d'étendue. Le plus ancien de ces discours, dont la date soit certaine, est de -195 ; le plus récent est de l'année même de la mort de l'orateur. Le recueil de ces discours, publié par Caton lui-même, se conserva relativement assez longtemps; au IVe siècle ap. J.-C. Les fragments, qui ont survécu, ont été réunis, en 1837, et avec plus de critique, par d'autres auteurs. Caton avait écrit et publié, pour l'instruction de son fils, une espèce d'encyclopédie où il traitait de l'agriculture, de la médecine, de l'éloquence, de l'art militaire et du droit. Cet ouvrage avait aussi mentionné sous des indications générales ou spéciales, qui ont fait croire parfois à l'existence de plusieurs traités distincts. On lui a faussement attribué un livre sur l'éducation des enfants : cette erreur a été amenée sans doute par une confusion avec l'ouvrage de Varron. Harmonie familiale Soldat, homme d'État, avocat, écrivain, spéculateur, Caton trouvait encore le temps de remplir ses devoirs de père de famille. Marié deux fois, d'abord avec une patricienne pauvre, puis, à quatre-vingts ans, avec la fille d'un de ses clients, il avait eu deux fils, un de chaque mariage, et il s'était appliqué à être un bon mari, ce qui valait mieux, disait-il, que d'être un bon sénateur, et aussi à être un bon père. On a vu qu'il avait composé des ouvrages destinés à son fils aîné. Il avait fait plus ; il lui avait montré lui-même tout ce que les Romains d'alors devaient savoir : la lecture, l'écriture, le droit national. L'éducation de ce fils a été, peut-être, l'une de ses meilleures œuvres. Il se montrait, d'ailleurs, chez lui tel qu'il était en public, sévère pour sa femme, pour ses enfants, et, surtout, pour ses esclaves, économe et frugal. Il négligea l'agriculture pour la spéculation et pour l'usure maritime, lui qui avait chassé les usuriers de Sardaigne. Lui, l'homme sobre et frugal, se laissa entraîner aux plaisirs de la table, si bien que le poète latin Horace et bien d'autres après lui, ont pu reprocher à l'austère censeur «d'avoir trop souvent ranimé sa vertu par la chaleur du vin». Mais ce sont, là, des taches qui ne sauraient ternir une vie d'ailleurs si bien remplie et si belle. Caton n'en reste pas moins, aux yeux de la postérité, ce qu'il fut aux yeux de ses contemporains : le vrai type du citoyen romain. Il incarna en lui l'esprit d'action et la droiture des vieux républicains ; dans cette invasion du cosmopolitisme, il fut le représentant de la patrie romaine, le défenseur des traditions qui avaient fait Rome grande et forte. Il mérita qu'un poète enthousiaste des vertus de son compatriote, le mit au-dessus de tous les sages de la Grèce, pays qui en a enfanté tant. (Suite et fin)