Ce sont les membres du courant moderniste qui s'engagèrent les premiers dans la Révolution. Puis, par l'intermédiaire de Moufdi Zakaria, un premier contact fut établi entre le cheikh Bayoud et Rebbah Lakhdar, chez Hadj Youb, à Hussein-Dey, près d'Alger. Une autre entrevue suivit, entre le cheikh et Abane, accompagné de Ben Khedda. Tout en conservant quelques réticences, Cheikh Bayoud accepta de contribuer à l'activité du FLN au milieu de ses partisans de la communauté mozabite. Pour mesurer la valeur de ce ralliement, il ne faut pas oublier que l'administration coloniale, à l'époque, entretenait des liens suivis avec le cheikh. L'initiative courageuse d'Abane amena au contraire les Mozabites à multiplier les initiatives pour contribuer au succès de la Révolution : participation financière, fourniture de renseignements, d'armes, de refuges, liaisons, etc. Plus tard, Moufdi Zakaria, Hadjout et bien d'autres militants mozabites furent arrêtés et torturés en raison de leur activité patriotique ; certains, comme Hadjout, en moururent. D'autres ne retrouvèrent la liberté que le jour de l'Indépendance. L'épisode montre, en tout cas, que, loin de vouloir s'imposer par la force, le FLN ne désirait asseoir son autorité que sur la conscience de l'intérêt national. Mon second exemple concerne l'un de ces attentats où la presse du colonialisme a voulu voir le signe de la terreur exercée par le Front sur le peuple algérien. Au début de 1956, un des plus grands mouchards musulmans que l'Algérie ait connus, Zinet, faisait un mal immense au service de la police française. Plusieurs autres mouchards, hommes et femmes, travaillaient sous ses ordres. C'était un vrai truand, que la police faisait régulièrement libérer de prison, où il entrait d'ailleurs assez souvent, mais pour subir de très petites peines, quelle que soit l'importance des délits commis. Même en prison, il faut le dire, il jouait son rôle de mouchard. C'était presque devenu un rite. Dès le premier jour de son emprisonnement, l'administration pénitentiaire lui accordait de nombreux privilèges et, automatiquement, le titre de «prévôt général de la prison». Même les surveillants avaient peur d'être dénoncés par lui et le craignaient. Conscient de la malfaisance de cet homme, évidemment irrécupérable, la direction du FLN décida son élimination. Comme son quartier général était à Maison-Carrée, ce sont des militants de cette localité qui reçurent mission de l'abattre. Un groupe de trois fut désigné. Le même jour, avec le même revolver, ils devaient abattre Zinet et un autre mouchard, presque aussi dangereux. Le jeune militant chargé de l'exécution avait moins de vingt ans et n'avait encore jamais tiré un coup de feu. Mais, s'étant porté volontaire, il demanda qu'on lui explique le maniement de l'arme. Un responsable s'en chargea : la balle mise dans le canon, il suffirait d'appuyer sur la détente. Assisté de ses deux camarades, il se dirige donc vers l'endroit où avait été repéré Zinet. Celui-ci sort d'un café et se dirige vers une gargote située en face, à une vingtaine de mètres. A l'entrée, le patron est assis à califourchon sur une chaise. Zinet s'arrête pour lui serrer la main et échanger quelques mots. Comment naquit l'hymne national algérien A propos des Mozabites, on peut raconter l'histoire, jusqu'ici inédite, de l'hymne national algérien. C'est en mai 1955, au cours d'une réunion chez Rebbah Lakhdar, rue Hélène-Boucher à Alger, qu'Abane décida de «contacter» des poètes et des écrivains pour composer un projet d'hymne national. Deux jours plus tard, Rebbah et Ben Khedda rencontrent par hasard le poète Moufdi Zakaria, originaire de Mzab. Ils lui communiquent la suggestion d'Abane. Et Zakaria s'inquiète de l'organisation qu'ils représentent : FLN ou MNA ? Il ne veut pas entendre parler de Messali, explique-t-il, en raison des exactions que commettent ses partisans sur la communauté mozabite. Rebbah et Ben Khedda précisent qu'il s'agit du Front, lequel s'apprête précisément à briser de telles provocations. Zakaria, alors, accepte. Il décide d'adhérer au FLN et de commencer sans tarder un travail d'explication politique et de recrutement au sein de la communauté mozabite. Il s'engage, d'autre part, à fournir un projet d'hymne pour le lendemain matin. Il tint parole et, dès le lendemain, remet un texte complet. D'autres projets avaient déjà été soumis. Mais le sien est jugé le meilleur. Adopté aussitôt, il est devenu, depuis 1962, l'hymne officiel de l'Algérie indépendante. Encore faut-il, sur le texte, composer la musique. Pour des raisons de sécurité, il décide de réaliser ce travail à Tunis mais il préfère, pour la même raison, ne pas emporter le texte avec lui. Par chance, à ce moment-là, l'équipe de course à pied du Mouloudia, club algérois, doit se rendre à Tunis pour participer aux championnats d'Afrique du Nord. Le document est remis, sous enveloppe, à l'un des coureurs à qui l'on indique simplement que quelqu'un viendra le lui demander à Tunis. Zakaria, séparément, part et se rend, donc, à Tunis, réceptionner son texte et réaliser la composition musicale. L'hymne est enregistré sur bande magnétique et envoyé à Alger. La musique est excellente, mais le chœur est composé de voix presque enfantines qui ne conviennent guère à un chant révolutionnaire. Pour résoudre le problème, contact est pris avec le grand comédien Mohamed Touri, déjà membre du Front. Le matériel d'enregistrement est transporté chez Moufdi Zakaria, rue Cambon, à Kouba. Zakaria a amené une dizaine de chanteurs, hommes et femmes de Radio-Alger et un enregistrement excellent est réalisé1. Reste à expédier l'hymne dans les maquis, les pays arabes et d'autres pays étrangers. Mais pour cela, il faut enregistrer sur disque. A l'époque, il était beaucoup plus facile de se procurer un tourne-disque qu'un magnétophone.