Imaginez, en accompagnement, du hip-hop saccadé, des clips sur des bandes de jeunes Noirs portant des armes à feu, traînant dans des décors urbains et ayant l'air effrayant. Imaginez le zoom et un gros plan sur une épaule tatouée révélant le message suivant : «Casseur pour la vie». Alors que l'animateur, connu de tous, présente l'émission, imaginez que le spécialiste blanc émettant un avis sur les causes premières de la décadence urbaine passe, au niveau national, pour être raciste. C'est le cas de David Duke, un ancien député de la Louisiane et un chef du Ku Klux Klan, mouvement suprémaciste blanc qui, jadis, était très répandu. L'air sérieux et sans aucun humour, l'animateur sollicite l'avis de M. Duke et déclare : «Lorsque les Américains ont assisté aux émeutes de Los Angeles, ça leur a donné une petite idée de leur avenir.» Il se rapportait aux émeutes de 1992 qui ont éclaté suite à l'acquittement de quatre policiers blancs jugés pour avoir tabassé Rodney King, un automobiliste afro-américain. Imaginez des caméras de télévision cherchant à connaître l'opinion de «vrais» Noirs américains. Où vont-ils ? Dans les «cités» bien sûr ! Enfin, y a-t-il un autre endroit où vivent les Noirs ? L'animateur intrépide invite des Américains ordinaires à demander aux spécialistes de leur expliquer la pathologie noire : «Pourquoi leur musique rap rabaisse-t-elle tant la femme ? demande Cynthia, originaire du Wyoming.» Pourquoi y a-t-il tant de Noirs en bas de l'échelle, d'un point de vue économique et universitaire ? s'enquiert Chuck de New York. Cela devient-il un peu inconfortable ? Bien sûr que oui. Demandez à Don Imus, un animateur de radio américain qui a été remercié en 2007 pour avoir tenu des propos racistes et sexistes, ce qu'il pense du fait de s'adonner à la fabrication de stéréotypes raciaux à l'encontre des Noirs. Ajoutez-y les juifs, les catholiques, les homosexuels et d'autres encore. Il vous répondra que ce n'est pas une bonne idée. Maintenant, remplacez les Noirs par des musulmans et vous aurez la manière dont ABC News a traité l'islam et les musulmans lors des derniers shows télévisés de 20/20 et de This Week with Christiane Amanpour. On y voit les clips de rigueur sur les camps d'entraînement de terroristes, sur les avions allant s'encastrer dans les tours jumelles, sur les victimes des prétendus «crimes d'honneur». Parmi les spécialistes musulmans – à l'allure officiellement «islamique»» avec leur longue barbe et leur couvre-chef –, l'un d'eux a déclaré qu'un jour le drapeau de l'islam flotterait sur la Maison-Blanche. Quant aux spécialistes non musulmans – Robert Spencer, un des principaux militants anti-islamistes prenant part à la controverse sur le centre islamique Park51, Ayaan Hirsi Ali, un prolifique auteur anti-islamiste, et Franklin Graham, qui a déclaré que l'islam «est une religion maléfique et perverse» –, ils sont bien connus, voire célèbres, pour répandre la haine de l'islam. Naturellement, ces personnes ont parfaitement souscrit aux caricatures de personnes portant une longue barbe et un couvre-chef blanc, répétant la propagande selon laquelle l'islam exige que ses disciples dominent le peuple. Parmi les musulmans «normaux»» qui étaient interviewés, il y avait une femme qui portait le niquab – un peu moins de 1 % des musulmanes aux Etats-Unis portent le voile intégral et l'abaya –, et des musulmans dans les cités, des lieux comme Dearborn dans le Michigan et Patterson dans le New Jersey. Certains Américains ont-ils peur des Noirs ? Bien sûr. Toutefois, nous ne validons pas ces peurs en permettant qu'elles soient exprimées avec fausse innocence dans les programmes d'informations dignes de ce nom. Pourquoi la peur du musulman est-elle validée à travers la diffusion de programmes télévisés ? Y a-t-il des criminels aux Etats-Unis qui soient afro-américains ? Encore une fois, oui. Mais ils n'apparaissent pas comme étant représentatifs de la communauté dans les honorables programmes d'informations. Pourquoi ces émissions font-elles tout pour trouver les musulmans les plus effrayants, les plus caricaturaux qui soient et les présenter comme les porte-parole des musulmans ? Aucun journaliste qui se respecte ne demanderait à un Noir pris au hasard dans la rue, une mallette à la main, d'expliquer la pathologie du criminel afro-américain sous prétexte qu'il a la même couleur de peau que ce dernier. Pourtant, des journalistes dignes de ce nom ont demandé à des Américains musulmans ordinaires d'expliquer le comportement des criminels fous et des extrémistes, faisant ainsi une association entre les fous et la communauté traditionnelle. Existe-t-il des personnes qui souhaitent avancer toutes sortes de théories racistes au sujet de la criminalité noire, des problèmes de gènes noirs aux faiblesses de la culture noire ? Des tas. Mais les seules fois où elles se montrent dans les programmes d'informations traditionnels, elles apparaissent comme racistes et non comme spécialistes des questions de race. Une discussion nationale sur l'appartenance est en cours. La menace d'autodafé du Coran en Floride et la controverse sur le projet de centre islamique dans le Lower Manhattan font partie des sujets discutés pour savoir si les Etats-Unis peuvent suffisamment se dépasser pour intégrer aussi les musulmans.