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«Ils sont victimes de tout le processus socioculturel de la société»
Boukhedimi à la NR à propos des enfants abandonnés :
Publié dans La Nouvelle République le 23 - 08 - 2010

La NR : Selon les données recueillies auprès du ministère de la Solidarité nationale et de la Famille, le nombre des naissances hors mariage, en Algérie, s'élève à 3 000 par an. Rien qu'en 2009, il a été recensé, 2 275 enfants abandonnés dont 1 236 ont été adoptés localement et 126 ont bénéficié d'une kafala à l'étranger. Sur les 2 275 enfants abandonnés, 430 ont été repris par leurs mères biologiques. Les enfants délaissés sont placés dans des établissements spécialisés qui sont au nombre de 44 répartis sur tout le territoire national.
M. Boukhedimi, pouvez-vous nous commenter ces statistiques ?
Avant de commenter ces données statistiques, il faut essayer de comprendre pourquoi ce phénomène existe dans une société qui a pour base morale la religion islamique, où la maman est très protégée et l'enfant aussi, en somme l'individu est très protégé, au plan de la morale religieuse. Pour moi, quand j'entends qu'il y a 44 établissements d'accueil de ces enfants privés de famille, je trouve cela assez effrayant, cela signifie que ce phénomène se développe.
A-t-on intérêt à développer des établissements spécialisés pour accueillir ces enfants ? Oui, pour l'instant, il faut prendre en charge ces enfants, sinon ils seront dans la rue. Sur le plan social, c'est une protection. Mais est-ce que cela n'aurait pas un impact dangereux : encourager certains vers l'abandon. Autrement dit, on demande à l'Etat de prendre en charge les erreurs de l'individu. Il faut plutôt voir comment freiner ce phénomène de société Construire des établissements est une charge économique très lourde, certes, mais c'est aussi une charge psychologique pour la société, qui est très lourde aussi. Qu'on adopte au plan local 1 236 enfants et qu'on enregistre en 2009, pas moins de 2 275 enfants abandonnés, c'est comme même un chiffre qui paraît infime en rapport à la population algérienne, mais il est important ! Et qu'il y ait 430 enfants repris par leurs mères biologiques, bien que c'est minime, cela veut dire que les gens prennent conscience, peut-être que ces mères célibataires ont su comment résoudre les difficultés qu'elles avaient.
Qu'est-ce qui se passe dans la société algérienne ? Pas moins de
3 0000 naissances hors mariage (mariages qui ne sont pas reconnus par l'état civil mais El- Fatiha, conformément à la loi islamique) mais qui parfois sont reconnus et identifiés, mais comment arrive-t-on à abandonner un enfant ? La pression socioculturelle qui joue un rôle certes négatif à ce niveau, mais elle le joue, sans l'assumer pleinement face à la gravité de l'acte. On va appeler ça les accidents de la jeunesse. Il y a d'autre part des enfants qui vont naître suite à un viol et qui seront soit donnés à une famille qui n'en a pas, soit jetés dans la rue.
Il faut souligner qu'il y a également la période très difficile qu'on a vécue. Cette période a déréglé certains faits surtout au niveau de la société en donnant naissance à des comportements négatifs qui étaient un peu dormants.
Selon toujours la même
source, ce phénomène est
en stagnation ces dix dernières années. Quelle analyse faites- vous de cette stagnation ?
C'est normal qu'il y ait une stagnation de ce phénomène, on appelle ça en psychologie une résistance au changement. La société algérienne refuse cet enfant illégitime. D'ailleurs, il y a un terme très négatif pour les identifier, «bâtards». C'est déjà une identification très négative. Pourquoi ces enfants une fois arrivés dans la société sont-ils rejetés par elle ? Elle ne veut pas de tabous ? Oui, très fort. Et par respect aux traditions, c'est inadmissible. Cet enfant est victime de tout le processus socioculturel d'une société en régression.
Quelles sont les solutions préconisées pour atténuer
ce phénomène ?
Il faut trouver des solutions pour faire en sorte que ce phénomène recule. Mettre en place des textes répressifs (emprisonnement des parents….) ne réglera jamais le problème, au contraire, il faut sensibiliser au maximum les adolescents, et pourquoi ne pas commencer à l'école primaire ?
L'exemple le plus fort et qui a donné de bons résultats, c'est la lutte contre le sida, et ce, à cause des campagnes de sensibilisation lancées par exemple au niveau des universités. Donc, il faut faire de même face au phénomène d'abandon d'enfants. Il est primordial de lancer des actions de sensibilisation et d'information sur ce phénomène. Pourquoi ne pas informer puisque au plan de la religion, nous avons déjà une base, l'existence de textes coraniques en la matière, pouvant servir de base de référence philosophique, morale, éducative et scientifique.
Il est, également, intéressant de sensibiliser les enfants sur «maman comment on vient à la vie ?» Il faut apprendre à nos enfants sur les trois paliers scolaires (primaire, moyen et secondaire), ce que c'est qu'une relation dans un couple légitime, telle décrite par le texte religieux, (il est clair qu'il faudra tenir compte de l'âge de l'enfant et de la teneur du discours), et ce, pour ne pas arriver à ce genre d'accidents où on abandonne l'enfant. On devrait aussi leur expliquer les risques quant à l'abandon d'enfant.
Chaque culture a ses propres paramètres, ses propres repères, les paramètres à nous, c'est la protection de l'enfant. Et la famille se doit d'investir à ce niveau pour protéger l'enfant. Elle se doit de jouer son rôle éducatif. Aussi, les gens du culte doivent contribuer à l'atténuation de ce phénomène. Donc, ces enfants qui naissent suite à un viol, ou on dira plutôt suite à une erreur de jeunesse, erreur parce que la société n'a pas contribué à l'information sur la relation entre l'homme et la femme. Est-ce que l'enfant est responsable ? Non ! D'où la société se doit de prendre en charge cet enfant et lui offrir une vie plus au moins normale et pleine d'amour.
M. Boukhedimi, en tant
que psychologue, parlez-nous du vécu et du développement psychologique de ces enfants ?
De manière générale, les enfants délaissés souffrent de manque d'amour et d'affection, d'où une répercussion sur leur apprentissage au niveau de l'école et au niveau même de la famille.
N'oublions pas que ce sont des enfants qui vont être sevrés très précocement et puis seront rejetés, d'où, pas d'affection et même pas de protection sur le plan santé, en somme, ces enfants vont être physiquement faibles mais aussi psychiquement. C'est à 2 ans, 2 ans et demi, selon les spécialistes de l'enfant, que l'être humain met en place les bases de sa personnalité. C'est une période assez fragile pour l'être humain qui malheureusement se répercutera sur tout le processus de développement de l'individu, tant psychologique que physique, on dit qu'il sera de personnalité «faible ou forte» selon la mise en place de la personnalité et du climat dans lequel cela s'est réalisé Oui, il est sûr que dans des établissements spécialisés, il y a des psychologues, etc., mais personne ne peut remplacer la maman, c'est quasiment impossible. On a beau tout faire pour leur donner une belle chambre pleine de jouets, avoir un papa et une maman adoptifs gentils, car eux même ont été privés d'enfants, l'affection parentale reste irremplaçable. Il faut souligner que la société est intolérante envers les enfants ayant été adoptés. Ces enfants sont vexés par la société, donc ils vont se sentir diminués.
Quand les pratiques affectives et sociales font défaut chez l'enfant (se jeter sur la maman, échanger des caresses…), cela se reflétera sur ses comportements et sa personnalité. L'enfant quand quelque chose lui manque réagit par la violence.
Si la protection sociale est bien garantie aux enfants privés de famille, bien que cela reste presque irréalisable, car l'affection parentale est irremplaçable, ces enfants peuvent-ils s'intégrer facilement dans la société? Autrement dit, ces enfants deviendront-ils plus tard des adultes équilibrés et responsables ?
Ces personnes auront des difficultés à s'intégrer dans la société. Elles auront aussi des comportements incompréhensibles. Mais il faut les aider à s'en sortir, il faut voir leur parcours d'enfant jusqu'à celui d'adulte, en tant qu'enfant abandonné. Elles en voudront beaucoup à la société qui les a rejetées. D'où leur intégration qui même si elle se fera, elle le fera difficilement. Elles pourront prétendre à des postes supérieurs dans la société, mais cependant elles devront évoluer dans des groupes sociaux assez équilibrés et sains où le mensonge est banni. Cependant, elles peuvent occuper des fonctions supérieures, elles feront tout pour démontrer leur aptitude à réaliser, elles sont très prévenantes, très attentives, et assez douces, bien sûr tout cela est à considérer avec un milieu favorable et positif pour elles. D'autres, par contre, risquent des dérapages assez graves, car elles n'ont pas pu trouver des repères, où s'identifier, elles sont restées hélas dans le rejet
Concernant les enfants abandonnés handicapés ou malades, selon vous quel est leur sort, puisqu'ils sont écartés par les familles qui veulent adopter ?
Bien sûr qu'ils existent, suite à une malformation congénitale ou une difficulté au niveau de la grossesse, comme ils peuvent être porteurs d'un problème génétique et donc arriver à un handicap quel qu'il soit. Je dis qu'ils ont le droit d'exister comme les autres, ils ont le droit d'avoir une vie affective et sociale. En règle générale, quand on attend un bébé, on le veut en bonne santé et l'être humain n'admet jamais qu'il ait un enfant handicapé. Il faut être très fort de caractère pour accepter d'avoir un bébé malformé.
Idem pour les parents adoptifs, ils choisissent toujours un enfant en bonne santé, mignon, etc. L'enfant handicapé est, presque toujours rejeté et c'est malheureux d'en parler, cela se vit dans l'adoption, dans la couleur de la peau, de la chevelure, etc. L'adoption est très sélective et parfois sournoise. Un enfant adopté (abandonné) est à la merci de celui qui l'adopte, sous la couverture de la bonne action.
Comment peut-on mettre
ces enfants dans une ambiance ramadhanesque ?
Même si on les met dans une ambiance ramadhanesque, par exemple les confier à une famille pendant tout le mois de Ramadhan, ça va augmenter leur douleur. Est-ce qu'on a réglé le problème en leur faisant vivre un mois dans une ambiance merveilleuse et hop ! Il reviendra à son premier milieu et va être doublement malheureux.
Non, le vrai problème c'est de voir comment s'appuyer sur une analyse au niveau de notre société sur le plan coutumes, traditions, culture et morale religieuse, pour trouver tous les appuis possibles et impossibles qui contribueraient à une information et une sensibilisation de nos très jeunes enfants à faire attention à ce genre de comportements asociaux. Tout le monde devrait y contribuer (l'école, la société, la famille, les médias) pour que cela diminue.
Mais là c'est le refus de la société. Je pense que pour la maman qui a porté 9 mois son bébé et qu'elle l'abandonne, ça ne doit pas être facile. C'est la pression de la société qui amène cette maman à cette extrémité. Nous devons assumer les erreurs de nos enfants et nous devons, aussi, discuter avec eux. Il n'y a pas d'enfants méchants, d'enfants sauvages, mais, malheureusement, il y a des adultes méchants. Il y a encore des traditions très lourdes à gérer et qui n'ont rien à voir ni avec la morale religieuse ni avec la société algérienne. Enfin, j'espère que cet entretien amènera de la critique et changera les choses pour le bien de ces enfants.
Entretien réalisé par


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