,A la veille de l'anniversaire de l'héroïque Révolution, c'est sans doute un devoir de rendre un hommage à la mémoire des glorieux martyrs parmi lesquels certains restent malheureusement ignorés par la majorité de la population. Quand on revisite le parcours de quelques uns, on se sent ému par autant d'audace et de cran. C'est l'image que renvoie Rachid Kerouaz, un martyr oublié. Effectivement, la famille de ce héros n'a jamais bénéficié du moindre avantage. Sa fille unique qui vit actuellement à Alger n'a pas fait aboutir son dossier de pension. Pourtant, le père martyr s'est fait connaître sur la scène du militantisme révolutionnaire tout de suite après les massacres du 8 mai 1945 en compagnie de sa jeune soeur Zahia. Bien avant le 1er novembre 1954, date du déclenchement de la révolution, Rachid et sa sœur étaient dans le collimateur de la police puisque, emblème national en main, ils avaient été des acteurs de la manifestation ayant précédé les massacres de 1945. Repérée par la police, Zahia va être envoyée à Arris sur ordre de Mostefa Benboulaid qui la mettra à l'abri. Après son retour à Constantine, elle va accomplir deux actions incroyables. La première consiste en la publication d'un manuscrit incendiaire par le journal Al Manar , (dont nous détenons une copie). Un appel qui lui vaudra les témoignages de reconnaissance de la part des érudits et des Oulama de l'époque à l'image du cheikh Mohamed El-Bachir El-Ibrahimi. A Constantine, ce sont d'autres personnalités comme Larbi Tebessi, Hassene Boudjenana ou Saddek Hamani qui vont prendre en charge cette jeune fille. Cela lui permettra de suivre des études à l'école franco-musulmane sur les mêmes bancs que madame Zhor Ounissi. Le second coup d'éclat sera réalisé quand, vêtue d'une robe aux couleurs nationales, elle fera irruption sur la scène du théâtre de Constantine. Cette incursion lui permettra de prononcer un discours incendiaire contre les colonisateurs sous les yeux à la fois ébahis et admiratifs de l'assistance. Evidemment, elle sera immédiatement arrêtée avec son père et son frère. Ce dernier sera torturé et condamné à trois mois de prison. Dès novembre 1954, les deux enfants de la famille Kerouaz vont mener un parcours de militantisme actif dans l'organisation des fidayine et bien entendu dans une totale clandestinité. Malheureusement, Rachid sera une nouvelle fois arrêté et il sera interné au centre de torture de la cité Améziane (aujourd'hui cité des martyrs) jusqu'à son exécution par les barbares du sinistre Maurice Papon. Il subira les tortures les plus atroces. Les témoignages de ses compagnons disent que ses veines avaient été coupées au couteau. Il a été ensuite attaché à un arbre et livré aux chiens jusqu'à ce qu'il soit complètement déchiqueté. Une barbarie inouïe. Zahia, de son côté, va continuer son combat. C'est dans une des cachettes de son réseau que va se réfugier Mostefa Benboulaid, après sa fuite historique de la prison du Coudiat. C'est également dans ces mêmes cachettes qui vont être hébergées de marquantes personnalités de la révolution comme Mohamed Boudiaf, Abdelhamid Mehri. Malgré la féroce répression policière, elle parviendra à préserver sa vie sans cesser son activité militante et ce, jusqu'à l'indépendance. Elle sera alors recrutée en qualité d'enseignante avant de bénéficier d'un seul avantage, puisque, tout comme la famille de son frère martyr, elle n'a jamais bénéficié de la moindre pension. Nommée directrice d'une maison de l'enfance, elle y exercera jusqu'à sa mise à la retraite. «J'ai été au service de ma patrie et c'est le choix de ma dignité que j'assume avec fierté», dit-elle. Il reste cependant que les autorités locales n'ont nullement le droit de l'ignorer comme elles le font depuis toujours. Quelquefois, elle observe avec du recul les marques de respect dont bénéficient beaucoup d'autres qu'elle connaît parfaitement, sans jamais avoir l'idée de les contester. Visiblement, elle n'a pas l'intention de céder à la torture des ans. A 74 ans, elle demeure lucide et mérite le respect de ses compagnons de lutte, à l'image de Mme Fadhéla Mana grâce à laquelle cet entretien a été possible. Une autre militante dont le parcours mérite lui aussi d'être «dépoussiéré». Le seul regret est qu'il aurait été plus convenable que le martyre de son défunt frère soit autrement considéré.