A partir du 5 juillet, les quatre salles de cinéma de l'Office Riadh El Feth vont consacrer l'essentiel de leur programmation à la redécouverte du cinéma africain. Les organisateurs ont eu la riche idée d'élargir la rétrospective du cinéma continental au cinéma afro-américain et au cinéma au afro-brésilien. Avant de revisiter le seul pays qui dispose d'une industrie cinématographique et audiovisuelle du continent capable de produire des films de manière autonome, l'Afrique du Sud, le boom du film vidéo au Nigeria, ce Nollywood africain ou la réussite du cinéma marocain qui offre aujourd'hui un des rares exemples de cinématographie dynamique sur le contient noir africain, nous allons consacrer un focus au cinéma noir américain. «Le Noir américain, ce n'est ni une couleur,ni une culture, ni une différence.le Noir américain est avant tout un Américain» (Melvin Van Peebles, New York, 1987).Né de la recherche d'une identité culturelle, le cinéma noir américain a du mal à s'afficher comme genre, à l'instar de la musique, du théâtre, de la littérature noire. Son évolution a autant de phases d'apparition que d'éclipses.C'est The Birth of a Race (1918), un film emblématique, qui répondait au trop célèbre La Naissance d'une Nation de D. W. Griffith, qui marque la naissance du cinéma noir américain, à la recherche de ses racines africaines. A l'origine d'une durée de 3 heures, The Birth of a Race a été projeté pour la première fois en 1918 au théâtre de Chicago. Ce n'était certainement pas le film qu'avait rêvé son réalisateur E. J. Scott et ce n'est certainement pas la réponse espérée aux calomnies racistes du film de David Wark Griffith, La naissance d'une nation (1915). Aucune référence à l'esclavage Ce qui est curieux dans le film tel qu'on peut le voir aujourd'hui, et qui ne dure plus qu'une heure environ, c'est qu'il ne contient aucune référence à l'esclavage ni à la guerre de Sécession. Si l'on considère que la naissance du «cinéma noir» comme genre est étroitement liée à la sortie de The Birth of a Race, ces lacunes soulignent à quel point l'histoire des Noirs américains est traitée de façon cavalière par le cinéma, et quelles frustrations ces derniers doivent éprouver devant leur propre incapacité à en imposer une autre version. Et pourtant, le prospectus du film de E. J. Scott, Le père du film indépendant noir, précisait que le thème du film devait rester «l'histoire de l'émancipation de la race noire de l'esclavage à la liberté».Il faut néanmoins souligner que cette version tronquée ne montre pas, contrairement au film de Griffith, des blancs au visage noirci dans des rôles de nègres et n'exhibe aucun stéréotype dégradant ! Par ailleurs, cette expérience est à l'origine d'un cinéma alternatif développé par des réalisateurs noirs, parfois appelé «Race Cinema», et s'adressant au public noir. Certains films produits par la Lincoln Company, qui sont faits pour offrir au public noir des images plus proches de la réalité de sa vie que celles qu'il pouvait attendre du cinéma hollywoodien, portaient des titres qui soulignaient clairement l'objectif. Exemple The Realization of Negro's Ambition, By right of birth (Par droit de naissance, 1920), etc. En 1918, il arrivait que l'on voie dans les films hollywoodiens des Noirs voleurs et lubriques revêtus de l'uniforme yankee, mais dans cette deuxième décennie du siècle, on aurait vu un soldat noir dans la cavalerie américaine combattant pour son pays durant la guerre hispano-américaine. Où aurait-on vu, en 1920, une héroïne noire entrer en possession d'un héritage «par droit de naissance», sinon que dans les films de la Lincoln Company ? Le passage du cinéma muet au parlant fut une épreuve difficile pour le cinéma en général, à cause de tous les nouveaux problèmes techniques qu'il posait. Par ailleurs, l'année 1929, celle du krach, fut catastrophique pour les petites entreprises. Mais la transition fut tout particulièrement périlleuse pour les cinéastes noirs indépendants. Les acteurs professionnels ou non devaient dire des textes, et il fallait plus de temps pour répéter et tourner. La fin de l'oeuvre de Micheaux C'était la fin de l'œuvre de Micheaux, scénariste, réalisateur et président de la Micheaux Book and Film. De 1919 à 1948, il produisit quarante films environ et survécut même à la dépression ! Certaines de ses œuvres étaient marquées par une dénonciation vigoureuse du Ku Klux Klan. Il laissa entre autres films en 1924 Body and Soul qui avait pour acteur principal Paul Robeson dont c'était le premier film. Hollywood profita de la conjoncture et occupa le terrain. La MGM lance Lena Horne dans Cabin in The Sky en 1943. La Fox fit tourner Bill Robinson dans Stormy Weather. Ces deux comédies musicales tournées par des compagnies hollywoodiennes, entièrement jouées par des Noirs, obtinrent un énorme succès. Aucun des indépendants noirs ou blancs ne pouvait sérieusement faire face à la concurrence de ces «majors». Politiquement et socialement, les années 1950, marquées par un raidissement de la société américaine dû à la guerre froide et au maccarthysme, ne furent pas propices aux Noirs, même si elles virent les débuts du Mouvement des droits civiques après la décision de la Cour suprême, en 1954, d'interdire la ségrégation raciale dans les écoles publiques. Les changements n'intervinrent que très lentement toutefois, et n'allèrent pas sans combats très durs. Le «race film» disparut des écrans, tandis que Hollywood restait presque entièrement fermé aux Noirs intéressés par la production. Le climat social et politique allait connaître d'énormes bouleversements dans le pays dans les années 1960. Soucieux de faire baisser la température des ghettos, l'establishment américain commença à accorder son soutien financier à quelques projets socioculturels en faveur des Noirs. C'est dans cette période que naquit l'émission TV «Black journal» (1968) de William Greaves et Clair Bourne, qui fut également associé à cette production de la télévision publique (PBS) à destination du public noir. Elle eut une belle longévité. La liste des documentaires et reportages qu'elle a laissés est particulièrement impressionnante. Bourne comme Greaves sont considérés comme les précurseurs du mouvement moderne des cinéastes noirs. L'un d'entre eux, Melvin van Peebles, essaya de forcer le bastion hollywoodien au moment où Sidney Poitier était devenu le «héros intégrationniste» de l'Amérique. Tout comme Greaves, il voulait être derrière la caméra et contrôler toute la production de ses films et dut pour cela d'abord quitter son pays. Melvin van Peebles s'exila en France où il passa dix ans. Grâce au système de soutien financier français, il réalisa son premier film, d'après son roman La permission (1967). Il s'agit de l'histoire d'un jeune soldat noir en permission à Paris. Après son expérience française, il fit ses débuts en 1970 à Hollywood avec Watermelon man pour Columbia. Il fit surtout événement avec son film indépendant Sweet sweet back's en 1971. Un événement marquant dans l'histoire du cinéma noir. C'est le même auteur qui allait des années plus tard rendre hommage à travers un grand film à Malcom X. La «blackexploitation» Les années 1970 furent marquées par la découverte incrédule du public noir par l'industrie hollywoodienne. L'existence de ce public était déjà bien connue, sans être reconnue, dans les années 1940. Le succès de Sweet back prouva qu'on pouvait gagner de l'argent avec des films qui exploitaient les aspects de la vie des Noirs, si déformés fussent-ils. D'où la naissance de la «Blaxploitation». Même le film de Melvin van Peebles, Sweet sweet back, fut catalogué «Blaxploitation» ! Il est vrai que l'antihéros du film reprenait l'image racoleuse du détective macho et du proxénète arrivé ! Mais curieusement, on accorda peu d'attention à la façon dont van Peebles avait, pour lui-même, réalisé le rêve américain. Des programmes de «Black studies» firent leur apparition dans les universités américaines, entraînant un renouveau d'intérêt pour la culture noire. Des domaines d'étude qui étaient jusqu'alors l'apanage des Blancs s'ouvraient progressivement aux Noirs, à commencer par les cours de cinéma. Des réalisateurs issus de Ucla, tels que Hailé Gerima, Charles Burnett, Larry Clarke, Julie Dash, et de New York, tels Bill Gun, Kathleen Collins, Woodie King, allaient représenter le nouveau cinéma noir, ayant en commun «la résistance farouche à l'idéologie cinématographique de Hollywood» et la recherche d'une identité culturelle. Tout en reconnaissant l'originalité de chaque réalisateur, le critique Clyde Taylor relève chez eux une base commune et des «principes esthétiques fondamentaux». Leur cinéma, dit-il, se caractérise par le souci de montrer la réalité, sa relation à la tradition orale afro-américaine et son articulation à la musique noire. En effet, ces films reflètent une conscience aiguë de la réalité de la vie noire, y compris quand elle apparaît dans le contexte d'une fiction. En recherchant sa voix propre et un langage cinématographie qui échappe aux stéréotypes omniprésents que cherche à lui imposer le cinéma dominant, le nouveau cinéma noir «explore de façon productive le langage encore inconnu des Noirs américains».