L'histoire de l'Algérie est de nouveau sur la scène publique à travers deux évènements culturels que sont la publication du livre de Saïd Sadi relatif à la mort du colonel Amirouche, chef de la Wilaya 3 historique, qui a donné lieu à des controverses et des débats qui se sont éloignés de la vérité au lieu de s'en rapprocher, et la projection du film de Bouchareb Hors la loi au festival de Cannes, qui a connu le même sort. Je reviendrai, dans une autre étude, sur l'assassinat du colonel Amirouche à partir des sources à ma disposition. Je consacre cette étude à l'objet de l'histoire et à la méthodologie de son écriture, car notre histoire nationale, depuis les temps lointains, n'est connue à ce jour, à commencer par l'histoire de la Numidie jusqu'à la Guerre de libération nationale en passant par la naissance du mouvement national moderne depuis la fondation de l'Etoile nord-africaine (ENA), le reniement de Messali Hadj de ses principes après la fin de la Deuxième Guerre mondiale et ses conséquences historiques qui ont abouti à la scission historique du MTLD en 1953 avec la naissance du MNA, des centralistes et du CRUA, devenu FLN, et, enfin, la prise du pouvoir en 1962 par la troisième force, préparée par le général de Gaulle et chargée de réprimer le peuple algérien et de maintenir notre pays sous la domination française, comme voulue par De Gaulle lui-même. Dans son ouvrage De l'esprit des lois, relatif à la falsification de l'histoire dans deux types de régime politique, celui de la dictature et celui de la république, Montesquieu a écrit : «Dans les monarchies extrêmement absolues, les historiens trahissent la vérité parce qu'ils n'ont pas la liberté de la dire et dans les Etats extrêmement libres, ils trahissent la vérité à cause de leur liberté même, qui, produisant toujours des divisions, chacun devient esclave des préjugés de sa faction, qu'il serait d'un despote.» Autrement dit, la vérité historique est toujours trahie par les historiens vivant sous le règne des dictatures absolues parce qu'ils ont peur de dire la vérité et d'accéder à elle, comme elle est toujours trahie par les historiens vivant sous le règne de la liberté, propre à toute république démocratique, car leurs histoires sont partisanes et non objectives. Les ouvrages d'histoire sur l'Algérie sont essentiellement produits, soit en Algérie, où l'histoire officielle a falsifié l'histoire réelle, ou en France où certains ouvrages sont beaucoup plus partisans qu'objectifs. Je reviendrai sur certains dans les études de cas que j'ai indiqués plus haut. Que faire pour écrire la vérité historique ou accéder à la vérité historique ? Pour cela, il faut répondre à deux questions essentielles : - quel est le but ou l'objet de l'histoire ? - quelle est la méthodologie de son écriture pour arriver à sa vérité qui ne travestit pas la réalité des faits étudiés ? C'est Ibn Khaldoun qui, dans El-Mouquaddima, a défini l'objet de l'histoire et la méthode de son écriture. Consultons-le de nouveau. But ou objet de l'histoire selon Ibn Khaldoun Dans l'avertissement à son œuvre historique, en plus de son œuvre l'Histoire des Berbères, Ibn Khaldoun écrit ceci : «L'histoire est une discipline des plus répandues entre les nations. Le vulgaire voudrait la connaître. Les rois, les dirigeants la recherchent à l'envie. Les ignorants peuvent aussi la comprendre que les gens instruits. En effet, l'histoire n'est, en apparence, que le récit des évènements politiques, des dynasties et des circonstances du lointain passé, présenté avec élégance et relevé par des citations. Elle permet de distraire de vastes publics et de nous faire une idée des affaires humaines. Elle fait voir les effets du changement.» Voilà le but ou l'objectif de l'histoire, selon Ibn Khaldoun. Mais c'est son aspect apparent, car il continue pour définir son aspect caché, son essence, une fois que son apparence a été précisée. Concernant son essence, qu'Ibn Khaldoun appelle son aspect intérieur, voici ce qu'il écrit dans le même avertissement : «Cependant, vue de l'intérieur, l'histoire a un autre sens. Elle consiste à méditer, à s'efforcer d'accéder à la vérité, à expliquer avec finesse les causes et les origines des faits, à connaître à fond le pourquoi et le comment des évènements. L'histoire prend racine dans la philosophie, dont elle doit compter comme une branche.» Poursuivant sa description et sa définition de l'objet de l'histoire, Ibn Khaldoun écrit dans l'introduction de son œuvre ceci : «L'histoire est une noble science. Elle présente beaucoup d'aspects utiles. Elle propose d'atteindre un noble but. Elle nous fait connaître les conditions propres aux nations anciennes telles qu'elles se traduisent par leur caractère national. Elle nous transmet la biographie des Prophètes, la chronique des rois, leurs dynasties et leur politique.» Il termine sa définition de l'objet de l'histoire dans la troisième partie consacrée à la préface de son oeuvre. Voici ce qu'il écrit : «L'histoire a pour objet l'étude de la société humaine, c'est-à-dire la civilisation universelle. Elle traite de ce qui concerne la nature de cette civilisation, à savoir la vie sauvage et la vie sociale, les particularismes dus à l'esprit de clan et les modalités par lesquelles un groupe humain en domine un autre. Ce dernier point conduit à examiner la naissance du pouvoir, les dynasties ou Etats et les classes ou catégories sociales. Ensuite, l'histoire s'intéresse aux professions lucratives et aux manières de gagner sa vie, qui font partie des activités et des efforts de l'homme, ainsi qu'aux sciences et aux arts. Enfin, elle a pour objet tout ce qui caractérise la civilisation.» Voici, donc, défini l'objet de l'histoire. (A suivre)