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La réalité sociale au pilori
JOURNEES CINEMATOGRAPHIQUES DE CARTHAGE
Publié dans L'Expression le 28 - 10 - 2010

Deux films en compétition officielle, différents tant par la thématique que par la technique de narration et d'esthétique utilisée, ont marqué la journée de lundi.
Si le premier est inspiré d'un fait réel, le secondutilise la fiction pour rendre compte du réel. La Mosquée, de Daoud Ouled Siyad, est un film qui, de prime abord, paraît simple tant son histoire est touchante et interpelle les consciences. Le sujet de ce film n'a rien de complexe. La Mosquée, était un élément du décor de son précédent film En attendant Pasolini, qu'on a oublié de démolir à la fin du tournage. Les gens du village en font un lieu de culte, posant ainsi un problème délicat au propriétaire du terrain qui se retrouve dos au mur devant l'entêtement du village, de l'imam et des autorités locales. Seul contre tous, il tente tant bien que mal de se battre pour récupérer son terrain, sans succès, aidé par un homme sage qui représente la raison. Le film qui ne juge pas prend de la distance au moyen de la dérision pour dénoncer une situation absurde. Un non-sens que Daoud fait passer par le rire. «Avec de l'humour on peut faire passer le message et parler de tout», nous confiera après la projection, le réalisateur qui a choisi de se mettre en scène d'emblée dans son propre film, sans doute pour donner plus de crédibilité à son propos. Aussi, l'interprétation des textes sacrés est au coeur de la problématique de ce long métrage qui filme des petites gens avec affection, sans fioritures, tels que les connaît Daoud, dans la vraie vie. Son film parsemé de larges plans panoramiques entend valoriser la photo, chère à Daoud, par un cadrage qui met en valeur la parole des personnages, peu loquaces, en fait, mais quand ils s'expriment disent des choses à méditer.
L'hypocrisie sociale, religieuse, mais aussi les magouilles de l'administration à des fins électorales, sont aussi épinglées dans ce film. Le film est une somme de situations cocasses qui met en avant le résultat de l'ignorance, entre croyance et superstition. Le public passera un bon moment grâce à lui. La bonhommie de Daoud Ould Siyad a été bien communiquée.
Microphone de l'Egyptien Ahmad Abdallah avec l'acteur fétiche, nouvelle coqueluche des Egyptiens, Khaled Abou Naga, fouette le cinéma égyptien en y apportant carrément du sang neuf, un regard nouveau et surtout une façon complètement différente de faire des films en rupture avec le cinéma à l'eau de rose et classique de Oum El Dounia. Khaled est un Egyptien qui, après des études aux USA, retourne dans son pays, plus précisément à Alexandrie. Par pur hasard, il rencontre des chanteurs de hip-hop et fait la connaissance de deux jeunes qui font un film sur la musique alternative underground et de la scène musicale indépendante en Egypte, ainsi que des jeunes qui s'adonnent à l'art du graffiti. Il décide de les aider à monter un concert. Durant plus de deux heures, le film nous fait pénétrer dans les dédales de cette ville non encore «polluée», nous confiera le réalisateur, et nous fait sentir les souffrances de ces artistes qui vivent de leur passion malgré un quotidien qui ne fait pas de cadeau. Avec un rythme saccadé, un récit souvent accompagné de chants, le film s'apparente à des tranches de clips ou de comédies musicales. En dépit de la torpeur de cette ville, des jeunes, pleins de vie et d'espoir, tentent de remédier à leur vie morose et terne en lui apportant un zeste de couleur, de gaieté et de la saveur musicale sur fond de cris d'alarme et censure. Les mots et la musique comme seule arme de combat...
Microphone donne la parole à une frange de la population qui n'a pas de chance. Ces artistes perdent leur temps au bureau du centre national de la musique auxquels on reproche les textes antinationalistes. Il y a l'ex-copine de Khaled qui décide de partir poursuivre ses études à l'étranger, car ne se sentant étrangère dans son pays. Il y a aussi ce vendeur de cassettes à la sauvette qui se fait tabasser, et puis cette descente de police dans la rue qui empêche des artistes de s'exprimer librement dans un espace public. Autant de malaises sociaux qui font presque dérailler «le Microphone» et le poussent à la rébellion et à quitter le pays. Ce long métrage, quelque peu interminable cependant, a le mérite de dépeindre avec intelligence et force esthétique, l'âpre réalité de la jeunesse arabe, touchant du doigt, notamment le manque de liberté d'expression dans certains de ces pays.
«L'art est quelque chose qui habite la ville. Il ne peut en être dissocié. Khaled est le modèle d'un homme qui redécouvre son pays en y apportant un regard neuf et objectif», nous avouera le réalisateur qui fera remarquer que l'idée initiale du projet était de faire un documentaire, mais ce genre de cinéma n'est jamais diffusé en dehors du cercle festival autres événements commerciaux en Egypte. Le film est inspiré d'un fait divers réel, développé en fiction. Mais la réalité dépasse souvent la fiction. Hélas. Pour des raisons budgétaires, et c'est dommage, les artistes du film n'ont pas pu faire le déplacement aux JCC à Tunis.


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