Jean-Marc Guillou, ancien international français et formateur de réputation mondiale, a suivi le Mondial sud-africain. Il parle dans une interview des clubs africains. Il y a des entretiens qui nous accrochent et surtout qui nous enseignent la belle manière de voir les choses en face et de ne pas être agressif pour le plaisir de l'être. C'est comme si l'on vous invite à un voyage à travers les temps, les temps qui ne se copient pas, les temps qui vous retiennent pour une meilleure analyse des anciens temps. C'est le cas de cet entretien accordé par le grand Jean-Marc Guillou, au Jeune Afrique qui n'est pas seulement un amoureux de la balle ronde mais aussi un expert. Il parle du Mondial, plutôt de la participation africaine à ce rendez-vous des professionnels de la balle ronde. Il explique dans ses déclarations, pourquoi a-t-on cru une seconde à la réussite des Africains lors de ce Mondial écoulé ? «Je pensais, disait-il au vu de la Can 2010, qu'il y aurait un plus grand écart entre les finalistes africains et leurs concurrents des autres continents. En fin de compte, ils ne leur sont pas inférieurs. Les finalistes du Mondial-2006, l'Italie et la France ne leur sont pas supérieurs. On peut espérer qu'une équipe africaine devienne un jour championne du monde, mais on a l'impression qu'elle le sera par défaut, plus à cause du manque de qualité des autres.» Voilà ce qui est dit. Sauf qu'aujourd'hui encore, il y a des super stars qui continuent à taper fort sur ces équipes africaines comme si elles le faisaient sur le ballon. Pourtant rien ne peut contredire les faits vécus tout au long de cette Coupe du Monde. Avons-nous réellement découvert de super équipes ? Non ! Le score fait-il une équipe ? Non ! Alors pourquoi sommes nous encore obnubilés par ces grandes équipes lesquelles, en fait, n'ont rien d'extraordinaire. Le cas de l'équipe de France suffit à lui seul pour expliquer ce qui ne pouvait se réaliser là bas en Afrique du Sud par une équipe partie pour une fausse et décevante démonstration. Pourtant, les Africains n'ont pas été ridicules au contraire, ils avaient affronté ces équipes avec la culture qui leur est sienne avec de très nombreux supporters. Voici la première question posée à Guillou : comment analyser le comportement des six représentants africains ? La réponse : «L'Afrique du Sud m'a étonné. Elle a frôlé la qualification pour le second tour et terminé à égalité de points avec le Mexique qui a présenté une bonne équipe.» C'est une impression qui devrait servir de repère. Elle mériterait d'être retenue non seulement pour cette équipe de l'AS mais aussi aux autres équipes africaines aux joueurs, dirigeants et entraîneurs de tirer profit de l'effet Coupe du Monde. Evoquant les Super Eagles du Nigeria, ils salut leurs performances, «ils ont été nettement dominés par l'Argentine. Le Nigeria, avec le Cameroun, a été dans les années 1990-2000 l'un des géants de l'Afrique. Il avait remporté la Can-1994, les jeux Olympiques 1996 et franchi le premier tour du Mondial-1994 et s'était aussi illustré dans les championnats du monde des jeunes, même si le doute persiste sur l'âge réel des cadets et juniors nigérians. Ce pays possède le plus fort potentiel pour constituer une sélection nationale de top niveau.» Mais, comme leurs autres frères africains, les Nigérians ont perdu leur spontanéité naturelle au profit d'un recours systématique aux grands gabarits, aux «monstres» physiques aux dépens des joueurs subtils et créatifs. Ce constat vaut pour le Cameroun qui a présenté en Afrique du Sud une équipe de costauds, difficiles à désarçonner et seulement deux vrais bons joueurs (Samuel Eto'o et Alexandre Song). Cela a été insuffisant pour produire du jeu, du bon jeu. Et du parcours de l'Algérie ? Sans hésiter, il fait un rapide retour à l'année 1982 pour dire : «La cuvée 2010 a été loin, très loin de rappeler celle de 1982, celle des Salah Assad, Rabah Madjer, Lakhdar Belloumi, Mustapha Dahleb et Ali Fergani. Ils faisaient partie d'une grande équipe qui avait largement le talent pour disputer au moins les quarts de finale du Mondial espagnol, mais qui a été victime de l'entente austro-germanique.» Pour le Ghana, il salue cette jeune équipe, cette sélection 2010 qui est pour lui, la plus compétitive que toutes celles qu'on a vues depuis 1990. D'ailleurs, «elle est parvenue à briser l'anonymat sportif grâce à l'apport de joueurs évoluant en Europe où ils ont été formés. C'est une équipe de circonstance qui n'est pas issue du formidable potentiel algérien. En Angola, lors de la Can-2010, le peu de jeu qu'elle a produit lui a suffi pour atteindre les demi-finales.» (…) «C'est une équipe, je dirai qui a un jeu qu'il qualifie d'ailleurs de Brésiliens de l'Afrique. Les Ghanéens jouent ensemble, ils prennent du plaisir. Ils sont dirigés par un entraîneur qui connaît le foot et qui a certainement coûté au moins trois fois moins cher que les sieurs Pareira, Erikson, Le Guen et Lagerback. La Côte d'Ivoire a été victime du nombre élevé de ses attaquants de qualité : Didier Drogba, Aruna Dindane, Gervinho, Salomon Kalou, Kader Keita et Seydou Doumbia. De ce fait, on a sélectionné des demi catastrophiques, pas du tout à la hauteur de l'emploi, à l'exception de Yaya Touré, et à un degré moindre, de Romaric (qui traîne sept à huit kilos de trop). Les autres milieux sont du niveau de la division Deux française. Comment, dès lors, disputer un tournoi mondial avec un compartiment aussi faible ?» Guillou parle en professionnel, il sait ce qu'il dit et l'exprime à cœur ouvert dans cet entretien notamment sur un volet qui pourrait intéresser plusieurs clubs. Voilà ce qu'il dit à propos des attaquants, «si tu ne disposes pas de bons joueurs dans l'entre-jeu et des défenseurs latéraux qui savent créer le surnombre en attaque et offrir des possibilités d'appel magnifiques (à l'exemple de l'Espagne), tu ne t'imposes pas. La Côte d'Ivoire disposait potentiellement de tels joueurs mais elle a été victime de l'inconstance de ses dirigeants qui ne connaissent pas le foot et choisissent des entraîneurs nuls et bornés et leur demandent simplement de faire un résultat honorable, de ne pas prendre trop de buts. Sans plus.» Et d'ajouter pour être plus précis «alors le Suédois Sven Goran Eriksson a fait jouer l'équipe derrière, comme une vulgaire formation de premier League anglaise. On se regroupe et on attend». Et de souligner encore : «Cet expédient a marché face au Portugal qui, à l'exemple de sa vedette Ronaldo, s'est cassé les dents sur une formation qui a gagné en solidarité du fait de l'absence de Drogba. Celui-ci n'a joué que pour lui. Comme face au Brésil où il s'est planqué avant de resquiller un but. L'équipe, ce n'était pas son problème. Déplorable.» Qui porte la responsabilité de l'échec des Africains ? Les «sorciers blancs» ou leurs employeurs ? Sa réponse sonne comme un message d'une plus haute importance, fort heureusement ce qui suit ne concerne pas notre pays, puisque sur ce plan, l'Algérie a enfin une direction qui sait construire un groupe et lui assurer les moyens indispensables pour la réussite de son programme. Pour Guillou au niveau des Africains «dès lors que tu as de mauvais dirigeants à la tête des fédérations, comme c'est souvent le cas, le football africain n'avance pas. Certains ne font pas preuve de mauvaise volonté mais la majorité brille par son incompétence et par le culte de la politique du ventre. Et l'on se remet à des intermédiaires voraces pour recruter des «techniciens». C'est une vaste fumisterie. Cela dit, cela se passe aussi en Europe. Mais les clubs y sont solides, structurés et font de la formation alors que l'Afrique fait un appel systématique aux expatriés ou à des nationaux nés et formés en Europe. Si demain, on veut qu'une équipe africaine dispute les demi-finales de la Coupe du Monde (l'Afrique dispose d'un potentiel équivalent à celui de l'Amérique du Sud et de l'Europe), il faut qu'elle acquière et consolide une véritable culture du foot, comme en Espagne, en Italie où en Amérique du Sud où je rêve d'ouvrir une académie.» Une interview mais aussi un survole de ce qui domine la vie des équipes africaines. La formation est indispensable mais faut-il encore que l'on fasse confiance aux nôtres, à ceux qui ont une plus large expérience. En dehors de cette formation, il y a l'éducation, le sérieux, le comportement sur le terrain et surtout la défense des couleurs.