Homme de la parole philosophique en cette époque du «siècle de Périclès» féconde entre toutes pour l'histoire de la pensée en Occident, Socrate, grand philosophe grec, fit de l'intelligence l'instrument d'une quête méthodique de la vérité. Son enseignement, propagé par les dialogues de Platon, fut si déterminant que la vie de l'esprit en fut à jamais transformée. Le maître de l'agora Né dans un milieu modeste, Socrate a pour père Sophronisque, un simple sculpteur, et pour mère Phainarète, qui exerce la profession de sage-femme. Voué lui-même au métier de sculpteur, il l'abandonne pour se consacrer à la philosophie. Sa vie consiste alors à discuter avec ses concitoyens, en déambulant où que ce soit dans Athènes, mais de préférence sur l'agora. A une époque où fleurissent les «maîtres de savoir» professionnels, il ne se prétend pas fondateur d'école et, s'il a des disciples, jeunes gens fortunés ou simples artisans, c'est qu'ils viennent spontanément s'entretenir avec lui. A la différence des sophistes, professeurs itinérants, Socrate ne fait pas payer ses leçons. Il a la réputation de vivre dans la pauvreté. Mais, pendant la guerre du Péloponnèse, il sert comme fantassin, ce qui sous-entend qu'il dispose d'un minimum de bien. A la guerre, il fait preuve de sa valeur mais aussi de son endurance. Il peut aussi, de l'aube d'un jour à l'aube du jour suivant, resté debout afin de trouver la solution au problème qu'il se pose. De la vie de Socrate peu de choses restent. On sait qu'il a eu trois enfants d'un ou de trois mariages. On sait aussi qu'il n'est sorti que quatre fois d'Athènes : en 432-429 avant J.-C., en 424, en 422 pour aller consulter l'oracle de Delphes. «Connais-toi toi-même» Socrate n'a pas toujours la philosophie facile. Face aux esprits exigeants que sont ses interlocuteurs, il doit batailler dur. La plupart du temps, c'est lui qui s'amuse de ceux qui l'approchent et, s'il le faut, qui les malmène en les poussant dans leurs retranchements. L'enjeu, en effet, dépasse leur personne : c'est l'homme en général que Socrate s'efforce de changer en homo philosophicus. Il faut, donc, que son raisonnement soit sans défaut pour que sa pensée soit la plus universelle possible, et pour que lui-même ne soit pas seulement un grand homme d'Athènes, «mais du monde». Lors de son voyage à Delphes, Socrate découvre l'inscription qui pare le fronton du temple d'Apollon : «Connais-toi toi-même». Il en fera la maxime de sa vie, tout entière consacrée à révéler aux consciences ce qu'elles sont au fond d'elles-mêmes et à les faire passer du savoir apparent au savoir vrai. La première chose à savoir sur soi-même est, en effet, l'état d'ignorance où l'on se trouve : «Je sais que je ne sais rien.» Aussi Socrate, comparant sa «sagesse» à celle d'un autre Athénien, déclare-t-il : «Il y a cette différence que, lui, il croit savoir, quoiqu'il ne sache rien ; et que moi, si je ne sais rien, je ne crois pas non plus savoir. Il me semble donc qu'en cela du moins je suis un peu plus sage – je ne crois pas savoir ce que je ne sais point.» Pour conduire la jeunesse d'Athènes sur la voie du Vrai, du Beau et du Juste, Socrate met en application une méthode qui repose sur l'art du dialogue contradictoire – la dialectique – et, comme le confirmera Aristote, sur l'«art d'accoucher les esprits» – la maïeutique. C'est ainsi qu'au jeune Théétète médusé, il apprend que son âme (son esprit) est «en butte aux douleurs de l'enfantement» au moment d'accoucher de ses opinions sur la nature de la science. Socrate présidera au «travail» de son âme afin que, de question en question, celle-ci donne naissance à l'opinion vraie – la seule qui ait le droit d'exister. Le crime de la démagogie contre la raison Au lendemain du régime des Trente, qui a mis à bas la démocratie, celle-ci est restaurée par Thrasybule, revenu d'exil. A Athènes, cependant, le climat reste tendu. Indifférent aux honneurs et aux compromissions, Socrate irrite. Par surcroît, son admiration pour Sparte le rend suspect. Surtout, il est celui qui, ayant toute sa vie pris le parti de la raison, a ébranlé au moins autant les certitudes que les traditions de ses compatriotes. C'est alors qu'en 399 avant J.-C. trois citoyens d'Athènes, l'accusent d'«avoir honoré d'autres dieux que ceux de la cité et tenté de corrompre la jeunesse», sous le prétexte qu'il y avait parmi les Trente plusieurs de ses anciens élèves. Son procès sera celui de la conscience individuelle en butte à l'abus de pouvoir et à la démagogie. Se chargeant lui-même de sa défense, qu'exposent en détail les deux textes dits Apologie de Socrate, mais se refusant à invoquer la pitié de ses juges, Socrate est condamné à mort par 281 voix contre 278. A ses amis qui le pressent de s'enfuir, il répond qu'il préfère «subir l'injustice plutôt que de la commettre» : il détruirait la cité s'il ne respectait pas son jugement. Alors, il accepte la coupe de ciguë qui va lui ôter la vie. En ce soir de mars 399 avant J.-C., il aura ces derniers mots : «Je tiens d'une noble tradition qu'il faut en quittant la vie se garder de paroles funestes.» Dans l'histoire de la philosophie, la rupture est faite. Il y aura les «présocratiques» et les «postsocratiques». La science de l'homme qui commence avec Socrate trouvera en Platon puis en Aristote ses féconds continuateurs. Alcibiade, le fossoyeur d'Athènes Pupille de Périclès, Alcibiade faisait partie de la jeunesse dorée d'Athènes qui n'avait que vénération pour Socrate – un homme aux traits disgracieux mais à l'esprit supérieur. Durant la guerre du Péloponnèse, il fut deux fois son compagnon d'armes, lors de la bataille de Potidée, où Socrate lui sauva la vie, puis lors de la bataille de Délium, où c'est lui qui se porta au secours de Socrate. Pour Socrate comme pour Platon, qui fit d'Alcibiade l'un des protagonistes du Banquet et le héros de tout un dialogue le jeune aristocrate incarnait l'idéal grec, selon lequel la beauté du corps était le reflet de la noblesse de l'âme. Hélas ! L'arriviste qui sommeillait en lui précipita la ruine d'Athènes en provoquant l'expédition de Sicile de 415 avant J.-C., devenant, ainsi, le fossoyeur de sa patrie, la Grèce.