Woodson et sa «Semaine de l'histoire des Noirs» (inaugurée en 1926) pour faire partie de l'histoire afro-américaine. Et il a à nouveau marqué l'histoire cette année, lorsque Precious a été nominé pour l'Oscar du meilleur film. C'est la première fois qu'un film réalisé par un Afro-Américain est nominé pour la récompense suprême. Le réalisateur, Lee Daniels, marche dans les pas de William D. Foster et Oscar Micheaux. On dit souvent qu'Oscar Micheaux est le père des cinéastes afro-américain. Mais William D. Foster a commencé à produire ses films dix ans avant que Micheaux ne tourne sa première œuvre. En 1910, Foster, alors journaliste sportif au Chicago Defender, crée la Foster Photoplay Company : le premier studio de cinéma afro-américain. (Foster connaissait le show-business; il avait été l'attaché de presse de Bert Williams et George Walker, deux stars du vaudeville). En 1912, Foster tourne The Railroad Porter. Le film rend hommage aux «Keystone Kops» et à leurs scènes de course-poursuites burlesques ; on peut également y voir un début de réflexion sur la représentation — systématiquement dégradante — qu'offrait des Afro-Américains le cinéma d'alors. Stéréotypes raciaux Trois ans plus tard, D. W. Griffith tourne The Birth of a Nation (1915), une fable historique racontant les périodes ayant précédé et suivi la Guerre de Sécession; les stéréotypes raciaux véhiculés par ce film ont encore cours dans l'Amérique d'aujourd'hui. On y voit des législateurs noirs, peu après la guerre : ils sont pieds nus, mangent du poulet frit, sifflent du whiskey, ne cachent pas leur attirance pour les femmes blanches et finissent par faire voter une loi stipulant que tout législateur doit porter des chaussures. Ajoutez une mamma acariâtre, un mulâtre au destin tragique, un jeune meurtrier, des violeurs noirs, un lynchage... et vous obtiendrez ce qui demeure, honte à nous, l'un des films les plus respectés de l'histoire. En 1916, deux frères, George Perry Johnson et Noble Johnson (un acteur sous contrat chez Universal Pictures), décident de fonder la Lincoln Motion Picture Company. C'est une réponse à The Birth of a Nation. Ils tournent alors plusieurs mélodrames destinés à la classe moyenne, comme The Realisation of a Negro's Ambition (1916), The Trooper of Troop K (1917), sans oublier leur film le plus célèbre, The Birth of a Race (1918). Dans les films des frères Johnson, on peut voir des soldats, des familles, des héros afro-américains, autant d'entités jusqu'alors presque absentes du grand écran. Oscar Micheaux leur emboîte le pas avec The Homesteader (1919), et devient vite le réalisateur le plus prolifique de son époque. Il tourne plus de quarante films, notamment Within Our Gates (1920), Body and Soul (1925), avec la star Paul Robeson, et God's Step Children (1938). Les œuvres de Micheaux explorent les problèmes de son temps : les Afro-Américains à peau claire qui tentent de se faire passer pour des Blancs, les lynchages, la religion, les comportements criminels. Il demeure indépendant jusqu'à la faillite, en 1928 ; il signe ensuite avec des investisseurs blancs pour fonder la Micheaux Film Company. D'aucuns pensent que cette décision affectera le ton et la réalisation du reste de son œuvre. Les films de Micheaux furent au centre de plusieurs controverses. Certains critiques de cinéma afro-américains n'aimaient pas sa façon de représenter les Noirs ; ses œuvres véhiculaient selon eux les mêmes stéréotypes raciaux que les grandes productions de l'époque. On ne trouve rien de tout cela dans les œuvres d'Eloise Gist, une cinéaste afro-américaine qui réalisa plusieurs films religieux avec l'aide de son mari, James. Gist était originaire de Washington. Elle se baladait avec sa caméra ; n'employait pas d'acteurs, chaque rôle étant interprété par une «vraie personne». Ses films à morale (Hellbound Train et Verdict : Not Guilty) sortent en salle en 1930, avec le soutien inconditionnel de la NAACP [National Association for the Advancement of Colored People. Les premiers réalisateurs noirs voulaient montrer les Afro-Américains dans toute leur humanité ; les histoires et les thèmes choisis avaient souvent pour but de dénoncer les préjugés racistes en vigueur. Aujourd'hui, la plupart de ces œuvres sont difficiles à trouver ; l'image et le son sont souvent de mauvaise qualité. Et pour cause, la tâche de ces cinéastes n'était pas des plus simples : il leur fallait — littéralement — créer un film à partir de rien. L'Ecole des réalisateurs noirs Le cinéma afro-américain de la première heure est un élément important de la culture américaine : il a mis en scène notre histoire, nos histoires ; il leur a donné vie. Sans le mouvement des réalisateurs noirs indépendants, il y aurait bien peu de films afro-américains aujourd'hui. Où en serait le cinéma si l'Ecole des réalisateurs noirs de Los Angeles n'avait pas existé ? Ces cinéastes des années 1970 (Haile Gerima, Charles Burnett, Larry Clark, Pamela Jones, Jamaa Fanaka, Julie Dash, Billy Woodberry, Alile Sharon Larkin) sont tous passés par l'Université de Los Angeles. Leurs films offrent une grille de lecture intellectuelle et culturelle de l'histoire afro-américaine ; ils associent représentations de la vie quotidienne et combats politiques. Certains pensent que Sweet Sweetback's Baadasssss Song (Melvin Van Peebles, 1971) était révolutionnaire ; d'autres ont pu affirmer qu'il relevait plutôt de la pornographie. Van Peebles a réalisé ce film culte pour 500 000 dollars ; il en a rapporté 10 millions. Sans Sweet Sweetback, Gordon Parks Jr., Ossie Davis, et bon nombre d'autres réalisateurs noirs n'auraient jamais pu se faire une place pendant l'époque de la «blaxpoitation». Cette période controversée a (dans ses débuts, du moins) donné leur chance à plusieurs acteurs, cinéastes et musiciens afro-américains. C'est aussi pendant la blaxpoitation que l'un des films les plus profonds de l'époque a fait son apparition : The Spook Who Sat by the Door, d'Ivan Dixon et de Sam Greenlee (1973). Le film donnait une voix et une image à l'idéologie du black power, alors en pleine évolution ; chronique décomplexée d'une révolte en gestation, il s'empare, littéralement, des outils du maître pour démolir la demeure du maître. [Référence à un discours de la poétesse afro-américaine Audre Lorde : «On ne démolira jamais la maison du maître avec les outils du maître.» ] Il y a peu encore, la plupart des Américains ne pensaient pas voir un président noir à la tête des Etats-Unis de leur vivant. Mais ce qui demeurait inconcevable pour certains existait déjà dans l'imaginaire des réalisateurs noirs. Dans The Man (1972), James Earl Jones est Douglass Dilman, un Afro-Américain devenu président des Etats-Unis après la mort soudaine du chef de l'Etat et du président de la Chambre des représentants (le vice-président est quant à lui trop malade pour assurer la fonction). Jones joue à merveille, et nous transporte au cœur de cette lutte pour le pouvoir et l'identité ; un film culte, qui met à nu le rôle complexe que peuvent jouer classe sociale et couleur de peau dans le Bureau ovale. Cinéma social Dans l'histoire afro-américaine, le cinéma noir et les problèmes sociaux sont souvent allés de pair. Les controverses qui entourent les films de Tyler Perry et de Lee Daniels trouvent souvent leur origine dans les problèmes de classe ; à son époque, Oscar Micheaux en avait déjà fait l'expérience. Les cinéastes noirs ont brisé nombre de barrières — mais il en reste beaucoup à abattre. Cheryl Boone Isaacs est par exemple la seule Afro-Américaine siégeant au comité directeur de l'Academy of Motion Pictures Arts and Sciences. Certains cinéastes noirs, Antoine Fuqua, F. Gary Gray..., se sont certes essayés à plusieurs genres différents (films d'actions, thrillers), mais des réalisatrices comme Kasi Lemmons (Eve's Bayou) et Euzhan Placy (A Dry White Season) n'ont, jusqu'ici, pas eu cette chance. Le cinéma afro-américain a toujours imaginé une réalité dont nous ne pouvions même pas rêver. Maintenant que la réalité rattrape nos films, il sera intéressant de suivre leur évolution (en particulier en ce qui concerne le cinéma indépendant). Lorsque Zoe Saldana, Laz Alonso et CCH Pounder sont à l'affiche d'un film comme Avatar, le concept même de «cinéma noir» se doit d'être redéfini. Le cinéma afro-américain évolue et va continuer d'évoluer. Il n'a pas vu le jour avec Tyler Perry, et il existera sans lui. Il n'y aurait jamais eu de Denzel Washington sans Sidney Poitier; et il n'y aurait pas eu de Sidney Poitier sans Paul Robeson. Pas de Hale Berry sans Dorothy Dandridge, pas de Dorothy Dandridge sans Lena Horne, et de Lena Horne sans Fredi Washington. Pas de Hughes Brothers sans Johnson Brothers; pas de Lee Daniels sans Spike Lee. Pas de Gina Prince-Bythewood sans Darnell Martin. Et il n'y aurait pas non plus de Tyler Perry Company si la New Millenium Studios n'avait pas existé; pas eu de New Millenium Studios sans Third World Cinema. Comme dans la plupart des secteurs d'activité, les Afro-Américains ont durablement influencé le cinéma des Etats-Unis — et ce sur le plan narratif, stylistique, historique, thématique, économique et esthétique. Certains parlent de la mauvaise qualité de l'image et du son (surtout lorsqu'il s'agit des films afro-américains de la première heure); en ce qui me concerne, je préfère parler d'une esthétique de la survie — faire de son mieux avec ce qu'on a. Maintenant que nous avons un siècle de films à notre actif, nous ne pouvons que nous améliorer. Les films afro-américains vont peut-être changer ; mais quoi qu'il arrive, ils ne cesseront jamais de remettre la société en question. Alors que nous entrons dans une nouvelle décennie, et que tant d'Américains semblent penser que le concept de race perd peu à peu de son importance, on pourrait aisément oublier la longue histoire de ce cinéma, oublier qu'il a donné une voix et une image aux problèmes, aux interrogations de notre communauté. Le cinéma noir, c'est l'histoire des Noirs, et c'est notre futur.